Le 20 octobre, le Premier ministre Michel Barnier a déclaré vouloir reporter l’entrée en application de certaines législations européennes. Dans un entretien accordé au Journal du dimanche, il évoque un « dispositif – une forme de moratoire, par exemple – qui puisse reporter de deux ou trois ans la date d’entrée en vigueur de réglementations très lourdes », voire de « normes » et « contraintes déraisonnables ». Il vise notamment la directive CSRD dont il conviendrait, selon lui, « de réexaminer la portée ». Après la publication du rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité en UE, le chef du gouvernement français évoque la nécessité d’une simplification administrative et va même encore plus loin. Pour la première fois en France, un Premier ministre remet en cause le Green Deal européen. Ses déclarations sont loin de faire l’unanimité.
Un frein pour l’environnement
Le Green Deal a pour ambition d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050 pour respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Pierre angulaire de ce Pacte Vert, la directive CSRD, que la France a transposée par ordonnance du 6 décembre 2023, fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier. « Il est important de rappeler que son objectif est d’aider les investisseurs et autres parties prenantes à évaluer les performances des entreprises en matière de durabilité. Sans la mise en œuvre de cette directive dans les délais prévus, il ne sera pas possible d’atteindre le niveau d’harmonisation souhaité des informations de durabilité dans l’UE, ce qui pourrait reporter les bénéfices d’une transparence et d’une lisibilité accrue », estime Carmen Briceno, directrice juridique et conformité du groupe Raja. De son point de vue de juriste, reporter l’application des textes issus du Green Deal ne serait pas seulement « un frein pour l’environnement, mais compromettrait également les objectifs de positionnement, de compétitivité économique et d’innovation des entreprises européennes sur la scène mondiale ». Une position que ne partagent pas les organisations patronales. Dans un communiqué commun du 25 octobre, la CPME, l’ANSA et le METI considèrent que « l’énorme effort demandé aux acteurs économiques » justifie « qu’on mette sur pause cette folie normative ».
Une déclaration politique
Pour autant, la France peut-elle valablement reporter l’entrée en vigueur de la directive CSRD ? Les déclarations du Premier ministre sont contestées. « Michel Barnier n’a pas la possibilité, même en tant que Premier ministre de remettre en cause l’application d’une directive européenne. Sa déclaration est politique », alerte Alan Fustec, président de l’Agence LUCIE, centre de formation RSE. De plus, si la France retardait l’application de textes européens, elle s’exposerait à des sanctions. « Nous courons actuellement le risque que dans un futur plus ou moins proche, le texte soit lourdement amputé sans aucun discernement écologique », ajoute Alan Fustec. Ce dernier propose ainsi de « ne pas changer le calendrier », « passer le message aux cabinets d’audit de faire preuve discernement et d’indulgence », et d’« engager rapidement la production d’une deuxième version de la CSRD qui va dans le sens d’une simplification forte, mais portée par des personnes très attachées à une transition écologique efficace et qui connaissent bien le monde de l’entreprise ».
Des messages contradictoires
Pour les premiers émetteurs du reporting de durabilité, le train est déjà en marche. Les entreprises ont fourni des efforts financiers et humains pour être en conformité. Pour Carmen Briceno, « ces déclarations peuvent entraîner des conséquences négatives pour les entreprises en véhiculant des messages contradictoires sur l’urgence et l’importance de la préservation des services écosystémiques et décourager leurs démarches de durabilité ». Un constat que partage Dominique Dedieu, avocate, pour qui il serait « contre-productif de remettre en cause le travail colossal et les frais déjà engagés par les entreprises ». Plutôt que de remettre en cause les textes de loi adoptés, il faudrait au contraire accompagner les entreprises. « Parler d’un moratoire sans autre précision, c’est décourager les entreprises. Les pouvoirs publics doivent au contraire prendre leur part de responsabilité et trouver tous les bons moyens de les encourager à respecter leurs lourdes obligations en matière environnementale comme au regard des droits humains », ajoute l’avocate. Récemment interrogé, Matignon a indiqué qu’il ne s’agirait en aucun cas de « violer le droit européen ». Toutefois, le gouvernement est bien déterminé à faire évoluer le contenu des obligations et les dates d’entrée en application de certains articles. « Aujourd’hui, des entreprises qui ne se sont pas encore mises à la CSRD se disent qu’elles vont peut-être y échapper. Pour elles, le « peut-être pas » est très déstabilisant car il donne le sentiment que, finalement, la planète peut attendre. Cette situation est la pire qui soit. Il vaudrait mieux ne jamais reculer mais adapter en avançant », conclut Alan Fustec.