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4 avril 2024
Information du consommateur, pénalités pour les entreprises non vertueuses, interdiction de la publicité... La proposition de loi «fast-fashion» visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile prévoit de nombreuses mesures visant à responsabiliser les entreprises qui fabriquent des produits polluants. Anne-Cécile Violland, députée et rapporteure du texte et Jean-Marc Zulesi, député et président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, reviennent avec nous sur les enjeux de ce texte.

La proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile a été adoptée par l’Assemblée nationale le 14 mars. Entretien avec Jean Marc Zulesi, député (Renaissance ; Bouches-du-Rhône, 8e circ.) et président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale et Anne-Cécile Violland, députée (Horizons ; Haute-Savoie, 5e circ.) et rapporteure du texte.

Quel est le contexte de l’adoption de cette proposition de loi ?

Anne-Cécile Violland : L’ambition de ce texte est de s’attaquer à l’impact environnemental de l’industrie textile. C’est l’industrie la plus polluante aujourd’hui car elle représente environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Si on ne fait rien, en 2050, on sera à 26 %.

Cette industrie est responsable de la pollution des eaux et des sols. Elle a un impact sanitaire pour ceux qui les fabriquent mais aussi pour ceux qui les portent. Plus de 90 % des vêtements sont faits en polyester, c’est-à-dire qu’ils sont issus de produits pétroliers. Lorsqu’on lave nos vêtements, des microparticules se déversent dans les eaux et cela représente plus de 24 milliards de bouteilles en plastiques par an.

Il faut agir et nous voulons une loi simple et efficace. Nous avons décidé de nous attaquer aux grosses machines qui ont envahi notre marché national, européen et international. Car progressivement, nos petites enseignes physiques ferment.

Les auditions à l’Assemblée nationale ont permis de distinguer la fast-fashion (comme H&M et Zara) de l’ultra fast-fashion (par exemple : Shein, Temu ou Ali Express) qui procède au renouvellement de références sans commune comparaison (près de 900 fois plus) et qui propose des produits à très bas prix étant donné que leur fabrication est réalisée dans des conditions épouvantables à l’autre bout du monde. Par ailleurs, leur marketing est intrusif et cible en particulier les jeunes qui sont assaillis de publicité sur les réseaux sociaux.

Jean Marc Zulesi : Le phénomène lié à la fast-fashion se développe à la vitesse grand V. Cela a mené le législateur à se questionner sur le modèle de société que nous voulons pour nos enfants sur le plan de l’écologie. Un achat réalisé via des enseignes de fast-fashion n’est pas fait dans l’un de nos commerces de proximité. Qui n’a pas déjà été sollicité pour des t-shirts à 2 € ou du maquillage à 1 € ? Nous sommes forcément interpellés par l’agressivité de ces publicités alors nous avons eu la volonté d’agir.

Que contient la proposition de loi ?

Anne-Cécile Violland : Tout d’abord, nous souhaitons informer le consommateur et l’inciter à plus de sobriété. Nous souhaitons la mise en place d’un message d’incitation via un bandeau obligatoire apposé sur les sites internet des enseignes concernées qui invitera les consommateurs à porter les vêtements pour une longue durée, à les recycler, les réparer et à recourir à la seconde main. Ce sera le même principe que le message « Manger, bouger » sur les publicités pour améliorer la santé de la population.

La seconde action consiste à pénaliser les enseignes qui ne sont pas vertueuses et qui fabriquent des produits très polluants. Nous nous appuyons sur un dispositif créé par la loi AGEC : la REP (responsabilité élargie du producteur). Ces pénalités s’adresseront à toute l’industrie textile, toutes les enseignes physiques ou en ligne.

De l’autre côté, nous récompensons par un bonus les produits qui répondent à des critères de labellisation (par exemple, fabriqués avec du coton bio). L’idée est de soutenir les entreprises vertueuses et de réduire à terme la différence de prix entre un produit de fast-fashion et un produit vertueux.

La pénalité prélevée par l’éco-organisme agréé par l’État sera redistribuée à l’Ademe, aux instances de traitement des déchets, de tri et de recyclage.

Par ailleurs, le décret relatif à l’affichage environnemental rendu obligatoire sur les produits textiles et alimentaires par la loi Climat et Résilience, et dont la publication avait été reportée à 2025 devra finalement sortir fin avril, le ministre de la transition écologique  ayant décidé d’accélérer le calendrier.

La 3e action consiste à interdire la publicité pour la fast-fashion sous toutes ses formes, y compris par les influenceurs.

Concernant l’interdiction de publicité, des sanctions seront-elles prévues en cas de non-respect ?

