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5 juillet 2023
La fonction achat doit être en première ligne de la transition durable de toute entreprise afin de permettre de sécuriser ses approvisionnements en cas de crise et de servir de levier à l'évolution de son modèle d'affaire.

L’achat d’un produit entraîne nécessairement un impact environnemental ou social dans la chaîne de valeur du donneur d’ordre. Opter pour des achats plus responsables permet de réduire ses impacts. Découlant des principes plus globaux du développement durable, les achats responsables (ou achats durables) sont l'intégration des principes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans les processus et décisions d'achat. 

Parmi les critères fréquemment utilisés pour les achats responsables, on peut citer la prise en compte :

  • de l’environnement : performance énergétique et réduction des émissions de gaz à effet de serre, préservation des ressources (eau, matières premières) et restriction maximale des déchets et polluants ;
  • de l’éthique sociale : droits de l’Homme (discriminations, travail des enfants, travail forcé…) et conditions de travail (sécurité, droit d’expression et de représentation, rémunération…) ;
  • et de l’économie : qualité des produits et services, coûts, délais.

 Les achats responsables permettent notamment :

  • de minimiser les risques concernant les pratiques commerciales d’une entreprise ;
  • d’assurer le respect des législations environnementales et sociales ;
  • d’améliorer la perception de la marque par le client ;
  • d’aider à maitriser les coûts en adoptant une approche plus large de l'évaluation des coûts sur l'ensemble du cycle de vie ;
  • de créer des marchés pour les nouveaux produits et services ;
  • de réduire les déchets et améliorent l'efficacité des ressources ;
  • de fournir un avantage compétitif sur les marchés mondiaux.

Le sujet des achats responsables n’est pas si récent mais il devient de plus en plus incontournable en raison de l’évolution de la réglementation (loi AGEC, loi Climat Résilience etc.) et de l’arrivée du devoir de vigilance afin de mieux maîtriser les risques. 

Certaines entreprises soumises au devoir de vigilance n’ont pourtant pas encore fait leur cartographie ni mis en place des outils adaptés. Afin de présenter ces enjeux, EcoLearn, organisme de formations dédiées à la durabilité, a organisé un webinaire le 4 juillet 2023 intitulé « Achats durables : un des piliers principaux vers la durabilité ? ». Le cabinet de conseil et d'accompagnement spécialisé dans les achats responsables Buy Your Way et l’Observatoire économique national des achats responsables (OBSAR) ont également participé à cette table-ronde. Qu’en est-il ?

Paradoxe entre hause des achats durables et baisse des prises d’opportunités

Transformer l’essai de l’achat durable

Si on observe une véritable transition de la chaine d’approvisionnement en faveur de la maîtrise des risques et de l’optimisation des problématiques sociales et environnementales via des achats plus responsables, le sujet des prises d’opportunités liées à ces achats serait en baisse. Pourtant aujourd’hui les enjeux sont dans les chaines de valeur, c’est-à-dire de l’amont à l’aval. Il existe plusieurs axes d’opportunités d’achat : cela peut être l’augmentation de la valeur matière avec de l’innovation produit comme par exemple via l’écoconception, l’obtention d’un label comme celui Relations Fournisseurs & Achats Responsables, l’amélioration des relations fournisseurs pour plus de proximité, via des partenariats etc. Il est donc très avantageux et porteur de sens d’optimiser au maximum sur ces opportunités, qui inonderaient ainsi toute la chaine, du haut vers le bas.  Un champ immense de collaboration doit se mettre en place pour co-construire plus durable. Les secteurs du textile et de la cosmétique agissent par exemple déjà beaucoup de concert à l’échelle de l’industrie. Cela permet surtout de repenser son business model et d’analyser tous ses intrants afin de saisir l’opportunité de le faire évoluer vers toujours plus de durabilité !

Exemple d’opportunité de développement de processus industriel plus durable : le flacon Chanel 5 en verre recyclé

Voici un exemple de ce qui n’existait pas et qui a pu être développé entre plusieurs partenaires en faveur d’achats plus durables. Il s’agit de la collaboration entre Chanel et l’entreprise Pochet du Courval, fabricant de flacons de parfums et pots pour le soin en verre. Elle a permis de développer un processus industriel permettant de maitriser avec précision les différentes étapes de la chaine de valeur afin de créer un nouveau flacon pour le parfum Chanel 5 contenant 15 % de verre recyclé issu du verre ménager, spécialement trié pour avoir les bonnes propriétés chimiques pour un verre transparent et brillant comme du cristal. Avec à la clef un impact carbone significatif puisque pour un million de flacons produits sous ce nouveau procédé, plus de 25 tonnes de matières premières vierges ont en moyenne été économisées !

Achats durables et émissions de GES : l’arbre qui cache la forêt !

Pour l’évolution des pratiques, l’OBSAR insiste sur l’explosion du sujet climatique qui n’était pas sur la table il y a encore trois ans, avec un intérêt jusqu’alors porté surtout sur le social. Les impacts des émissions de GES des achats sont très lourds et les moyens à mettre sont donc énormes. Précisons que le fameux « scope 3 » du bilan Carbone peut représenter jusqu’à 95 % de l’empreinte environnementale ou sociale d’une entreprise.

Bilan carbone : il existe trois champs d’application pour faire son bilan carbone : le scope 1, le scope 2 et le scope 3.

