Les premiers rapports de durabilité sont en cours d’élaboration et les tensions se font sentir à l’approche de l’échéance 2025. Dans ce contexte, il est essentiel que les entreprises et les vérificateurs collaborent et échangent le plus possible. C’est ce qui est ressorti du webinaire organisé par Labrador et animé Alicia Couderc, sa directrice générale adjointe le 12 décembre.
Le rapport de durabilité n’est pas une continuité de la déclaration de performance extra-financière (DPEF). C’est un exercice nouveau pour les entreprises. « La vérification est rendue obligatoire par la loi, le reporting est soumis à un cadre contraint qui est celui des ESRS et les vérificateurs à des normes d’audit qui sont en construction », a rappelé Eric Baudrier, directeur général de la Haute autorité de l’audit (H2A). La H2A a d’ailleurs publié des lignes directrices pour les guider dans cette nouvelle mission. A l’issue de celle-ci, ils devront réaliser un rapport de vérification qui présentera un intérêt pour l’ensemble des parties prenantes. Selon lui, c’est ce rapport qui « va peser derrière et contraindre la relation entre le vérificateur et l’entreprise ». C’est pourquoi, « il est important de discuter et d’échanger le plus tôt possible afin que le vérificateur puisse intervenir au fur et à mesure de l’élaboration des éléments du rapport ».
Si ce type de relation et cet exercice est connu du monde du reporting financier, il ne l’est pas de l’extra financier. Vérificateurs et entreprises doivent apprendre à travailler ensemble et à se comprendre car bien souvent ils n’en ont pas l’habitude et ne parlent pas le même langage. Venant d’horizons différents, que ce soit au niveau des spécialistes de la RSE ou toute autre personne en charge de préparer le rapport, qu’au niveau des vérificateurs, CAC ou OTI, une relation nouvelle est à créer.
« On apprend tous en marchant »
Les départements RSE ou d’autres départements de l’entreprise peuvent être familiers des démarches d’audit dans le cadre des normes ISO par exemple mais la vérification à opérer dans le cadre du rapport de durabilité est différente. Comme pour l’audit financier, « on intervient tout au long de l’année et on est habitué à travailler sur des versions “draft”. Pour ce premier exercice où on apprend tous en marchant, il est important que les clients partagent avec nous des versions « draft » de leurs travaux », explique Pierre Constant, associé chez EY Sustainability, chargé de cette nouvelle mission de vérification.
Ce que le vérificateur attend à ce stade, c’est une ébauche du squelette du rapport, c’est de comprendre comment il va être construit et quand il aura accès à une première version consolidée des données quantitatives. L’idée étant d’« éviter des mauvais débats plus tard dans le processus et d’anticiper les travaux que nous avons prévu de réaliser en central », poursuit l’auditeur. Et sur la rédaction du rapport, « on peut aussi commencer à revoir des versions narratives sur certains éléments qualitatifs qui préexistaient sur le devoir de vigilance, sur les enjeux relatifs à la gouvernance, l’éthique ou la corruption ».
L’anticipation semble donc être le maître mot pour permettre un échange constructif et préparer au mieux le rapport. Marc Boissonnet, Conseil en stratégie RSE et reporting de durabilité, parle d’un « partenariat total », de « démarche conjointe ». « L’entreprise a beaucoup à apprendre de cet échange avec l’auditeur qui lui a des éléments de comparaison avec d’autres sociétés, une lecture d’expert sur les normes. Et réciproquement, l’auditeur a beaucoup à gagner de travailler en amont avec l’entreprise pour bien comprendre la façon dont les sujets sont évalués, traités. », explique-t-il.
« Le vérificateur n’est pas l’ennemi du vérifié »
Ecoute mutuelle, dialogue et points réguliers doivent guider cette relation. « A chacun de reconnaître qu’il est dans une phase d’apprentissage qu’il s’agisse des normes ESRS, sujettes à interprétation, ou des exigences d’audit », ajoute Marc Boissonnet.
Ceci est d’autant plus vrai s’agissant de l’analyse de double matérialité qui est l’élément clé de la CSRD. C’est à partir de cette analyse que le rapport va se construire et se structurer. Le conseil en stratégie RSE est favorable à la participation des auditeurs aux travaux sur l’analyse de matérialité « non pas pour participer mais pour être à l’écoute et voir comment l’entreprise fonctionne, pour rassurer l’auditeur sur le sérieux de la démarche et pour apporter à l’entreprise les réactions d’un tiers extérieur qui a un regard objectif ». Pierre Constant explique : « sur la double matérialité, nous avons des débats avec les clients qu’il va falloir trancher rapidement ». Ils portent souvent sur l’appréciation de savoir si un sujet est matériel ou pas. Même s’il est impossible que deux entreprises aient une analyse de double matérialité identique, même en étant dans le même secteur, l’auditeur peut bénéficier de retours d’expériences. « Il est important que nous puissions faire ces retours à nos clients, au printemps quand ils auront publié leurs premiers rapports. Car certains analystes, acteurs de la chaine de valeur, parties prenantes ou même’AMF pourraient s’étonner que des sujets qui ne sont pas matériels pour eux, le sont pour des entreprises comparables », ajoute-t-il.
« Il faut avoir conscience que le vérificateur n’est pas l’ennemi du verifié », rappelle Eric Baudrier, directeur général de la H2A. « Il est là aussi pour aider et accompagner les entreprises, en toute indépendance. Il n’est pas là pour conseiller, pour faire à la place ou s’immiscer dans la gestion ». Le fait qu’il pose une question permettra peut-être de corriger un point du rapport et d’anticiper ce qu’une partie prenante aurait pu demander ultérieurement. « La question peut avoir un intérêt, permettre d’avancer avec un objectif partagé : faire en sorte que le reporting soit performant en termes d’efficacité, de communication », poursuit le directeur de la H2A.
Les premiers rapports qui verront le jour début 2025 serviront de base pour améliorer les prochains. Ils aideront aussi les entreprises assujetties à compter de 2026 et 2027, tout comme les auditeurs, peu aguerris à ce type d’exercice, à être les plus proches possibles des attendus issus de la directive CSRD et des normes ESRS.