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7 juin 2024
Lors de la présentation de son rapport d'analyse des actions de sobriété bâtiment, mobilité et matière, l'association Orée a invité des experts et des entreprises pour faire connaître leurs stratégies, bonnes pratiques et outils pour que la sobriété en entreprise passe du concept à la mise en oeuvre opérationnelle.

A l’automne 2022, dans un contexte de crise énergétique liée au conflit russo-ukrainien et à la moindre disponibilité du parc nucléaire, le gouvernement a lancé son plan de sobriété énergétique. L’objectif était de diminuer de 10 % les consommations d’énergie par rapport à 2019 d’ici 2024.

Lors de la présentation par l’association Orée de son rapport « L’appropriation stratégique de la sobriété par les entreprises », Diane Simiu, directrice du climat, de l’efficacité énergétique et de l’air à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a tenu à remercier les entreprises pour avoir répondu à l’appel à la mobilisation. En effet, les entreprises, les citoyens et les collectivités ont réduit leur consommation d’électricité et de gaz de 12 % dès la première année.

Ce rapport, né d’une demande du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), aide les entreprises à poursuivre ces actions en inscrivant la sobriété au cœur de leur stratégie. Grâce aux témoignages d’une soixantaine d’entreprises, Orée a mis en lumière des bonnes pratiques sur la sobriété énergétique du bâtiment, la sobriété de la mobilité et la sobriété matière.

Sarah Jeannerod, cheffe de projet économie circulaire à Orée, rappelle qu’ « une démarche de sobriété doit s’appuyer sur un engagement de la direction avec la définition d’objectifs précis et la mise en place de plans d’actions adaptés. Des actions qui doivent ensuite être mesurées par des indicateurs ».

Pourquoi s’engager ?

Pendant longtemps, les entreprises ne pensaient pas à la sobriété. Mais la mise en place du plan national de sobriété a créé une nouvelle dynamique autour de cette notion.

La réglementation est le premier moteur de la mobilisation. Les nouvelles normes sur la décarbonation et l’économie circulaire ont incité les entreprises à intégrer davantage de sobriété dans leurs pratiques. Elles peuvent s’appuyer sur les outils déjà utilisés dans d’autres stratégies, comme leur feuille de route décarbonation.

La compétitivité économique est également citée comme facteur d’engagement des entreprises. Les actions de sobriété énergétique permettent de réduire leur facture énergétique. Les approvisionnements de plus en plus incertains et l’augmentation des coûts des matières premières amènent également les entreprises à revoir leurs besoins et réduire leurs consommations, ce qui a un effet direct sur leur trésorerie. Les entreprises qui se sont engagées dans la sobriété ont un modèle d’affaires plus performant et seront plus viables que les autres à long terme. Celles-ci démontrent qu’ « on peut être sur une dynamique croissante tout en intégrant la sobriété. En produisant moins, mais de meilleure qualité, on peut développer du chiffre d’affaires » souligne Louis Natter, directeur du développement durable chez Cemex, entreprise de matériaux de construction.

Enfin, la conviction des dirigeants entre aussi en jeu. Certaines entreprises anticipent la réglementation et considèrent que les actions de sobriété contribuent à la durabilité de leurs activités. Cemex, devenue société à mission en 2023, est venue témoigner sur l’opportunité de transformer son statut pour accélérer sa stratégie environnementale en intégrant la sobriété dans l’ensemble des décisions.

Par où commencer ?

Afin de construire leur stratégie de sobriété, les entreprises doivent interroger leurs besoins (en eau, en ressources, etc.) et analyser les atouts, les faiblesses, les opportunités et les freins à l’ambition de sobriété de leur organisation. Cet état des lieux des acteurs et actions déjà en place permet d’arbitrer sur la poursuite ou non de certaines pratiques. Dans le cadre du rapport, les entreprises ont mentionné divers outils sur lesquels elles s’appuient : bilan carbone, audit énergétique, l’outil diag Éco-flux pour les PME. Par exemple, 41 % des entreprises interrogées se sont servi des travaux engagés dans leur politique RSE (responsabilité sociale des entreprises) comme la matrice de matérialité pour définir des axes de travail sur la sobriété.

Bien que l’étape de diagnostic soit importante, près d’un quart des entreprises ne l’évoque pas comme un préalable à la mise en pratique et indique avoir directement pris en compte le plan de sobriété du gouvernement. 

Passer à la sobriété opérationnelle

Les entreprises doivent ensuite cadrer et prioriser les pratiques de sobriété qu’elles souhaitent mettre en place.

Le plus souvent, les entreprises appliquent des actions de sobriété énergétique, largement médiatisée avec le plan de sobriété du gouvernement et la crise énergétique. Deux tiers des entreprises sollicitées se sont appuyées sur ce plan pour adopter des démarches de sobriété tout en adaptant ses mesures à leur contexte. Mais il s’agit d’intégrer la sobriété de manière transversale au-delà du seul domaine de l’énergie.

