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27 octobre 2023
Les deux premières normes d’information de durabilité dites « transversales » (ESRS 1 et ESRS 2) ont été adoptées définitivement par la Commission européenne le 31 juillet dernier. Elles sont applicables dès 2025 sur l’exercice 2024 aux entreprises soumises à la NFRD. Voici un zoom sur la norme ESRS 1, qui porte sur les exigences générales du reporting de durabilité prévu par la CSRD.

Contrairement à la norme ESRS 2, la norme ESRS 1 ne prévoit aucune obligation d’information. Son objectif est de permettre de comprendre l’architecture des ESRS, les conventions de rédaction et les concepts fondamentaux utilisés (double matérialité, chaîne de valeur…), ainsi que les exigences générales pour la préparation et la présentation des informations en matière de durabilité telles que requises par la CSRD. 

Analyse de matérialité et double matérialité 

Toutes les normes ESRS sont soumises à l’analyse de matérialité ...

Comme le prévoit la CSRD et comme le rappelle la norme ESRS 1 (§ 26), l’analyse de matérialité constitue la porte d’entrée du rapport de durabilité : seuls les sujets et informations matériels à la suite du processus d’analyse de matérialité seront à mentionner dans le rapport de durabilité.

Remarque

Dans les projets de normes élaborés par l’Efrag, certaines informations étaient obligatoires : la norme ESRS E1 Changement climatique, certaines exigences de publication dans les normes du volet Social, ainsi que les points de données (« data points ») requis par les réglementations européennes et notamment par le règlement SFDR (Règlement (UE) 2019/2088 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers). Dans la version adoptée par la Commission européenne, toutes les informations (à l’exception de celles prévues par la norme ESRS 2) sont désormais soumises à l’analyse de matérialité et cela afin d’alléger la charge du reporting des entreprises. Attention, une explication détaillée devra toutefois être publiée dans le cas d’ESRS E1 Changement climatique. 

Selon l’AMF, l’analyse de matérialité étant la pierre angulaire du reporting de durabilité, les entreprises gagneront à mettre à jour et/ou à mettre en œuvre rapidement leur processus d’évaluation de matérialité (Communiqué du 20-6- 2023).

… à l’exception de la norme ESRS 2

Par exception, toutes les informations prévues par la norme ESRS 2 « Informations générales à publier » sont obligatoires, cette norme n’étant pas soumise à l’analyse de matérialité (norme ESRS 1, § 29). Les entreprises soumises à la CSRD devront ainsi publier l’ensemble des exigences de publication et des points de données spécifiés par la norme ESRS 2. 

Notion de double matérialité

Pour juger de la matérialité d’un sujet, l’entreprise devra mener une analyse de matérialité sous le prisme de la double matérialité (norme ESRS 1, § 37 s.) : 

  • matérialité d’impact, c’est-à-dire l’impact matériel que l’entreprise peut avoir sur la population ou l’environnement (pour plus de détails, voir section 3.4 de la norme ESRS 1) ; 
  • matérialité financière, c’est-à-dire les effets financiers matériels (du point de vue des principaux utilisateurs) que les facteurs de durabilité peuvent avoir sur l’entreprise, par exemple sur ses futurs cash flows (pour plus de détails, voir section 3.5 de la norme ESRS 1). 

Remarque

Concernant la matérialité financière, l’acte délégué s’est aligné sur la définition adoptée par l’ISSB («  International Sustainability Standards Board ») dans la norme IFRS S1.  

En pratique, un sujet pourra être jugé matériel du point de vue de la matérialité d’impact ou du point de vue de la matérialité financière, mais dans la plupart des cas, lorsqu’un sujet est jugé matériel du point de vue de la matérialité d’impact, il sera également jugé matériel du point de vue de la matérialité financière. 

À titre d’exemple : une entreprise qui pollue a un impact sur l’environnement (matérialité d’impact), mais la pollution implique également des conséquences financières pour l’entreprise (matérialité financière) au travers de besoins d’investissements plus propres par exemple. 

Principaux points d’attention pour l’analyse de matérialité

La norme ESRS 1 précise que l’analyse de matérialité se décline en 4 étapes :

  • la compréhension du contexte : activités, relations d’affaires de l’entreprise et parties prenantes ;
  • l’identification des impacts actuels et potentiels, des risques et des opportunités ;
  • l’évaluation des impacts, des risques et des opportunités ;
  • la détermination des sujets matériels (matérialité d’impact et matérialité financière).

La norme ESRS 1 (§ 58 s.) indique que le résultat de la procédure de diligence raisonnable mise en œuvre par l’entreprise pour identifier, prévenir et atténuer les impacts négatifs de ses activités sur l’environnement et les populations concernées contribue à l'identification et à l’évaluation des impacts, risques et opportunités matériels de l’entreprise, de même que les processus de risque management. 

