Pour rappel, des règles spécifiques quant aux durées maximales de travail existent en présence de travailleurs de nuit. Ainsi pour eux la durée maximale hebdomadaire de travail, calculée sur une période de 12 semaines consécutives, ne peut dépasser 40 heures en principe (C. trav., art. L. 3122-7). Toutefois, et sous certaines conditions, un accord d'entreprise, d'établissement ou de branche peut prévoir le dépassement de cette durée lorsque les caractéristiques propres à l'activité d'un secteur le justifient (C. trav., art. L. 3122-18). Mais qu’advient-il si le plafond de la durée hebdomadaire de travail n’est pas respecté ? Le salarié peut-il être indemnisé ? C’est ce que tranche la chambre sociale dans un arrêt du 27 septembre.
Une nouvelle exception au fait qu’un préjudice est nécessaire pour pouvoir être indemnisé
En 2016, la chambre sociale, s’alignant sur la jurisprudence des autres chambres de la Cour de cassation ainsi que sur celle du Conseil d’État, avait fixé une règle générale sans ambiguïté : tout manquement de l'employeur doit en principe causer un préjudice au salarié pour ouvrir droit à des dommages-intérêts (Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.293). Mais depuis, de nombreuses exceptions ont été dégagées. Cette affaire en est un nouvel exemple.
En l’espèce, un conducteur de transports ayant le statut de travailleur de nuit avait, suite à son licenciement, demandé le paiement d’une indemnité pour non-respect des durées maximales de travail. Selon sa convention collective, la durée du travail effectif hebdomadaire calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives ne pouvait pas excéder 46 heures, durée régulièrement dépassée selon l’intéressé. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel avait notamment retenu qu'il ne justifiait pas d'un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur. Fin de non-recevoir pour la Cour de cassation, qui réaffirme que « le dépassement de la durée maximale de travail ouvre, à lui seul, droit à la réparation ».
Une exception prévisible, et qui pourrait encore se généraliser
Pas de surprise dans le raisonnement tenu par la Cour, puisqu’elle avait déjà suivi le même à plusieurs reprises concernant le dépassement des durées maximales hebdomadaire (Cass. soc., 26 janv. 2022, n° 20-21.636) et quotidienne de travail (Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-22.281) des travailleurs « de jour ».
Pour elle, les dispositions du code du travail sur le travail de nuit participent de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par les directives européennes 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et 2002/15/CE relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier. De plus, en vertu de l'article 1315 (devenu 1353) du code civil, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. « Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur », or la cour d’appel n'avait pas constaté que ce dernier justifiait avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit.
Logiquement et au vu des arrêts précédents en la matière, la solution dégagée pourrait bien, dans de prochaines affaires, s’étendre aux cas de non-respect de la durée maximale quotidienne de travail des travailleurs de nuit. A suivre donc…