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13 février 2025
Dans sa décision cadre n° 2025-019 du 5 février 2025, la Défenseure des droits, saisie de nombreuses réclamations, lève le voile sur les difficultés liées aux enquêtes internes menées par les employeurs en matière de discrimination et de harcèlement. Elle formule des recommandations afin de mener une enquête interne efficace et protectrice de la santé des salariés dans un rapport détaillé, dont nous vous présentons la synthèse.

Lorsqu’une situation de harcèlement moral ou de discrimination est portée à la connaissance de l’employeur, l’enquête interne constitue le moyen le plus efficace pour ce dernier d’assurer son obligation de santé et de sécurité. Elle lui permet en effet d’évaluer la nature et la réalité des faits qui lui sont rapportés, afin de prendre une décision éclairée. L’enquête bénéficie donc à la fois à l’employeur, pour qui le fait de conserver l’auteur d’actes de harcèlement ou de discrimination dans ses effectifs comporte un risque juridique, et aux salariés, qui ont tout intérêt à ce que ces agissements cessent le plus rapidement possible.

Pourtant dans son rapport, la Défenseure des droits Claire Hédon part du constat suivant : il n’existe aucun formalisme précis, ni aucune méthodologie rigoureuse concernant ce dispositif d’enquête interne. Les principes qui la régissent sont dispersés dans différents textes et guides, ce qui génère une hétérogénéité dans les pratiques d’investigation, une défiance des salariés vis-à-vis des dispositifs d’enquête, et partant, un taux de non-recours important aux mécanismes de signalement par les victimes et les témoins.

Remarque

la Défenseure des droits relève ainsi que le taux de non-recours s’élèverait à un tiers des victimes de discrimination, et près d’un tiers des victimes de harcèlement sexuel et violences sexistes. Les raisons invoquées sont : l’absence de connaissance des dispositifs, la crainte des représailles, l’inefficacité des dispositifs.

La décision-cadre rendue par la Défenseure des droits constitue un véritable mode d’emploi et guide des bonnes pratiques à l’attention des employeurs, dont voici un résumé sous forme de tableaux.

En amont : le signalement

Le signalement est le point de départ de l’enquête interne. Il s’agit du mécanisme par lequel le salarié signale une situation à l’employeur, entraînant l’obligation pour ce dernier de traiter le signalement par la réalisation d’une enquête interne. Il est également recommandé de mettre des dispositifs d’écoute à la disposition des salariés.

Les dispositifs d’écoute

Permettent d’orienter la victime ou le témoin vers les dispositifs de signalement :
• ils n’entraînent pas l’obligation pour l’employeur d’organiser une enquête ;
• ils doivent permettre d’informer la victime ou le témoin sur ses droits ;
• ils doivent orienter vers des professionnels compétents chargés de leur accompagnement / soutien ;
• ils sont composés de personnes internes ou externes à l’entreprise, formées à l’écoute, n’ayant pas l’obligation de transmettre les signalements à l’employeur (il est donc préférable de ne pas associer de RH à cette étape de la procédure).

Les dispositifs de signalement

Ils doivent être facilement accessibles :
• via différents canaux : adresse e-mail dédiée, téléphone, chat en ligne ou accueil physique ;
• à l’ensemble des agents et salariés, y compris les intérimaires, stagiaires, apprentis, volontaires en service civique, bénévoles ;
• externalisation ou mutualisation du dispositif ne doit pas imposer à la victime de se déplacer ;
• en cas de pluralité d’employeur : devoir de coordination pour que les deux employeurs assument chacun leur part de responsabilité. L’enquête conjointe est possible.

Recueil du signalement :
• l’entreprise doit accuser réception du signalement au salarié et lui demande de communiquer les éléments en sa possession ;
• l’anonymisation d’un signalement ne doit pas empêcher son traitement ;
• la confidentialité des informations recueillies doit être garantie.

Obligation de célérité dans l’ouverture de l’enquête :
• délai raisonnable n’excédant pas 2 mois et réaction dès le premier signalement ;
• un long délai écoulé entre les faits signalés et le signalement ne doit cependant pas empêcher l’ouverture une enquête ;
• l’employeur ne doit pas différer l’ouverture de l’enquête dans l’attente du résultat d’une procédure ;
• le fait que la victime ou le mis en cause soient en arrêt maladie n’empêche pas l’employeur d’ouvrir l’enquête.

Protection de la santé et sécurité des victimes et témoins :
• l’employeur doit proposer à la victime d’échanger sur des mesures de protection qui pourraient être mises en place à son retour, lui transmettre les coordonnées du médecin du travail ;
• il doit également transmettre ces coordonnées aux témoins et aux mis en cause, qui peuvent aussi être affectés par l’enquête ;
• l’employeur doit éloigner le mis en cause, adapter ses conditions de travail par des mesures non disciplinaires (ex : télétravail, mise à pied conservatoire). Il ne doit pas modifier celles de la victime, ce qui pourrait être interprété comme une mesure de représailles ;
• l’employeur doit rappeler aux victimes et témoins leurs droits et leur protection contre les représailles.

Pendant : le déroulement de l’enquête

Le déroulement de l’enquête en lui-même doit susciter une rigueur particulière, en ce qui concerne la méthodologie employée, le respect de la confidentialité, le choix du ou des enquêteurs ainsi que le déroulement des auditions.