Les normes ESRS ne donnent pas de méthodologie clé en main précise pour mener l’analyse de matérialité, mais donnent de grandes orientations en vertu desquelles l’entreprise doit : 

  • analyser la matérialité d’impact et la matérialité financière (double matérialité) ; 
  • considérer la liste des sujets obligatoires fournie par l’appendice A de la norme ESRS 1, ainsi que les sujets sectoriels et entity specific ;
  • être transparente sur la prise en compte des parties prenantes pertinentes ;
  • considérer l’ensemble de la chaîne de valeur, ainsi que les différents horizons de temps (court, moyen et long terme) ;
  • respecter les critères d’évaluation qui viennent expliquer comment l’entreprise a évalué la matérialité d’un sujet. 

Remarque

Afin de faciliter la mise en œuvre de l’analyse de matérialité, l’Efrag est chargé à la demande de la Commission d’élaborer un guide d’application qui devrait être publié dans les prochaines semaines (un projet a déjà été publié en août dernier et mis à jour début septembre, de même qu’un projet sur la chaîne de valeur).

Résultats de l’analyse de matérialité

À l’issue de l’analyse de matérialité, l’entreprise détermine si le sujet de durabilité est matériel ou non :

  • si le sujet de durabilité est jugé matériel à l’issue de l’analyse de matérialité, toutes les informations qui en découlent ne sont pas nécessairement matérielles (matérialité de l’information) et ne seront donc pas forcément à fournir dans le rapport de durabilité ; autrement dit, il existe deux niveaux de matérialité : la matérialité des sujets et la matérialité de l’information ; 

Remarque

Attention toutefois, pour les sujets matériels, les informations relatives aux politiques, actions et objectifs seront obligatoires. Si l’entreprise ne dispose pas de politiques, actions et objectifs sur un sujet déterminé, elle devra alors le mentionner. 

  • si le sujet de durabilité est jugé non matériel, l’entreprise peut publier une explication succincte des conclusions de l’analyse de matérialité pour ce thème (mais ce n’est qu’une option).

Remarque

 Attention toutefois, si une entreprise conclut que le changement climatique n’est pas matériel et qu’en conséquence elle ne publie pas les informations correspondant à cette norme (ESRS E1), elle doit publier une explication détaillée des conclusions de son analyse de matérialité au regard du changement climatique. 

Lorsque les « data points » requis des réglementations européennes (SFDR, Pilier 3, Benchmark…) et repris par les ESRS ne sont pas jugés matériels par l’entreprise (sur la liste de ces « datapoints », voir appendice B de la norme ESRS 2), cette dernière doit le mentionner explicitement dans son rapport de durabilité (norme ESRS 1, § 35). En outre, les entreprises doivent publier un tableau reprenant tous ces points de données et indiquant où ils se trouvent dans leur déclaration en matière de durabilité, ou indiquant « pas important », selon le cas.

Informations classifiées ou sensibles 

Les entreprises ne sont pas tenues de publier certaines informations dont la divulgation pourrait porter atteinte aux intérêts de l’Union européenne, d’un État membre ou d’une personne physique ou morale, même si ces informations sont considérées comme matérielles à l’issue de l’analyse de matérialité (ESRS 1, § 105 s.). 

Sont concernées les informations dites « classifiées » (telles que précisément définies par la Décision 2013/488/UE du Conseil) ou « sensibles » (telles que précisément définies par le Règlement (UE) 2021/697). 

Les informations relatives à la propriété intellectuelle, au savoir-faire ou à des résultats d’innovation peuvent également ne pas être publiées à condition de respecter les conditions suivantes : 

  • l’information doit être secrète ; 
  • l’information doit représenter une valeur commerciale ;
  • l’entreprise doit avoir mis en place des mesures raisonnables pour garder cette information secrète.

 Tableau récapitulant l’analyse de matérialité

La Commission européenne a fourni un tableau illustrant l’analyse de matérialité et permettant de déterminer les informations à fournir au titre des ESRS (Appendice E de la norme ESRS 1).

Périmètre de reporting et chaîne de valeur 

Un périmètre de reporting calqué sur le périmètre de consolidation… 

La norme ESRS 1 (§ 62) pose le principe selon lequel le périmètre du rapport de durabilité correspond au périmètre des états financiers. Ainsi, lorsque la société qui établit le rapport de durabilité est la mère d’un groupe consolidé, le périmètre de son reporting de durabilité porte sur l’ensemble du groupe consolidé.

