La directive européenne 2022/2464 du 14 décembre 2022, dite « CSRD », renforce les obligations de transparence des sociétés en leur imposant de publier et de faire certifier des informations de durabilité en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Ces informations de durabilité devront être intégrées dans une section spécifique du rapport de gestion et devront se conformer aux normes européennes standardisées, dites « ESRS » (European Sustainability Reporting Standard) fixées par des actes délégués.
Les normes applicables aux sociétés quel que soit leur secteur d’activité (dites « normes universelles » ou « non sectorielles ») ont été publiées (Règl. délégué UE 2023/2772 du 31-7-2023).
Elles s’appliquent aux exercices commençant le 1er janvier 2024 pour les premières sociétés soumises à l’obligation de préparer un rapport de durabilité, avec une première publication en 2025 (Règl. délégué UE 2023/2772 art. 2). Sont concernées les sociétés cotées sur un marché réglementé qui sont des grandes entreprises et dont le nombre moyen de salariés est supérieur à 500, ou qui sont des sociétés mères d’un grand groupe dépassant ce seuil sur une base consolidée ; seront par la suite tenues au reporting de durabilité, selon un calendrier progressif, les grandes entreprises et les sociétés mères de grands groupes, y compris les sociétés par actions simplifiées et sociétés à responsabilité limitée, ainsi que les petites et moyennes sociétés cotées et certaines sociétés de pays tiers.
Les seuils qualifiant les entreprises et les groupes viennent d’être rehaussés par une directive européenne déléguée. Cette modification aura pour effet de réduire le nombre des sociétés tenues d’appliquer ces normes.
Architecture des normes
Le règlement délégué UE 2023/2772 comprend 12 normes, dont deux transversales fixant les grands principes et les informations générales à inclure dans le rapport de durabilité et 10 normes thématiques portant sur l’environnement, le reporting social et la gouvernance. Ces normes sont structurées en thèmes, sous-thèmes et sous-sous-thèmes et contiennent des « exigences de publication », déclinées en « points de données » et complétées par des « exigences d’application ».
La norme ESRS 1 ne détermine pas d’information à publier mais fixe des principes généraux à appliquer pour la préparation et la présentation des informations de durabilité (notamment sa structure en quatre parties : ESRS 1 § 115 et appendices D et F). Elle contient également une liste des « questions de durabilité », qui recouvrent l’ensemble des thèmes, sous-thèmes et sous-sous-thèmes que les entreprises doivent prendre en considération dans leur « évaluation de l’importance » (ESRS 1 § 27 et appendice A-AR 16 ; sur cette évaluation voir no 5 s.). La norme ESRS 2 impose, quant à elle, la publication d’informations transverses.
Les dix autres normes complètent ces exigences en imposant la publication d’informations complémentaires :
- les normes environnementales (E) se déclinent en cinq thèmes : changement climatique (E1), pollution (E2), ressources aquatiques et marines (E3), biodiversité et écosystèmes (E4), utilisation des ressources et économie circulaire (E5). A noter que les informations environnementales doivent aussi inclure de manière clairement identifiable celles requises par le règlement européen 2020/852 du 18 juin 2020 (Règlement « taxonomie ») et ses actes délégués (ESRS 1 § 113) ;
- les normes sociales (S) couvrent les effectifs de l’entreprise (S1), les travailleurs de la chaîne de valeur (S2), les communautés touchées (S3) et les consommateurs et utilisateurs finaux (S4) ;
- le standard « conduite des affaires » (G1) prévoit la publication d’informations sur les dispositifs anticorruption, l’éthique, les pratiques de paiement des fournisseurs, etc.
Ces normes thématiques fixent des exigences de publication qui complètent les informations transverses prévues par la norme ESRS 2 ainsi que des exigences propres dans les domaines suivants : gouvernance, stratégie, gestion des incidences, risques et opportunités, métriques et cibles (c’est-à-dire la mesure de la performance par des indicateurs et objectifs).
Double importance et contenu du rapport
Elément clé de ces normes : l’évaluation de la double importance (appelée aussi « double matérialité »), qui consiste, pour chaque société, à identifier, parmi les questions de durabilité prévues par les normes ESRS, celles qui sont importantes au regard de sa situation propre et de celle de sa chaîne de valeur. Seules les informations sur les questions de durabilité jugées importantes devront être incluses dans le rapport de durabilité (ESRS 1 § 2, § 25 s. et appendice D).
Pour apprécier si une question de durabilité est importante, la société devra l’évaluer selon les deux perspectives suivantes (ESRS 1 § 37 s.) :
- l’incidence des activités de la société et des entreprises de sa chaîne de valeur sur la population ou l’environnement, que cette incidence soit positive ou négative, et qu’elle soit à court, moyen ou long terme (« importance du point de vue de l’incidence ») ;
- les risques et les opportunités que la question de durabilité engendre pour la société du point de vue de sa situation financière, de sa performance financière, de ses flux de trésorerie, de l’accès au financement ou du coût du capital à court, moyen ou long terme (« importance du point de vue financier » ou « importance des risques et opportunités »).