Les actions liées aux changements de comportement des collaborateurs représentent 90 % des mesures mises en place. De nombreux intervenants à la conférence fournissent des pistes d’actions, et le catalogue est très fourni : régulation des températures, réduction des déchets, gestion des éclairages. Dans le domaine de la mobilité, les entreprises cherchent à réduire les déplacements professionnels non-nécessaires, y compris par le télétravail, à favoriser les transports en commun, le covoiturage et les mobilités douces, optimisation du système de gestion des tournées. Il s’agit souvent d’exemples de bons sens, simples à mettre en œuvre comme la mise en place de stores devant les devantures vitrées.

Des investissements sur les équipements techniques permettant d’être encore plus sobres sont aussi mentionnés : installation de dispositifs de gestion technique des bâtiments (GTB), rénovation énergétique des infrastructures, etc.

La sobriété matière, qui consiste à réduire la consommation des ressources, englobe les pratiques telles que le réemploi, l’éco-conception, le recyclage pour valoriser les déchets. A titre d’exemple, le réemploi permet à Gecina, société foncière, actrice de la rénovation durable, d’éviter l’utilisation de milliers de tonnes de matériaux neufs sur chacun de ses projets en réemployant entre 2 et 22 % de matériaux. Cemex a mis en œuvre une feuille de route interne pour la sobriété hydrique. L’objectif de l’entreprise est de réduire ses consommations d’eau de production, à l’horizon 2030, de 10 % pour ses activités de production de bétons prêts à l’emploi, en recyclant l’ensemble des eaux utilisées sur les sites (production, lavage des équipements, etc.) et en stockant les eaux pluviales.

Certaines entreprises vont plus loin et se posent la question d’un changement plus profond ou d’une diversification des modèles économiques, aujourd’hui essentiellement basés sur des volumes. Ainsi, d’autres stratégies basées sur des produits ou services durables, où l’intensification d’usage (partage, location des équipements, économie de la fonctionnalité, coopération) et l’allongement de la durée de vie sont des enjeux centraux, voient le jour.

Embarquer sa chaîne de valeur dans des pratiques sobres

Au-delà de la considération de leur fonctionnement interne, les entreprises doivent changer d’approche et interagir davantage avec leur chaîne de valeur et leur écosystème territorial autour de cette dynamique.

« En premier lieu, il faut investir sur l’humain, expliquer à chacun qu’il a une responsabilité à jouer », assure Stéphanie Lumbers, directrice développement durable à la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA). Il s’agit d’associer les salariés en nommant un référent sobriété.

Mais pour Sarah Jeannerod, chaque niveau doit être impliqué et être proactif pour que les actions soient à la hauteur des ambitions : nécessité d'échanger avec les fournisseurs ou les logisticiens, collaboration avec les collectivités qui peuvent impulser une politique de sobriété sur leur territoire, sensibilisation des clients. « Par exemple, si on met en place des recharges de produits, il faut l’expliquer aux consommateurs, sinon ils continueront à les jeter et cela n’aura aucun impact » prévient Stéphanie Lumbers.

Le rôle des fédérations et des éco-organismes dans l’accompagnement des entreprises est également important. La FEBEA a publié un guide de la sobriété hydrique pour valoriser les bonnes pratiques et sensibiliser les entreprises du secteur de la cosmétique. L’éco-organisme Citeo propose des outils et services à ses entreprises adhérentes pour leur permettre d’écoconcevoir leurs emballages en prenant en compte les 3R : réduction à la source, réemploi et amélioration de la recyclabilité.

Assurer un suivi pertinent

Le suivi d’une action est un enjeu central dans la réalisation des objectifs d’une démarche. Cela permet de piloter le déploiement d’une stratégie en mesurant les impacts réels des activités mises en place et de les ajuster régulièrement. Des indicateurs pertinents sont aussi un moyen de comparer les performances des différents sites ou des différentes entreprises d’un même secteur. La définition des indicateurs permet d’avoir ainsi des clés pour mobiliser.

Mais cela n’est pas toujours facile car plus de 40 % des structures interrogées ont rencontré des difficultés d’accès à la donnée pour réaliser le suivi de leur engagement.

La majorité des indicateurs des entreprises sont liés à l’énergie. Le suivi des consommations d’énergie et la température sont les deux indicateurs les plus utilisés.

En matière de mobilité, les indicateurs liés aux déplacements professionnels sont nombreux. Ils peuvent notamment être liés aux types de transports utilisés, en suivant par exemple le taux de mobilité douce ou partagée, le taux d’électrification de la flotte de véhicules ou le suivi des consommations de carburants ou d’électricité.

Près d’une entreprise sur deux ne possède pas d’indicateurs de suivi de la sobriété matière. La réduction des déchets en volume ou en poids, le suivi des consommations d’eau et le suivi des consommations de matières premières sont les indicateurs les plus pertinents et les plus accessibles par les entreprises.

Pour aller plus loin, le rapport recommande de trouver des indicateurs permettant de suivre et de mesurer les transformations des pratiques. Ces indicateurs doivent porter prioritairement sur les matériaux utilisés, la production, le transport, la consommation d’eau et d’énergie, la durée de vie et la réparabilité, la recyclabilité, les composants et l’impact sociétal du produit.

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