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26 septembre 2024
Alors que les premiers rapports de durabilité issus de la directive CSRD verront le jour en 2025, comment les juristes s’en sont-ils emparés ? Et avec quelles perspectives ? Réponses lors d’un afterwork organisé le 24 septembre par l’AFJE chez Lefebvre Dalloz.

Un article issu du quotidien ActuEL Direction Juridique

Après un long processus d’adoption, la directive CSRD est entrée en vigueur le 1er janvier 2023 et a été transposée en droit français par l’ordonnance du 6 décembre 2023. L’essence de ce texte est d’« harmoniser les standards afin que les reporting de durabilité soient réalisés avec la même rigueur et de la même façon par les entreprises », rappelle Abrial Gilbert d’Halluin, conseiller politique d'un eurodéputé, ancien sherpa de Pascal Durand, rapporteur de la CSRD. Et avec l’« ambition d’attirer la finance verte vers les entreprises les plus vertueuses, voire en faire un facteur différenciant pour l’attractivité des capitaux pour les entreprises européennes », poursuit-il. Alors qu’un des seuls messages qui circule est la charge administrative que la directive CSRD fait peser sur les entreprises, qu’en est-il réellement ? Quel rôle jouent les juristes dans la mise en oeuvre du texte ? Et comment le perçoivent-ils à la lumière des autres réglementations ? Des questions auxquelles Carmen Briceno, directrice juridique et conformité de Raja a répondu lors de cet afterwork animé par Sophie Bridier, rédactrice en chef Europe ESG de Lefebvre Sarrut. Comme de nombreuses entreprises, Raja - groupe français spécialisé dans la fabrication d’emballage, de fournitures et d’équipements de bureau, présent dans toute l’Europe, comptant 5000 salariés – est déjà familière de la DPEF (déclaration de performance extra financière) qui sera donc remplacée par le rapport de durabilité.

Alors que les grandes entreprises cotées, devront le réaliser pour 2025, les grandes entreprises et groupes, comme Raja, devront le faire en 2026. Ce qui ne les empêche pas de s’y préparer, surtout à la direction juridique.

Elaborer une matrice de durabilité 

Se préparer à la réalisation du premier rapport de durabilité commence par « la sensibilisation et la formation de l’instance dirigeante pour les embarquer dans la procédure puis par un travail sur la gouvernance »,explique Carmen Briceno.

« Aujourd’hui, nous sommes dans l’élaboration de notre matrice de durabilité (analyse de la double matérialité) qui est une étape charnière car c’est elle qui va nous permettre de bien effectuer notre reporting ensuite », poursuit-elle.

C’est un exercice nouveau car avec la DPEF, il était limité à la matérialité simple qui consistait à identifier les éléments extra-financiers qui pouvant avoir une incidence sur la valeur financière. Avec la double matérialité, on va au-delà puisqu’il s’agit d’analyser la matérialité d’impact – comment l’activité de l’entreprise va impacter l’environnement ? - et la matérialité financière – comment l’environnement peut-il affecter l’activité de l’entreprise ? Carmen Briceno prend l’exemple d’un fabricant de papier, « la matérialité d’impact sera d’évaluer si le bois qui permet la fabrication du papier est issu d’une surexploitation, de la déforestation, si dans la fabrication du papier j’utilise plus d’eau que nécessaire, si l’eau qui est rejetée après est polluée ou pas ? Pour la matérialité financière, il faudra se demander si avec la réglementation sur la déforestation j’aurais moins de bois pour fabriquer mon papier, si la matière première coutera plus chère ou ne sera plus disponible ? Ou encore si mon usine se situe dans un endroit où les températures sont tellement hautes en raison du réchauffement climatique que je ne peux pas faire travailler mes salariés, quel sera l’impact sur mon activité ? ».

Défis, risques et opportunités

Au-delà de l’exercice de double matérialité qui représente un défi certain pour les entreprises, le reporting est source de bien d’autres :

  • la gouvernance qui est un élément clé de la procédure. Pour Carmen Briceno, « il faut bien définir la feuille de route et les intervenants de ce projet. Chez nous, il s’agit de la direction développement durable, le juridique, la finance, la direction achat, commerciale, logistique ect. » ;
  • l’analyse de toute la chaine de valeur de la société qui peut s’avérer complexe car « il ne s’agit plus du rang 1 de cette chaine uniquement et qui est difficile notamment pour la recherche et la collecte des données », explique-t-elle ;
  • la temporalité de l’exercice à réaliser à court, moyen et long terme ;
  • la méthodologie car il faut prendre en compte des nouveaux référentiels et bien les connaître ;
  • le traitement de toutes les données collectées.

Les risques ne sont pas moindres. Bien que la directive CSRD ne prévoit aucune sanction pour la non présentation des informations de durabilité, il existe de multiples risques juridiques liés aux questions abordées grâce au texte (concurrence, marchés financiers, responsabilité contractuelle, allégations environnementales trompeuses)… Les risques peuvent aussi être d’ordre financier, réputationnel, ou business avec une possibilité de déréférencement en matière de commande publique par exemple.

Quant aux opportunités, il y en a beaucoup. « Les entreprises vont pouvoir s’interroger sur leur modèle d’affaires et voir comment faire la transition vers des modèles d’économie circulaire qui peuvent aider à la pérennité de la société. Avec cette démarche vertueuse, on va attirer les investissements, les clients et les talents. Elle va nous permettre d’avoir accès à une information standardisée pour notamment nous comparer, donner la même information à tous et bien sûr de faire des économies ou innover », explique la directrice juridique de Raja.

La CSRD et après ?

Les textes sur la durabilité sont nombreux. Parmi eux, la directive CS3D (JOUE 5 juillet 2024), le règlement déforestation (JOUE 9 juin 2023 ) et le règlement visant à interdire des produits issus du travail forcé sur le marché de l’UE (texte adopté, en attente de publication ). « Ces 3 textes sont liés et obligent à mettre en place un processus de diligence raisonnable. Pour la déforestation par exemple, il faut aller jusqu’à la parcelle où le produit a été fait (huile de palme, cacao…) et déclarer dans un registre européen, ce qui est chronophage et difficile à mettre en place », explique Carmen Briceno. Elle rappelle également que « la Commission européenne dans sa FAQ sur la CSRD parle du devoir de vigilance et de la relation entre CSRD et CS3D. Cette dernière va être le cadre général pour la diligence raisonnable induite par les deux autres textes ».

D’autres textes sont aussi à prendre en compte suivant les secteurs d’activités comme 

  • le règlement MACF : mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (JOUE 16 mai 2023) ;
  • la directive pour donner aux consommateurs les moyens d’agir pour la transition écologique (JOUE 28 février 2024) ;
  • la directive Green Claims (début des trilogues Q4 2024) ;
  • le règlement écoconception produits durables: (JOUE 13 juin 2024) ;
  • la directive sur le droit à la réparation (JOUE 13 juin 2024) ;
  • le règlement emballages et gestion de déchets d’emballages (texte adopté, en attente de publication) ;
  • la révision de la directive cadre sur les déchets (début de trilogues-Q4 2024).

Le problème avec tous ces textes est que « la Commission n’a pas travaillé ensemble dans les différentes DG et on se retrouve avec un manque de cohérence. Il faut arriver à donner une cartographie de ce qui est sortie du green deal et à recréer une cohérence entre ces textes sans nécessairement amener de la déréglementation », conclut Abrial Gilbert d’Halluin.

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