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3 juillet 2023
Le règlement de l’UE relatif à la lutte contre la déforestation importée est entré en vigueur le 29 juin 2023. On revient sur les principaux apports du texte et sur les nouvelles obligations des entreprises avec Florian Ferjoux, avocat au sein du cabinet Gossement Avocats.

Le règlement du 31 mai 2023 vise à interdire la mise sur le marché ou l’exportation depuis le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation. Le texte prévoit de nouvelles obligations et des « due diligences » incombant aux entreprises. Entretien avec Florian Ferjoux, avocat au sein du cabinet Gossement Avocats.

Quels sont les objectifs du texte ?

L’intention des institutions de l’UE est de parvenir à mieux encadrer et réguler les importations des produits susceptibles d’occasionner de la déforestation. Historiquement, l’UE a déjà une réglementation relative à la gestion de la forêt mais elle concerne surtout la lutte contre l’importation de bois illégal (selon la nature des bois, la manière dont il est récolté). On change d’échelle avec ce règlement. On va au-delà des pratiques illégales et on cible une pratique en particulier : la déforestation. Le texte est assez ambitieux.

Dans son champ d’application temporel ou géographique, il y a des encadrements : toutes les importations ne seront pas affectées. Les produits qui seraient sur le marché auraient une sorte de label.

Avec ce règlement, l’UE met une forme de barrière afin d’affirmer que la déforestation ne correspond pas à ce que l’Europe accepte socialement et qu’elle contrevient aux enjeux de biodiversité et de climat.

Quels sont les produits concernés par le règlement ? Pourquoi ces produits en particulier ?

Ce sont les produits issus de la déforestation et qui pourront ou pourraient être dérivés des produits en cause qui suivent : les bovins, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja, le bois.

Le champ d’application du règlement est large et le texte va loin avec des produits dérivés. Par exemple, on trouve des produits assez emblématiques (cf. l’annexe du texte qui liste les produits) : la pâte à papier, le chocolat, le charbon de bois, les pneumatiques.

Ces produits sont visés en particulier car ils ont été identifiés par les institutions de l’UE comme étant les produits qui sont susceptibles de présenter un risque de déforestation et de dégradation des forêts important.

Cela signifie-t-il que la fameuse pâte à tartiner à base d’huile de palme sera bannie du marché de l’UE ?

L’huile de palme est bien concernée par le règlement. Toutefois, l’importation de produits contenant de l’huile de palme restera possible à certaines conditions. Il faudra notamment démontrer que l’huile de palme contenue dans le produit a été produite sans déforestation.

Par ailleurs, le règlement s’appliquera à des déforestations qui surviennent à partir d’une certaine date. Si la déforestation date de 1990, le produit importé ne devrait pas être bloqué car la déforestation est antérieure à la date indiquée par le règlement.

En revanche, pour l’importation de tous ces produits, il devra y avoir une traçabilité nécessaire et il faudra démontrer qu’on n’entre pas dans la liste des interdits. Les entreprises devront mettre en place une documentation assez poussée et mettre en place un niveau d’évaluation des risques important. Il n’y aura pas d’automaticité, cela dépendra de l’origine géographique, du respect ou non des règles du pays d’origine, de la date de la déforestation, etc.

Les produits exemptés devront notamment faire l’objet d’une déclaration de diligence raisonnée. Qu’est ce que cela signifie en pratique ?

C’est un processus que l’on connaît bien en droit de l’UE. Il existe d’ailleurs déjà dans le règlement Bois de 2010. Par principe, un produit est interdit sauf si on arrive à démontrer et à garantir que sa provenance est conforme au réglement. Pour arriver à cette conformité, l’entreprise doit opérer une recherche de traçabilité, voir d’où vient le produit, s’informer si la production a été faite dans les conditions réglementaires du pays concerné.