Une question de durabilité répond au critère de la double importance si elle est importante du point de vue de l’incidence ou des risques et opportunités ou des deux (ESRS 1 § 28).
Sur les questions de durabilité importantes qu’elle aura identifiées, la société devra faire figurer dans son rapport de durabilité les informations requises par les normes ESRS, mais seulement lorsque ces informations sont elles-mêmes pertinentes, c’est-à-dire lorsqu’elles présentent un intérêt pour décrire ou expliquer la question ou répondent aux besoins des utilisateurs (investisseurs, prêteurs, partenaires, organisations syndicales, etc.) (ESRS 1 § 31). En d’autres termes, l’évaluation de l’importance des questions de durabilité est complétée par une seconde analyse qui porte sur la pertinence de chacune des informations requises par les normes se rapportant à cette question. Les sociétés doivent décrire le processus mis en oeuvre pour identifier les informations à inclure dans leur rapport de durabilité (ESRS 1 § 29 et ESRS 2 § 51 s.).
Attention, par exception, les sociétés devront publier toutes les informations générales prévues par la norme ESRS 2 sans pouvoir écarter celles qu’elles ne jugeraient pas importantes (ESRS 1 § 29). Certaines autres informations sont obligatoires (par exemple, la conclusion de l’évaluation de double importance sur le changement climatique, un tableau récapitulatif de l’information dont les acteurs financiers ont besoin pour remplir leurs propres obligations de transparence en application du règlement 2019/2088 du 27 novembre 2019, dit « SFDR », ou encore, sur les thèmes jugés importants, les informations relatives aux politiques, actions et objectifs).
Si une société considère qu’une incidence, un risque ou une opportunité n’est pas suffisamment couvert par les normes ESRS mais revêt une importance en raison de circonstances qui lui sont propres, elle devra en faire état dans le rapport de durabilité (ESRS 1 § 11). A l’inverse, les sociétés ne sont pas tenues de divulguer les informations « classifiées » ou « sensibles » pouvant porter atteinte à certains intérêts (ESRS 1 § 105 s.). Autre point majeur : les informations de durabilité de la société doivent être complétées par des données relatives à sa chaîne de valeur, c’est-à-dire ses relations d’affaires amont et aval (ESRS 1 § 63 s.).
Pour faciliter la mise en œuvre de ces normes, l’Efrag (European Financial Reporting Advisory Group), qui en est à l’origine sur mandat de la Commission européenne, a annoncé qu’elle publiera deux guides, l’un sur la double matérialité, l’autre sur la chaîne de valeur ; des avant-projets mis à jour le 22 décembre 2023 sont consultables en ligne (Draft EFRAG IG 1 et 2 sur l’analyse de matérialité et sur la chaîne de valeur). L’Efrag a également mis en ligne le 25 octobre 2023 un projet de fichier Excel (sujet à évolution), présentant la liste exhaustive des points de données issues des normes ESRS, ainsi qu’une note explicative, et mis en place une plateforme permettant de poser des questions. De son côté, la Commission européenne a publié une foire aux questions présentant les normes dans les grandes lignes.
Progressivité des obligations
Diverses mesures transitoires sont prévues pour laisser aux sociétés le temps de s’adapter aux nouvelles exigences (ESRS 1 § 130 s.). Notamment, la publication de nombreuses données par les entreprises de moins de 750 salariés (par exemple, les émissions de gaz à effet de serre de périmètre 3) est repoussée de un ou deux ans, selon le cas ; ces mesures sont récapitulées dans la norme ESRS 1, appendice C.
Par ailleurs, pendant les trois premières années, les sociétés sont autorisées à omettre les données sur leur chaîne de valeur qui ne sont pas disponibles, en expliquant les efforts déployés pour les obtenir (ESRS 1 § 132 s.).
Un dispositif qui sera encore complété
Un autre règlement européen délégué, attendu au plus tard le 30 juin 2024, déterminera des normes proportionnées aux petites et moyennes entreprises soumises à l’obligation d’établir un rapport de durabilité (Dir. UE 2013/34 art. 29 quater issu de Dir. UE 2022/2464). En outre, deux autres règlements délégués devront déterminer, d’une part, des normes applicables par secteur d’activité, d’autre part, les normes applicables aux entreprises de pays tiers. La directive CSRD prévoyait que ces actes seraient adoptés avant le 30 juin 2024 mais la Commission européenne a proposé de décaler de deux ans leur adoption (Communication CE Com[2023] 596 du 17-10-2023).
Bien que non soumises à la directive CSRD, les petites et moyennes entreprises non cotées sur un marché réglementé seront, elles aussi, concernées par les obligations de reporting car elles seront susceptibles de recevoir des demandes d’informations d’autres sociétés pour l’établissement de leur propre rapport ; des normes facultatives, plus simples, devraient être élaborées pour leur permettre d’y répondre.