 … et étendu à la chaîne de valeur 

La norme ESRS 1 (§ 63) précise que les informations fournies dans le rapport de durabilité sont complétées par des informations sur les impacts, risques et opportunités matériels liés à l’entreprise en raison de ses relations d’affaires directes et indirectes en aval et/ou en amont de la chaîne de valeur.

Remarque

Exception au périmètre de consolidation. Le périmètre de consolidation est le point de départ, mais les ESRS introduisent la notion de contrôle opérationnel dans certains cas (notamment ESRS E1, E2, E4). Par exemple, pour le climat, certaines entités non consolidées ou mises en équivalence doivent être comptabilisées en scope 1 et 2 et non en scope 3 en cas de contrôle opérationnel. 

Selon l’Annexe 2 de l’acte délégué, le contrôle opérationnel (sur une entité, un site, une activité ou un actif) fait référence à la situation dans laquelle l’entreprise a la possibilité de diriger les activités opérationnelles et les relations de l’entité, du site ou de l’actif. 

Les informations à fournir sur la chaîne de valeur sont essentiellement des informations qualitatives permettant d’apprécier les impacts, risques et opportunités matériels liés aux entités faisant partie de la chaîne de valeur de l’entreprise déclarante (les indicateurs quantitatifs sont essentiellement à fournir sur les opérations propres de l’entreprise). 

Certains indicateurs quantitatifs peuvent toutefois être requis par les ESRS thématiques pour les entités comprises dans la chaîne de valeur. C’est le cas par exemple des informations sur les émissions de gaz à effet de serre qui sont demandées pour le scope 3. Des informations entity specific pourront également être nécessaires. 

A noter : Afin de faciliter la mise en œuvre des ESRS sur la chaîne de valeur, l’Efrag est chargé de publier un guide d’application qui devrait paraître dans les prochaines semaines

Progressivité des informations à fournir sur la chaîne de valeur 

Pendant les 3 premières années, si les informations nécessaires concernant la chaîne de valeur ne sont pas disponibles, l’entreprise est alors autorisée à ne pas fournir de l’information (mesures de progressivité), à condition (norme ESRS 1, § 132) :

  • de préciser les efforts déployés pour obtenir les informations ;
  • de préciser pourquoi les informations n’ont pas pu être obtenues ; 
  • d’indiquer le plan d’actions ou les actions en place pour pouvoir obtenir ces informations à l’avenir. 

 Il sera également possible pour l’entreprise : 

  • lorsqu’elle publie des informations portant sur les politiques, actions et cibles, conformément à la norme ESRS 2 et à d’autres normes ESRS, de limiter les informations sur la chaîne de valeur aux informations disponibles en interne, telles que les données dont l’entreprise dispose déjà et qui sont accessibles au public ;
  • de ne pas publier les « métriques » sur la chaîne de valeur, à l’exception toutefois des points de données découlant d’autres actes législatifs de l’UE (SFDR…) s’ils sont jugés matériels, tels qu’énumérés dans l’appendice B de la norme ESRS 2. 

Remarque

 Définition des métriques : indicateurs qualitatifs et quantitatifs que l’entreprise utilise pour : 

  • mesurer l’efficacité de la mise en œuvre de ses politiques en matière de durabilité et les progrès accomplis dans le temps par rapport à ses cibles et publier des informations à ce sujet ; 
  • mesurer les résultats de l’entreprise en ce qui concerne les populations touchées, l’environnement et l’entreprise. 

Structure du rapport de durabilité

La Commission européenne a retenu pour le futur rapport de durabilité la structure standardisée proposée par l’Efrag, composée de quatre sections (norme ESRS 1, § 112 s. et appendice F de la norme ESRS 1) : 

  • une première section comprenant les informations générales requises par la norme ESRS 2 ;
  • une deuxième section portant sur les informations relatives à l’environnement et dans laquelle une note spécifique comprendra les informations requises par l’article 8 du Règlement Taxonomie ;
  •  une troisième section portant sur les informations sociales ; 
  • une quatrième section relative aux informations relatives à la gouvernance. 

Toutes ces informations devront être présentées dans une section dédiée du rapport de gestion conformément à ce que prévoit la CSRD. 

L’incorporation dans le rapport de durabilité de références à d’autres informations présentées dans certains documents (autre section du rapport de gestion, états financiers, URD…) est autorisée. 

Remarque

L’AMF recommande aux sociétés de réfléchir suffisamment en amont à la manière la plus appropriée et lisible d’organiser les informations au sein de ces sections (par sous-thématique, lien entre les thématiques, etc.) au vu de leurs pratiques de communication actuelles et de la transversalité ainsi que de l’interdépendance de certains enjeux.

Par PwC, auteur du Mémento Comptable par Anne LENGLET, Associée, PwC et Axelle VIGNE, Senior Manager, PwC