Au regard de ces informations, les due diligences obligent l’opérateur à faire une évaluation des risques. Ensuite, il devra accompagner cette évaluation de mesures permettant de limiter ce risque (celui de générer de la déforestation). Si la diligence raisonnée conclut à un risque trop élevé ou à la certitude que le produit pourrait être issu de la déforestation, il ne pourra pas commercialiser ce produit dans l’UE.

Quand les entreprises devront-elles se mettre en ordre de marche ? Comment se préparer ?

Le règlement s’applique directement : c’est-à-dire que la France n’aura pas besoin de prendre un texte d’application. Le règlement prévoit toutefois une phase transitoire afin de permettre aux importateurs de s’adapter aux nouvelles règles. Ils disposent d’un délai de 18 mois à compter de l’entrée en vigueur du réglement : c’est-à-dire que la date butoir est fixée au 29 décembre 2024. Après cette date, l’importation des produits visés par le réglement devra être systématiquement précédée de due diligences réalisées et déclarées auprès des autorités (certainement les Douanes pour la France).

A noter que pour les PME, cette date butoir est décalée à 6 mois.

Quel est le lien entre ce règlement et le devoir de vigilance ?

Nous sommes dans la même logique. Les entreprises sont dans une situation d’auto-contrôle avec les due diligences et elles devront attester de leurs bonnes pratiques. Le règlement va encore plus loin car nous sommes dans une logique d’interdiction si on n’a pas la certitude que le produit est lié à la déforestation.

Il y aura également un rôle de contrôle de la part des autorités sur la mise sur le marché des produits concernés par le reglement. Elles pourront aussi contrôler la complétude des dossiers, notamment si les due diligences ont bien été menées.

Des sanctions sont-elles prévues par le texte ?

Les sanctions permettront de mesurer la portée du règlement. Si les résultats du contrôle ne sont pas satisfaisants, le processus de sanction sera enclenché.  Toutefois, le règlement ne prévoit pas directement le niveau de sanction. Les Etats membres, dont la France, devront faire en sorte que les sanctions appliquées soient effectives, proportionnées et dissuasives. Elles pourront prendre la forme d’amendes, de confiscation, ou encore d’interdiction temporaire de mise sur le marché.  Il y aura sans doute aussi un jeu d’équivalence pour la France entre ce qui est fait actuellement pour être conforme au règlement Bois et ce qui sera fait demain pour le règlement Déforestation.

Le règlement oblige les Etats membres à contrôler un certain pourcentage d’opérateurs qui mettent sur le marché les produits listés par le réglement. L’Etat devra de toute manière diligenter un certain nombre de contrôles conformément au réglement.

Quels sont les autres éléments importants à retenir ?

Le règlement prevoit des actualisations de sa réglementation. C'est intéressant car il indique que son champ géographique pourra s'étendre. Aujourd'hui, l’application du règlement est est liée à la notion de forêt qui présente une définition très précise, mais elle pourra être réétudiée à l'avenir et concerner des produits qui proviennent d'autres entités géographiques. C'était une demande forte des ONG. 

Cela montre l'intention de l'UE d'aller encore plus loin.

L'autre élément important concerne le champ temporel : ne seront concernées que les déforestations qui ont été réalisées après 2020.

Quel conseil donneriez-vous aux entreprises concernées par le règlement ?

Le règlement prévoit une phase transitoire mais cela va aller vite. Il ne faut pas attendre fin 2024 pour mettre en place cette diligence raisonnée : il faut l’anticiper.

Elle s'élabore au-delà des produits, par rapport aux processus, à la manière dont on recherche les informations. Les entreprises peuvent commencer à simuler l'application de ces diligences raisonnées avant la date butoir.

L’Etat français a travaillé sur le règlement Bois. Il y a déjà des éléments pour savoir ce qui est exigé sur la forme et cela donne des premières indications sur ce qu'on peut attendre des entreprises afin d'éviter de se retrouver du jour au lendemain à ne plus pouvoir commercialiser certains produits.

Propos recueillis par Leslie Brassac