  1. Le scope 1 concerne les émissions directes de GES, c’est-à-dire qui proviennent de sources détenues ou contrôlées par une entreprise (par exemple les émissions liées aux équipements et installations d’une entreprise, ou encore les émissions liées au carburant consommé par ses véhicules). 
  2. Le Scope 2 concerne les émissions indirectes de GES liées à l’énergie (production d’électricité, de chaleur, de froid, de vapeur, etc. achetée/importée ou vendue/exportée par une entreprise).
  3.  Le Scope 3 concerne les autres émissions indirectes de GES sur toute la chaîne de valeur. Cela concerne les émissions résultant des activités d’une entreprise, mais qui proviennent de sources appartenant ou étant sous le contrôle d’une autre entreprise. Ces émissions ne sont pas directement liées à la fabrication du produit, mais plutôt à toutes les autres étapes de son cycle de vie, de l’approvisionnement des matières premières jusqu’au traitement des déchets.

Mais pour l’OBSAR, la question climat est devenue l’arbre qui cache la forêt, car certaines entreprises ne se concentrent plus que sur cette problématique, au détriment de la prise en compte de la biodiversité, du volet social, etc.

Electrochoc de la covid 19

Les crises des dernières années, et notamment la crise sanitaire de la Covid 19, ont refaçonné les modèles d’achats et d’approvisionnement en entreprise. Elles ont eu à gérer en urgence la pénurie et le manque de capacité de gestion de la part de leurs fournisseurs. Comment assurer le futur et avoir toujours un accès à la ressource de manière éthique et durable ? Selon EcoLearn, c’est la proximité avec les fournisseurs qui permet de pallier ces crises et de trouver des solutions. Elles ont ainsi été l’occasion de mieux se renseigner sur ses chaines d’approvisionnement, et de les simplifier pour les rendre plus souples et efficaces. Elles ont également permis d’accélérer la transformation du business model en étant un levier de questionnement sur les produits eux-mêmes. Les crises permettent ainsi de se remettre en question et de se recentrer sur les fondamentaux pour assurer le maintien de l’activité. Cela entraine un phénomène en cascade vertueuse, des grandes entreprises qui optent de plus en plus pour des achats durables, qui se répercutent sur les entreprises moyennes et plus petites. 

Autre bonne nouvelle : les crises ont revalorisé le métier de l’acheteur selon Arnaud Herrmann, cofondateur d'EcoLearn. Toutefois, on peut craindre qu’elles ne soient qu’un prémice de crises futures plus régulières, et que les équipes achats soient de plus en plus sollicitées. Il faut apprendre à être capable de gérer les urgences immédiates d’approvisionnement tout en réfléchissant aux solutions en cas de futures pénuries dans les années à venir…

Quid de l’enjeu de la collecte des données par les responsables achats

Un enjeu considérable des achats durables concerne la collecte des données et leur gestion par les directions achats. Les responsables achats sont en effet confrontés à des sources multiples de data et à un manque de moyens et de temps pour mener à bien ce travail. Or, récolter les données physiques sur les matières, les quantités, les volumes de la part des fournisseurs est indispensable pour prouver la durabilité des produits. Toutefois, dans de nombreux cas, les données ne sont pas collectées ou difficiles à collecter. C’est donc un défi à relever pour les directions achats !

Attention, se pose aussi la question de comment exploiter les données… Car tout le monde sait que l’on peut tirer diverses conclusions pour des même chiffres.

Quels sont les obstacles pour des achats plus responsables ?

Les principaux freins relevés par la table ronde sont les suivants :

  • absence de volonté des dirigeants : si les équipes opérationnelles sont demandeuses, il doit toutefois y avoir une volonté de la direction en faveur des achats responsables, ce qui n’est pas toujours le cas. La démarche RSE et achats responsables doit vraiment venir des dirigeants, des managers, puis être partagée à tous les niveaux d’une entreprise ou d’une organisation.

Pour convaincre de l’intérêt des achats durables, il faut trouver la corde sensible de l’interlocuteur. La peur ou les arguments angoissants ne feront qu’entrainer un besoin de sécurité en ne faisant pas évoluer le business model. Un discours moralisateur ne permettra donc pas d’impulser une nouvelle démarche.

  • le manque de compétence en interne ;
  • des objectifs contradictoires en interne : par exemple le prescripteur achat et la direction achat ne sont pas toujours d’accord. Alors qu’une volonté d’achat durable doit être alignée dans toute une entreprise, il faut pour cela que tout le monde comprenne bien les enjeux et notamment les prescripteurs ;
  • dichotomie entre la performance financière (faire des économies) et celle extra-financière en faveur du développement durable. On reste dans un monde de compétition économique propre à chaque entreprise, alors que la question des impacts environnementaux passe essentiellement par de la coopération entre les différents acteurs de la chaine. 

Doit se poser la question : « qu’est-ce que je garde dans le champ de la compétition pour me différencier et qu’est ce que je partage en faveur des achats durables ? » 

- changer le business model : par exemple, pour réduire les GES des achats, il faut se poser la question « comment se fournir autrement ou changer de produit » . A titre d'illustration, utiliser des avocats du Pérou pour un produit cosmétique est très émetteur en GES et une solution alternative plus durable doit être trouvée. Mais ce n’est pas toujours évident en pratique !  

Anne-Laure TULPAIN, Code permanent Environnement et nuisances