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Le Parlement de Strasbourg s’est quelque peu droitisé au lendemain des élections européennes du 9 juin. Mais a priori pas suffisamment pour remettre en cause la coalition formée en 2019 entre les conservateurs du groupe PPE (Parti populaire européen), les sociaux-démocrates (S&D) et les centristes de Renew. Lors des 5 dernières années, cet attelage a voté près de 70 textes législatifs estampillés « Green Deal », qui régulent notamment les secteurs du transport, de l’énergie, des industries lourdes et de l’agriculture afin de faire avancer l’UE vers son objectif de neutralité carbone en 2050.
Dans le champ de la réglementation ESG, la moisson a aussi été riche ; on trouve, entre autres, la fameuse taxonomie de l’UE qui définit les activités économiques durables, la non moins révolutionnaire CSRD sur les informations de durabilité des entreprises, ou encore le devoir de vigilance visant à combattre les atteintes aux droits humains et à l’environnement causées par l’activité économique, sans oublier l’encadrement des agences de notation ESG.
« Futurs coups de canifs à l’encontre du Green Deal »
Mais si la majorité précédente est donc en passe d’être reconduite au Parlement, on sait qu’elle n’aura pas les mêmes priorités lors de la prochaine législature. Le vent avait d’ailleurs déjà tourné avant le 9 juin. L’objectif n’est plus de créer de nouvelles normes, mais plutôt de s’assurer que la mise en œuvre de celles déjà adoptées n’affectera pas la compétitivité des entreprises. Quitte à revoir l’ambition verte à la baisse ? C’est la grande question à Bruxelles. Plusieurs éléments laissent augurer de futurs coups de canifs à l’encontre du Green Deal.
D’une part, les chefs d’États et de gouvernements de l’UE font désormais le constat commun d’un excès de « charge administrative » pesant sur l’économie. « Pour que l’économie prospère, nous allons réduire la charge administrative et réglementaire à tous les niveaux [...] en phase avec le besoin d’un environnement favorable au consommateur et propice à l’investissement », indique l’agenda stratégique (les grandes priorités) de l’UE pour le cycle 2024-2029. Adopté le 27 juin par le Conseil, ce texte prévoit aussi davantage de « pragmatisme » dans la transition climatique. Les partisans de la politique verte craignent dès lors que ce mouvement ne se fasse au détriment du Green Deal.
Nouveaux rapports de force
D’autre part, si le scrutin du 9 juin n’a pas en soi renversé la table, il a tout de même modifié les rapports de force au Parlement : le groupe PPE (droite) ressort plus dominant encore à l'intérieur de la coalition majoritaire. Or, depuis la fin de la législature écoulée une partie des élus conservateurs lâchent leurs coups à l’encontre de certains textes du Green Deal, à commencer par le devoir de vigilance européen. En parallèle, les partis d’extrême droite n’ont peut-être pas obtenu le grand succès qu’ils espéraient, mais ils ont grignoté du terrain ; tous réunis, ils constituent environ un quart de l'hémicycle. A l’instar de Reconquête ! en France, qui aimerait « abroger toutes les directives et règlements du Pacte Vert », ces partis ont pris le Green Deal en horreur.
Certes, ces élus restent très divisés en Europe et la plupart font l’objet d’un « cordon sanitaire » - qui les exclut des travaux parlementaires. Mais à présent, leurs votes sont plus que jamais susceptibles de faire pencher la balance.
Naturellement, le péril pour le Green Deal serait plus grand encore en cas d’arrivée du Rassemblement national (RN) au pouvoir dans l’Hexagone à l’issue des élections législatives françaises. Les différents gouvernements dirigés par l’extrême droite seraient alors en mesure de bloquer les projets législatifs votés à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE (15 États représentant au moins 65 % de la population de l'UE), comme c’est la règle en matière environnementale et pour 80 % des actes législatifs de l'UE adoptés selon la « procédure législative ordinaire » (article 114 TFUE).
« Droit de véto collectif »
Pour autant, ce « droit de véto collectif » ne suffirait pas à revenir sur des textes déjà adoptés. A l’issue d’une analyse des clauses de révision inscrites dans les principaux règlements ou directives du Green Deal publiée le 3 juin, l’Institut Jacques Delors a émis de sérieux doutes sur « la faisabilité juridique [de son] détricotage total [...] ». Le groupe de réflexion note en même temps que « certains dossiers pourraient tout de même être rouverts sous pression des États membres ».
Côté ESG, plusieurs ombres entourent spécifiquement le devoir de vigilance européen et la CSRD. D’abord, il s’agit dans les deux cas de directives, dont la mise en œuvre passe par une transposition par les États membres dans leurs droits nationaux. Très critique de ces deux textes lors de la campagne des européennes, Jordan Bardella pourrait, s’il accédait à Matignon, choisir de revenir sur la transposition de la CSRD, qui a déjà eu lieu, ou de ne pas effectuer celle du devoir de vigilance. De tels choix vaudraient bien entendu à la France d’être potentiellement épinglée par la Cour de justice de l’Union européenne avec une amende à la clé, et par le juge français qui pourrait lui aussi obliger l’État à dédommager les victimes de la non-application de la directive CS3D. Une alternative moins radicale serait d’opter pour une mise en application peu regardante de ces textes dans la pratique, mais avec potentiellement les mêmes conséquences juridiques.
Enfin, si la CSRD a bien été adoptée par l'UE, elle n’est en réalité pas totalement finalisée : la Commission doit encore publier plusieurs séries de normes (les ESRS, pour « European Sustainability Reporting Standards »), sortes de guides méthodologiques détaillant les informations de durabilité que les différentes entreprises ciblées par le texte doivent publier chaque année. On attend notamment d’ici juin 2026 un lot d’ESRS « sectoriels » - secteur par secteur - qui viserait en premier lieu certaines industries jugées « à risque » (minière, du textile, bâtiment …). Initialement fixée à 2024, cette échéance a déjà été reportée une fois au nom de la nécessité de ménager les entreprises. A Bruxelles, les ONG environnementales craignent que ces normes finissent par être enterrées.