Fixation de la méthodologie et information

• l’employeur fixe précisément en amont la méthodologie de l’enquête interne, et la formaliser dans une décision prise après information des instances représentatives du personnel ;
• chaque étape de l’enquête interne est retranscrite par écrit ;
• il est préférable d’informer la personne mise en cause, sauf s’il existe un risque de pressions de sa part sur les victimes et témoins ;
• il est obligatoire d’informer les représentants du personnel lorsqu’ils sont à l’origine du signalement dans le cadre de leur droit d’alerte, car les textes prévoient qu’ils sont associés à l’enquête (C. trav., L. 2312-59 et L. 2312-60).

Obligation de confidentialité

• cette obligation est rappelée à l’écrit à l’ensemble des personnes concernées, accompagné d’une attestation de confidentialité ;
• une attestation de confidentialité est signée individuellement par les personnes auditionnées et par les enquêteurs.

L’enquêteur

L’enquêteur doit être choisi avec soin :
• l’employeur doit s’abstenir d’exercer toute forme de pression sur l’enquêteur ;
• si l’enquête est menée par un avocat, il convient de se référer au guide du CNB qui traite notamment de la prévention des conflits d’intérêt ;
• l’enquête doit être supervisée par au moins deux personnes pour assurer la collégialité ;
• si l’enquête est conjointe avec les représentants du personnel, ceux-ci doivent pouvoir participer effectivement aux choix méthodologiques de l‘enquête.

L’employeur doit s’assurer de l’impartialité de l’enquêteur :
• il doit faire appel à une personne extérieure au service dans lequel se sont déroulés les faits signalés, laquelle doit apprécier les faits avec distance et neutralité ;
• si la direction ou les personnes du service habituellement en charge de l’enquête sont mises en cause par la victime, l’enquête doit être confiée à un prestataire extérieur.

L’employeur doit s’assurer des compétences juridiques de l’enquêteur :
• l’un d’entre eux au moins est issue d'une formation juridique ;
• il est recommandé de mettre en place des formations au recueil de la parole et aux techniques d’audition ;
• si le prestataire est externe, l’employeur s’assure de ses compétences juridiques et de la méthodologie utilisée.

Les auditions

Qui auditionner ?
• la victime ;
• les témoins pertinents ;
• la personne mise en cause, en dernier, ainsi que les témoins cités par elle si cela est nécessaire ;
• les tiers, si leur audition est de nature à apporter des éclaircissements complémentaires.
N.B. : si la victime ou le mis en cause sont en arrêt maladie, l’audition peut tout de même leur être proposée.

Conditions de l’audition :
• la personne auditionnée peut être accompagnée par un représentant du personnel, qui adopte une position de retrait ;
• si l’audition est menée par un avocat, il peut être assisté par son confrère.
• le lieu des auditions doit garantir la confidentialité, éviter les risques de pressions sur les personnes auditionnées et les ententes entre ces dernières (exemple : les lieux publics sont exclus).

Les enquêteurs doivent recueillir le maximum d’éléments de nature à éclairer la réalité des faits :
• les enregistrements clandestins ne doivent pas être écartés d’office, mais peuvent être pris en compte s’ils sont indispensables à l’enquête et que l’atteinte à la vie privée est strictement proportionnée (exemple : pour rapporter des propos racistes proférés en l’absence de témoins) ;
• si la personne auditionnée souhaite rester anonyme, il est préférable de préserver cet anonymat dans le rapport ainsi que dans la phase de restitution de l’enquête. L’enquêteur doit conserver une version anonymisée qui pourra être transmise au juge en cas de contentieux ;
• les auditions doivent faire l’objet d’un compte rendu écrit exhaustif, soumis à relecture et signature du salarié auditionné. L’enregistrement est possible avec accord de la personne auditionnée.

Suites de l’enquête : le rapport et les sanctions

À la suite de l’enquête, le rapport permet d’en rapporter la conclusion à l’employeur, qui fondera sa décision sur la base des éléments découverts. Le rapport joue un rôle important dans la mise en œuvre des mesures décidées, et peut être transmis à différentes parties de l’entreprise, ainsi qu’à la victime. Cette étape, lorsqu’elle est correctement réalisée, permet d’assurer l’efficacité du dispositif de signalement et de renforcer la confiance des salariés dans ce dernier.

Le rapport

La conclusion de l’enquête :
• doit exposer les faits allégués et leur signalement, les mesures de protection mises en œuvre, les étapes de l’enquête et les difficultés rencontrées au cours de l’enquête, les éléments de présomption recueillis, les justifications de la personne mise en cause, les propositions de qualification juridique, les mesures de traitement de la situation juridique ;
• il est conservé par l’employeur pour préserver la confidentialité des informations qu’il contient ;
• si le rapport prévoit des mesures à mettre en place par la hiérarchie, il peut être communiqué à cette dernière ;
• il peut être communiqué aux représentants du personnel chargé de la santé et sécurité en version anonymisée, avec accord de la victime ;
• la synthèse du rapport doit être communiquée à la victime, contenant : la méthodologie, les différentes étapes, les conclusions, les décisions prises ou envisagées.

Les sanctions

Qualification des faits :
• il est recommandé de se tourner vers un conseil juridique à ce stade ;
• les faits ne doivent pas être minimisés, ni justifiés par le comportement de la victime. L’employeur doit avoir une appréciation objective, neutre, loyale de l’ensemble des éléments ;
• l’employeur doit être exigeant avec les justifications apportées par le mis en cause.

La sanction des auteurs et/ou de la hiérarchie doit être :
• effectives ;
• proportionnées ;
• dissuasives.

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Claudiane JAFFRE
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