Actualité
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23 mars 2022
La loi n° 2022-420 du 21 mars 2022 (JO, 22 mars) améliore la protection des lanceurs d’alerte. Elle entrera en vigueur le 1er septembre 2022.

Champ des bénéficiaires

Selon la définition figurant à l’article 6 de la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 et modifiée par la loi du 21 mars 2022, un lanceur d’alerte « est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du Droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement » (Loi, art. 1er).

Remarque : dans la définition actuelle, l’alerte doit être faite « de manière désintéressée ». Désormais, elle devra être faite « sans contrepartie financière ». Par ailleurs, la « condition de gravité » des menaces ou préjudices pour l’intérêt général, des violations d’engagements internationaux, de la loi ou du règlement, est supprimée et sont ajoutés à la liste des actes pouvant être dénoncés les violations du droit de l’Union européenne et les tentatives de dissimulation des violations listées dans cet article.

Autre nouveauté : aujourd’hui, le lanceur d’alerte doit avoir personnellement connaissance des faits faisant l’objet de l’alerte. Cette condition sera bientôt réservée au cas où les informations n’auraient pas été obtenues dans le cadre de l’activité professionnelle.

Protection de l'entourage

Le statut protecteur du lanceur d’alerte contre des éventuelles mesures de rétorsion sera étendu à un certain nombre de personnes (Loi, art. 2) :

  • les facilitateurs, c’est-à-dire les personnes physiques de droit privé à but non-lucratif (associations et organisations syndicales notamment) qui aident le lanceur d’alerte dans le signalement et la divulgation des informations relatives aux faits répréhensibles ;
  • les personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte et risquant de faire l’objet de représailles dans le cadre professionnel (collèges et proches) ;
  • les entités juridiques contrôlées par le lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel.

Procédure d'alerte

Assouplissement de la procédure

Aujourd’hui :

  • le lanceur d’alerte doit d’abord porter le signalement en interne à la connaissance du supérieur hiérarchique direct ou indirect de l’employeur ou d’un référent désigné par ce dernier ;
  • ensuite, si ce supérieur hiérarchique ou référent n’a pas vérifié la recevabilité du signalement dans un délai raisonnable, le lanceur d’alerte peut informer l’autorité judiciaire ou administrative ou l’ordre professionnel ;
  • enfin, à défaut de traitement de l’alerte par ces autorités dans les 3 mois, il peut rendre l’alerte publique.

Remarque : il est néanmoins possible en cas de danger grave et imminent ou en cas de risque de dommages irréversibles de porter directement le signalement devant les autorités précitées et de rendre l’alerte publique.

A compter du 1er septembre prochain, le lanceur d’alerte pourra choisir de saisir, au choix, le supérieur hiérarchique (ou le référent) ou directement l’une des autorités susvisées (Loi, art. 3).

Remarque : cette nouveauté résulte de la transposition de la Directive européenne n° 2019-1937 du 23 octobre 2019.

Signalement interne

Si elles estiment qu’elles ne s’exposent pas à un risque de représailles, les personnes suivantes pourront opter pour un signalement en interne (Loi, art. 8) :

  • salariés, anciens salariés et candidats à l’embauche ;
  • actionnaires, associés et titulaires de droits de vote au sein de l’assemblée générale ;
  • membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance ;
  • collaborateurs extérieurs ou occasionnels ;
  • cocontractants de l’entreprise, sous-traitants ou leurs membres du personnel ou de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de ces cocontractants et sous-traitants.

Signalement externe

La loi liste les autorités auprès desquelles le lanceur d’alerte pourra adresser un signalement. Le texte sera complété par un décret qui déterminera notamment les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure, les délais de retour d’information, les modalités de clôture des signalements, etc. (Loi, art. 8).

Alerte rendue directement publique

Aujourd’hui, procéder à une alerte publique sans être passé par un signalement interne et externe n’est possible qu’en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment en cas de situation d’urgence ou de risque de préjudice irréversible. Bientôt, cette alerte sera possible (Loi, art. 8) :

  • en cas de danger grave et imminent ;
  • en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment s’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible (si les informations ont été obtenues dans le cadre d’activités professionnelles) ;
  • si la saisine de l’autorité compétente fait courir un risque de représailles au lanceur d’alerte ou qu’elle risque de ne pas mettre fin efficacement à la violation (suspicion de conflit d’intérêt, collusion, etc.).

Remarque : une alerte ne pourra pas être immédiatement rendue publique si elle porte atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale.

Régime protecteur renforcé

Les entreprises d’au moins 50 salariés devront compléter leur règlement intérieur pour y inscrire l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte mis en place (Loi, art. 4 ; C. trav., art. L. 1321-2 mod.).

Le texte dresse également une liste plus complète des représailles interdites à l’encontre du lanceur d’alerte (Loi, art. 6 et 7).

L’aménagement de la charge de la preuve du salarié lanceur d’alerte qui s’estime victime de représailles est maintenu.

