Ce panorama offre un éclairage sur les évolutions jurisprudentielles récentes visant à renforcer la lutte contre le travail dissimulé.
Préjudice de l’Urssaf en cas de travail dissimulé (Cass. crim., 21 janv. 2025, n° 23-85.053 et 23-85.595)
Contexte
L’Urssaf peut, en présence d’une infraction de travail dissimulé, agir en justice pour obtenir la réparation du préjudice résultant du défaut de paiement des cotisations éludées (Cass. crim. 13 mai 2014 n°3-81.240 F-PBI ; Cass. crim. 10 janvier 2023 n°21-86.240 F-D).
Comment faut-il évaluer le préjudice de l’Urssaf ?
Faits
À la suite de la condamnation d’un gérant pour travail dissimulé, l’Urssaf territorialement compétente s’est constituée partie civile en effectuant le calcul du montant de son préjudice dans ses conclusions. Les juges valident les calculs de l’Urssaf quant à son préjudice, relevant qu’elle avait détaillé et justifié ses calculs établissant précisément son préjudice.
Solution
La Cour de cassation n‘est pas du même avis que la Cour d’appel. Dans ses conclusions, l’Urssaf a incorporé dans le calcul de son préjudice les majorations du montant du redressement des cotisations et contributions sociales en cas de constat de l'infraction de travail dissimulé prévues à l'article L. 243-7-7 du code de la sécurité sociale ainsi que les suppressions des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations et contributions de sécurité sociale prévues par l'article L. 133-4-2 dudit code. Cependant, ces sommes revêtant le caractère de punition, elles ne peuvent donc pas entrer dans l’évaluation dommage subi par l’Urssaf.
Travail dissimulé par faux détachement (Cass. crim., 4 févr. 2025, n° 23-86.625)
Contexte
Une entreprise ne peut appliquer la réglementation sur le détachement à ses salariés qu'à certaines conditions. Elle est coupable de travail dissimulé si elle se prévaut des règles sur le détachement alors qu’elle exerce dans l'État sur le territoire duquel il est établi des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative, ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue (C. trav., art. L. 8221-3, 3°).
Une société espagnole dont l’activité principale est le détachement de salariés en France peut-elle se prévaloir des règles sur le détachement de travailleur ?
Faits
Une société de droit espagnol détachait sur le territoire français des travailleurs équatorien auprès d’exploitants agricoles. À la suite de six contrôles effectués par l’Inspection du travail, la société et les exploitants agricoles ont été condamnés pour travail dissimulé. La société et le ministère public se sont pourvus en cassation en se prévalant des règles de détachement de travailleurs en France, notamment l’article 4 de la directive n° 2014/67/UE du 15 mai 2014, relative à l'exécution de la directive n° 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
Solution
La Cour de cassation ne fait pas droit aux demandes des parties et se range derrière l’interprétation de la cour d’appel. Les sages retiennent que la société espagnole exerçait la plupart de son activité en France, envoyant des travailleurs équatoriens en France aussitôt le contrat signé, sans n’avoir effectué aucun jour de travail en Espagne. Le siège Espagnol de la société ne faisait donc que masquer un détournement de la procédure française de détachement de travailleurs.
Solidarité financière du donneur d’ordre : le rôle du juge (Cass. 2e civ., 30 janv. 2025, n° 22-19.808)
Contexte
La solidarité financière du maître d'ouvrage ou du donneur d'ordre peut être recherchée s’il n’a pas respecté son obligation générale de vérification (C. trav., art. L. 8222-1 et D. 8222-4 à D. 8222-8). Pour ce faire, le donneur d’ordre doit s’assurer que son cocontractant (C. trav., art. L. 8222-1, R. 8222-1 et D. 8222-5) :
- est inscrit au Registre du commerce ou au Registre national des entreprises (répertoire des métiers avant 2023), lorsque cette inscription est obligatoire ;
- a procédé aux déclarations obligatoires auprès des organismes de protection sociale et de l'administration fiscale ;
- a effectué les formalités nécessaires en cas d'emploi de salariés.
Pour cela, le cocontractant lui délivrera une attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l'organisme de recouvrement, appelée aussi attestation de vigilance.
Le juge doit-il vérifier s'il existe des discordances évidentes entre l'attestation de vigilance et les informations portées à la connaissance du donneur d'ordre ?
Faits
À la suite du contrôle d’une entreprise qui se trouvait être la sous-traitante d’une autre, l’Urssaf a adressé une lettre d’observation à la société donneuse d’ordre au motif de la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1. La société donneuse d’ordre forme opposition à contrainte. Et les juges du fond annulent le redressement opéré au titre de la solidarité financière au motif que la société donneuse d’ordre avait effectué les vérifications nécessaires auprès de son sous-traitant qui lui avait fourni des relevés de cotisation payée à l’Urssaf, le nombre de salariés et une attestation de vérification de l'authenticité de l'attestation de vigilance. L’Urssaf forme un pourvoi car pour elle il existait des discordances évidentes et grossières entre les informations contenues dans l’attestation et les termes du contrat conclu avec le sous-traitant.
Solution
La Cour de cassation casse l’arrêt annulant le redressement, pour défaut de base légale. Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché s’il existait une discordance entre les mentions de l’attestation de vigilance et les informations dont le donneur d’ordre pouvait avoir connaissance.
