Contexte
Depuis les arrêts du 20 janvier 2023 (Cass. ass. plén., 20 janv. 2023, n° 21-23.947, n° 663 B + R Cass. ass. plén., 20 janv. 2023, n° 20-23.673, n° 662 B + R), la Cour de cassation considère que la rente versée à la victime d’un AT/MP ne répare plus le déficit fonctionnel permanent, c'est-à-dire les souffrances que les victimes éprouvent par la suite dans le déroulement de leur vie quotidienne.
Remarque
la Cour de cassation élargit ainsi élargit le périmètre d'indemnisation d'un AT/MP, en cas de faute inexcusable de l'employeur. Et permet aux victimes d'obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation, sans qu'il soit nécessaire de fournir la preuve que la rente prévue par le code de la sécurité sociale ne couvre pas déjà ces souffrances.
Ainsi, nous pouvons considérer que la rente indemnise seulement les conséquences professionnelles de l’AT/MP. Ce que l’on appelle le déficit fonctionnel permanent (DFP), c’est-à-dire les conséquences sur la personne victime de l’AT/MP, est hors rente.
Remarque
l’article 39 du PLFSS 2024, transposant l’ANI du 15 mai 2023, réaffirmait le caractère dual de la rente et mettait fin à cette jurisprudence. Cette mesure avait suscité la désapprobation d’associations de victimes d’accidents du travail ainsi que des organisations syndicales de salariés signataires de l’ANI du 15 mai 2023. En conséquence, l’article 39 avait été supprimé.
Après plusieurs réunions entre janvier et avril 2024, le comité de suivi de l’ANI du 15 mai 2023 fait part de ses préconisations.
De nouvelles modalités de calcul des rentes
En premier lieu, le comité de suivi définit de « nouvelles modalités permettant de calculer les rentes, qui constituent le socle de la réparation AT/MP, à la fois hors et en cas de faute inexcusable de l’employeur ». Si le comité remet en place la dualité de la rente, celles-ci intègrent des modalités spécifiques du DFP. Ainsi, les préconisations prévoient une indemnisation spécifique du DFP (dite part fonctionnelle) distincte du préjudice professionnel.
Il est à noter que dans ce nouveau schéma, c’est le médecin-conseil qui va évaluer l’impact professionnel et l’impact personnel de l’AT/MP.
Calcul de la part professionnelle
La part professionnelle répare :
- la perte de gains ou de capacité de gains professionnels futurs, qui résulte de la perte d’emploi ou du changement d’emploi ou de la quotité de temps d’emploi ;
- l’incidence professionnelle qui peut résulter de la dévalorisation de la victime sur le marché de l’emploi.
Pour cette part, les principes demeurent inchangés. On reste sur un « taux utile d’incapacité » et un « salaire utile ».
Taux d’IP >= 10 % : Taux d’incapacité utile déterminé sur la base du Barème d’invalidité AT/MP + éventuel coefficient professionnel) x Salaire utile |
Taux d’IP < 10 % :
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Calcul de la part fonctionnelle
Définition du DFP
Cette définition s’appuie sur la nomenclature dite Dintilhac selon laquelle le déficit fonctionnel permanent s’entend comme un préjudice personnel post-consolidation composé :
- d’atteintes aux fonctions physiologiques ;
- de douleurs physiques et morales permanentes ;
- de la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence.
Il est ainsi prévu que, le DFP « doit réparer la perte d’autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation ».
Evaluation du DFP
L’évaluation du DFP s’appuie sur un taux d’incapacité déterminé au moyen du « Barème du concours médical ».
Le comité alerte toutefois sur le fait que ce barème ne prend pas en compte tous les types de maladies professionnelles, et spécialement les cancers, « ce qui nécessitera des travaux complémentaires du comité des garanties et de la CAT/MP ».
Réparation du DFP
Celle-ci a pour base le barème Mornet (outil destiné à évaluer et standardiser l’indemnisation des préjudices corporels) :
Taux d’incapacité réel déterminé sur la base du Barème du concours médical |
Niveau de la fraction du référentiel fixé à 50 %. |
Conséquences de la faute inexcusable de l'employeur
La faute inexcusable de l’employeur a des conséquences sur le calcul de la rente. Ainsi, la rente AT/MP est majorée et se compose :
- d’une part professionnelle : Taux d’incapacité réel x Salaire réel, sans excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de la capacité professionnelle, ou, dans le cas d’incapacité professionnelle totale, le montant de ce salaire ;
- et d’une part fonctionnelle : Taux d’incapacité (part médicale) x 100 % du Barème forfaitaire inspiré du référentiel Mornet, compte tenu du taux d’incapacité médical et de l’âge de la victime, sans excéder le produit du taux d’incapacité par la valeur de point d’incapacité fixée par le barème forfaitaire inspiré du référentiel Mornet.
Par ailleurs, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime pourra également demander l’indemnisation des préjudices prévus à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale (souffrances physiques et morales, préjudices esthétiques et d'agrément) et autres souffrances endurées mais non indemnisées par le livre IV du CSS.
Financement
Le comité table sur une amélioration des enveloppes budgétaires préexistantes et sur la réaffectation des budgets et excédents de la branche AT/MP.
Il souligne que « l’amélioration de la réparation ne doit pas entraîner une augmentation du taux net moyen national de cotisations ».
Il faudra ainsi prévoir « un mécanisme d’ajustement du taux moyen global des cotisations », sans interférence avec les règles de tarification actuelles.