La loi précise que les lanceurs d’alerte ne sont pas civilement responsables des dommages causés du fait de leur signalement ou divulgation publique s’ils avaient des motifs raisonnables de croire que cela était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause (Loi, art. 10-1). Ils (tout comme leurs complices) ne seront pas plus pénalement responsables lorsqu’ils soustrairont, détourneront ou recèleront les documents ou tout autre support contenant les informations dont ils auront eu connaissance de manière licite et qu’ils signaleront ou divulgueront dans les conditions prévues par la loi (C. pén., art. 122-9, al. 2 et 3 nouv.).

En cas de rupture de contrat, le lanceur d’alerte peut déjà saisir le conseil de prud’hommes en référé. Le CPH (saisi en référé ou non) pourra aussi, en plus de toute autre sanction, condamner l’employeur à abonder le CPF du salarié jusqu’à 8 000 euros, selon des modalités à fixer par décret (Loi, art. 8).

Sur le plan pénal, tout obstacle à la transmission d’un signalement interne ou externe est passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. La loi y ajoute une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision pénale (Loi, art. 13-1 nouv.).

Les amendes civiles encourues par toute personne, physique ou morale, qui agira de manière dilatoire ou abusive contre un lanceur d’alerte s’élèveront à 60 000 euros (contre 30 000 euros aujourd’hui) et s’ajouteront aux dommages et intérêts que peut obtenir le lanceur d’alerte victime de ces agissements.

Enfin, la loi complète la liste des motifs de discrimination interdits. L’employeur ne pourra pas prendre à l’égard de son salarié une mesure ou une décision discriminatoire fondée sur sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte, sous peine de nullité de la mesure (C. trav., art. L. 1132-1 et L. 1132-4 ; C. pén., art. 225-1).

Protection des personnes dénonçant un harcèlement

La loi réécrit les articles L. 1152-2 et L. 1153-2 du code du travail. Il y sera précisé que toute personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel ou ayant, « de bonne foi », relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures de représailles mentionnées au nouvel article L. 1121-2 du code du travail. Ces mesures de rétorsion sont listées à l’article 10-1 de la loi Sapin n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (préjudices, y compris atteintes à la réputation, ou pertes financières, y compris la perte d’activité ou de revenu ; résiliation anticipée ou annulation d’un contrat pour des biens ou des services ; annulation d’une licence ou d’un permis ; orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical).

Remarque : il est à noter que ces articles ne listeront plus les publics visés par cette protection (salariés, personnes en formation, candidats à un recrutement, etc.). Cette énumération est remplacée par l’item « toute personne ».

Le texte précise qu’en matière de harcèlement sexuel, les propos ou comportements à connotation sexuelle n’ont pas à être répétés pour que la protection s’applique.

Désormais, les victimes bénéficieront également des protections suivantes :

  • absence de responsabilité civile des dommages causés du fait du signalement des faits de harcèlement si elles avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’elles y ont procédé, que le signalement de l’intégralité des informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause, voire irresponsabilité pénale ;
  • régime de la preuve favorable à la personne dénonçant les faits ;
  • possibilité de contraindre l’employeur à abonder le compte personnel de formation du salarié ayant dénoncé les faits ;
  • amende civile et peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée en cas d’action judiciaire lancée contre la personne dénonçant des faits de harcèlement.

Alerte en matière d’environnement ou de santé publique

Le législateur ouvre la possibilité aux salariés et aux représentants du personnel qui estiment, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave pour la santé publique ou l’environnement, de recourir au dispositif de signalement ou de divulgation publique (C. trav., art. L. 4133-1 et L. 4133-2 mod.). Il prévoit également la protection des travailleurs ayant donné l’alerte en application de l’article L. 4133-1 en leur octroyant notamment - mais pas seulement - une protection contre les mesures discriminatoires prévues au nouvel article L. 1121-2 du même code.

Rôle accru du Défenseur des droits

Depuis 2016, le Défenseur des droits est chargé d’orienter les lanceurs d’alerte vers les autorités compétentes et de veiller à leurs droits et libertés.

La loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 (JO, 23 mars) renforce son intervention dans l’accompagnement et la protection des lanceurs d’alerte et des personnes bénéficiant d’une protection au titre de la procédure d’alerte.

Elle crée tout d’abord un adjoint, bénévole, chargé d’assurer les nouvelles prérogatives confiées au Défenseur.

Elle donne également la possibilité à tout lanceur d’alerte d’adresser directement un signalement au Défenseur des droits. Si ce signalement relève de sa compétence, le Défenseur des droits le recueille, le traite et fournit au lanceur d’alerte un retour d’informations. Un décret précisera les délais et garanties de confidentialité applicables à cette procédure. Si le signalement relève d’une autre autorité mentionnée dans la loi Sapin 2, le Défenseur oriente le lanceur d’alerte vers celle-ci. Si le signalement ne relève de la compétence d’aucune autorité ou relève de la compétence de plusieurs d’être elles, il oriente l’intéressé vers l’autorité, l’administration ou l’organisme la/le mieux placé(e).

Cette loi permet enfin à toute personne de solliciter l’avis du Défenseur des droits quant à sa qualité de lanceur d’alerte.

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