Attestation de vigilance (Cass. 2e civ., 5 déc. 2024, n° 22-21.152)
Contexte
Le donneur d’ordre est considéré avoir rempli son obligation générale de vérification s’il se fait remettre, entre autres, une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions, dite attestation de vigilance, datant de moins de 6 mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
Le donneur d’ordre qui s’est fait remettre une attestation de vigilance ne contenant pas les informations exigées par le code de la sécurité sociale, a-t-il rempli son obligation générale de vérification ?
Faits
À la suite du contrôle d’une entreprise sous-traitante, et l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé, l’Urssaf territorialement compétente a adressé une lettre d’observation, une mise en demeure ainsi qu’une contrainte à la société donneuse d’ordre. Cette dernière forme opposition à contrainte, la cour d’appel annule le redressement au motif que la société donneuse d’ordre avait fait les vérifications nécessaires car elle s’est fait remettre une attestation RSI visant la situation personnelle du sous-traitant et une simple attestation sur l’honneur dans laquelle cette dernière avait certifié n’employer que des salariés régulièrement déclarés. L’Urssaf forme donc un pourvoi en cassation au motif que les documents fournis par la société sous-traitante ne suffisent pas à considérer que les vérifications imposées par l’article L. 8222-1 du code du travail ont été effectuées.
Solution
La Cour de cassation fait droit à l’Urssaf et casse l’arrêt au motif que la société sous-traitante, qui certifiait n’avoir recours qu’à des salariés déclarés, n'avait pas fourni au donneur d'ordre l'attestation de vigilance comportant les informations exigées par l'article D. 243-15 du code de la sécurité sociale, ce dont il résultait que le donneur d'ordre n'avait pas procédé aux vérifications qui lui incombaient.
Un avantage en nature non déclaré constitue du travail dissimulé (Cass. soc., 4 déc. 2024, n° 23-14.259)
Contexte
La dissimulation d’emploi salarié est constituée, entre autres, lorsque l’employeur s'est soustrait intentionnellement à l'accomplissement, auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, des déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci (C. trav., art. L. 8221-5). Le caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi est laissé à l’appréciation des juges du fond, qui doivent cependant rapporter la preuve de la volonté de l’employeur de dissimuler l’emploi.
L’omission sur le bulletin de salaire, par l’employeur, de la mise à disposition gratuite d’un logement, est-elle constitutive de travail dissimulé ?
Faits
Un salarié demande à la suite de son licenciement, entre autres, une indemnité pour travail dissimulé au titre de l’absence de déclaration de la mise à disposition à titre gratuit d’un logement par son employeur. La Cour d’appel fait droit aux demandes du salarié, l’employeur forme alors un pourvoi en cassation. Pour sa défense, l’employeur précise que le salarié n’avait déclaré qu’une seule adresse, qui n’était pas l’adresse du logement qui lui aurait été mis à disposition, et que le délit de travail dissimulé par dissimulation partielle d’emploi salarié est caractérisé par le défaut intentionnel d'établissement des déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales. Alors, le seul manquement de l’employeur ne saurait caractériser l’élément intentionnel de l’infraction.
Solution
La Cour de cassation ne fait pas droit aux demandes de l’employeur et se range derrière l’interprétation de la Cour d’appel. Les sages rappellent que la mise à disposition d'un logement de fonction de manière gratuite est constitutive d'un avantage en nature qui doit, à ce titre, être évalué pour être soumis à cotisations sociales. Ainsi, la cour d’appel a constaté, à bon droit, que le salarié étant logé par son employeur, l’omission sur les bulletins de salaire d’un tel avantage, caractérise l’intention de l’employeur de dissimuler cet avantage.
Absence de remise des bulletins de salaire (Cass. soc., 12 févr. 2025, n° 23-19.999)
Contexte
La dissimulation d'emploi salarié est constituée lorsque l'employeur s'est soustrait intentionnellement à la remise de bulletin de paie à chacun de ses salariés, prévue à l'article L. 3243-2 du code du travail (C. trav., art. L. 8221-5).
Cependant, la seule absence de délivrance de plusieurs bulletins de paie ne suffit pas à caractériser le délit de travail dissimulé. Il est nécessaire de caractériser l'intention de l'employeur de dissimuler l'emploi de son salarié (Cass. soc., 22 janv. 2014, n° 09-42.672).
L’élément intentionnel du délit de travail dissimulé peut-il être caractérisé par l’absence de justification, par l’employeur, de la remise des bulletins de salaire ?
Faits
Un salarié a informé son employeur de sa volonté de démissionner pour défaut de paiement de ses salaires depuis le mois de juin, un an après il saisit la juridiction prud'homale de demandes en paiement de dommages-intérêts au titre de la rupture anticipée du contrat de travail et de son exécution. La cour d’appel fait droit aux demandes du salarié et condamne, entre autres, l’employeur à payer au salarié une indemnité forfaitaire de travail dissimulé au motif que l’employeur ne justifiait pas de la remise des bulletins de salaire par les pièces versées au débat ni en se prévalant de ce que les charges sont toujours prélevées par la caisse générale de sécurité sociale. L’employeur forme alors un pourvoi en cassation en soutenant que la cour d’appel ne pouvait déduire comme elle l’a fait, que l’élément intentionnel du délit de travail dissimulé était caractérisé.
Solution
La Cour de cassation fait droit aux demandes de l’employeur en affirmant que les motifs retenus par la cour d’appel ne sont pas suffisants pour caractériser l’élément intentionnel de l’absence de remise du bulletin de salaire.