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10 octobre 2024
Après cinq années marquées par plusieurs législations ambitieuses initiées par l’exécutif de l’UE en la matière, c’est la grande crainte de la gauche du Parlement européen, des syndicats et autres partisans de l’Europe sociale. Crainte justifiée ? Éléments de réponse à la lumière des lettres de missions attribuées aux potentiels futurs commissaires européens.

En Partenariat avec  Les Surligneurs .

Pour la première fois depuis les années 1970 les termes « Affaires sociales » et « Emploi » n’apparaissent dans aucun des intitulés des portefeuilles attribués par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à ceux qui deviendront d’ici début décembre les membres de son nouveau collège de commissaires, si toutefois ils passent entretemps l’épreuve des auditions par les eurodéputés.

Cela n’a pas échappé à la gauche du Parlement européen ni aux syndicats qui s’inquiètent de voir cesser l’activisme observé de la part de la Commission européenne dans le champ social ces cinq dernières années. Lors du quinquennat écoulé, l’exécutif européen a, sous l’influence du socialiste luxembourgeois Nicolas Schmit - commissaire sortant à l'Emploi et aux Droits sociaux -, initié une série de textes résolument progressistes, dans la tradition européenne d’amélioration des conditions de travail depuis l’importante directive de 1976 sur l’égalité hommes-femmes dans l’emploi.

En 2021, la Commission avait notamment proposé une directive visant à requalifier comme salariés des dizaines de milliers de personnes travaillant en tant qu’indépendants pour des plateformes numériques (livreurs de repas, chauffeurs de VTC, etc.) dans le but de renforcer leur protection sociale. Si la version finalement négociée, qui devrait être adoptée par le Conseil de l’UE d’ici quelques jours, vide en partie le texte initial de sa substance, plusieurs nouveautés ont été préservées dont, en particulier, des mesures pour protéger les travailleurs des effets néfastes de la gestion algorithmique (plutôt qu’humaine) de certains aspects de leur travail (répartition des tâches, suivi automatisé des performances…).

Moins connue, mais possiblement plus novatrice encore, une directive adoptée l’année dernière autorisera d’ici à juin 2026 (sa date limite de transposition), les employés et leurs représentants à connaître les niveaux de rémunération ventilés par genre au sein de leur entreprise. Les sociétés de plus de 250 salariés (100 à terme) devront, elles, rendre public l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes (d'ici juin 2027 pour les premières concernées et juin 2031 pour les dernières) et prendre des mesures si celui-ci dépasse les 5 % sans justification. Des mesures correctives pourraient également être imposées aux entreprises qui ne jouent pas le jeu. On peut enfin évoquer l’adoption en 2022 d’une directive (“Women on Board”) visant à féminiser les conseils d’administration des entreprises cotées, avec des sanctions dissuasives à la clef en cas de non-respect.

Vers une « feuille de route pour des emplois de qualité » 

Doit-on dire adieu à ce type d’initiatives ? Dans les faits, l’emploi et la politique sociale ne sont pas abandonnés : ces thèmes doivent être portés par la vice-présidente exécutive roumaine désignée, Roxana Mînzatu, bien que l’intitulé du portefeuille attribué à cette sociale-démocrate (« Personnes, compétences et préparation ») ne les évoque pas.

La lettre de mission que lui a assignée Ursula von der Leyen est d’ailleurs loin de délaisser les sujets sociaux. Est entre autres prévue la création d’un « droit à la déconnexion », forte demande des syndicats dans le contexte de l’essor du télétravail. Autres engagements : une « toute première stratégie européenne anti-pauvreté », ou encore « une feuille de route pour des emplois de qualité ».

Mais il en faudra plus pour convaincre les partisans de l’Europe sociale : « Cette lettre évoque certains des défis auxquels sont confrontés les travailleurs mais manque d’engagements sur des actions concrètes pour les résoudre, estime Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, dans une réponse écrite adressée à notre rédaction. Pour le moment nous avons des promesses de plans et de feuilles de routes alors que nous avons besoin de législations, […] Par exemple, d’une directive afin de répondre à l’épidémie de stress au travail, une autre pour réguler l’utilisation de l’IA sur les lieux de travail », énumère cette syndicaliste irlandaise.

« Un décalage entre les ambitions affichées et la réalité des actes » 

La présentation d’une stratégie ou d’une feuille de route par la Commission européenne peut être suivie par une initiative législative, mais ne l'est en effet pas systématiquement. « On peut se demander s’il n'y aura pas un décalage entre les ambitions affichées et la réalité des actes, juge à son tour Sofia Fernandes, directrice adjointe de l’Institut Jacques Delors. Cette Commission compte deux fois moins de membres sociaux-démocrates, camp qui défend traditionnellement les politiques sociales, et qui pourrait avoir plus de mal à peser lors des arbitrages clés », relève cette spécialiste de la politique européenne en matière d’emploi et de droits sociaux.

Hadja Lahbib, l’actuelle ministre belge qui s’est vue attribuer le portefeuille de l’Égalité (plus précisément de « La préparation, la gestion des crises, et l'égalité ») n’est pas issue de la sociale démocratie, mais du Mouvement Réformateur, parti belge de centre-droit. Sa lettre de mission n’en foisonne pas moins elle aussi de promesses : sont évoquées pêle-mêle une « feuille de route pour les droits des femmes », une « stratégie sur l’égalité des genres actualisant l’action de l’UE sur tous les sujets affectant les femmes, le combat contre les violences sexistes, l’émancipation économique des femmes, leur participation à la vie politique, les discriminations en matière de santé, d’éducation, de logement, de protection sociale », ou encore « la mise en œuvre complète de la stratégie en faveur des droits des personnes handicapées ».

Autre signal d’un possible ralentissement de la politique sociale : la Commission est politiquement responsable devant le Parlement européen. Or les dernières élections ont vu la droite progresser, ce qui laisse augurer un relâchement de la pression des députés sur l’exécutif en faveur d’un renforcement de la politique sociale.

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Clément Solal, journaliste Vincent Couronne, docteur en droit européen