Anne-Cécile Violland : Oui, nous nous sommes fondés sur la loi Influenceurs. En cas de non-respect, une personne physique encourra 15 000 € d’amende et une personne morale encourra 100 000 € d’amende. Il sera également possible de moduler l’amende en fonction du montant engagé pour la campagne publicitaire.  Les moyens de la DGCCRF seront également renforcés afin de pouvoir mieux exercer les contrôles.

Des enseignes vestimentaires en ligne sont directement visées mais d’autres pourraient-elles être concernées comme Zara, Primark, ou encore Décathlon ?

Anne-Cécile Violland : L’article 2 sur les pénalités et les bonus concerne toute l’industrie textile, la fast-fashion comme l’ultra fast-fashion. L’obligation d’information et l’interdiction de la publicité elles relèveront de la définition de l’ultra-fast-fashion, prévue par le décret. Par exemple, Décathlon a un renouvellement de références important mais la durée de commercialisation est plus importante que Shein (3 ans environ). Il y a une vraie volonté d’être juste et proportionné auprès de ceux qui ont une déjà amorcé une transition écologique dans leur modèle.

Jean Marc Zulesi : Tout dépendra des critères définis par le réglementaire. Potentiellement, la réponse est oui. J’espère que le gouvernement aura la volonté d’aller plus loin dans les restrictions et que certaines marques qui ont pignon sur rue en France puissent améliorer leurs pratiques. Nous sommes dans une situation d’hypocrisie folle car ces vêtements sont fabriqués dans des conditions où les normes sociales et environnementales ne sont pas respectées et cela crée de grandes distorsions de concurrence.

Le texte a été renforcé de plusieurs amendements. Quels sont les principaux apports ?

Jean Marc Zulesi : J’ai fait évoluer l’éco-score de sorte qu’on puisse prendre en compte le critère de durabilité. C’est une manière de sensibiliser les citoyens sur les conséquences environnementales de la fast-fashion.

Il y a également la mise en place d’un calendrier progressif pour l’application des pénalités de 2025 à 2030. La volonté est d’envoyer un signal politique fort. Une fois que cette prise de conscience sera réalisée, les pénalités seront plus fortes. L’objectif est de laisser le texte s’appliquer dans le temps avec une vocation pédagogique.

Par ailleurs, un amendement prévoit le reversement d’une partie des fonds collectés à des filières de réutilisation dans les pays où sont exportés les vêtements usagers. L’objectif est de pouvoir flécher la manne financière issue du malus afin de financer des initiatives beaucoup plus vertueuses. En 10 ans, les Français ont augmenté de 30 % leurs achats en vêtements. Ils sont ensuite jetés sur les plages du Ghana. Il y a un vrai sujet d’économie circulaire et de valorisation des déchets.  

Pourquoi l’impact social (respect des droits humains et du droit du travail des salariés qui fabriquent ces produits) n’est-il pas davantage mis en avant dans la proposition de loi ?

Anne-Cécile Violland : Il y a eu beaucoup d’amendements en ce sens.

J’aurais pu l’aborder sous l’aune de la santé-environnement, et en particulier sous l’angle de l’exposition aux produits chimiques pour les travailleurs et pour les personnes qui portent ces vêtements.

Car selon les premières conclusions de récentes études, nous trouvons des produits chimiques ultra dangereux et des perturbateurs endocriniens sur les vêtements importés de Chine. Pour les consommateurs qui les portent sans les laver au préalable, cela peut avoir des conséquences dramatiques : augmentation des cancers, de la stérilité... Ces sociétés agissent en toute impunité car elles ne sont soumises à aucun contrôle, contrairement à nos entreprises européennes.

Nous aurions pu également intégrer la question des conditions de travail ou les salaires par rapport au niveau de vie mais la méthodologie n’est pas prête. Nous avons donc, pour le moment, préféré viser l’impact environnemental parce que les outils et les indicateurs objectivables existent déjà.

Sur ce sujet, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu s’est engagé à lancer une évaluation de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à recevoir un groupe de travail transpartisan. Ce sera la prochaine étape.

Jean Marc Zulesi : Le combat n’est pas terminé. Nous avons bien avancé sur le plan environnemental et le Sénat peut très bien étudier le texte sous le prisme social.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Anne-Cécile Violland : Nous avons bénéficié d’une procédure accélérée. Je travaille à ce que le texte passe au Sénat. L’objectif est d’avoir un texte promulgué avant la fin de l’année et surtout, d’obtenir une harmonisation au niveau européen. Il y a un vrai intérêt de la part des autres États car c’est la première fois qu’un pays se saisit de ce sujet. C’est historique.

Jean Marc Zulesi : Nous devons à présent convaincre les sénateurs afin que le texte soit inscrit à l’agenda du Sénat. Si cela tarde trop, il faudra que le gouvernement prenne sur son temps gouvernemental.