Lorsqu'il est question de droit à consultation ponctuelle du CSE, il est en général question de déterminer si l'importance du projet l'exige, ou encore, à quel moment le projet est suffisamment concret pour donner lieu à une consultation ayant un « effet utile » , ou enfin si les « informations précises et écrites » remises au comité sont suffisantes. Ce sont les conséquences sur la marche générale de l'entreprise ou les conditions de travail, de santé et de sécurité d'un projet élaboré et mis en œuvre par l'employeur qui sont examinées par le CSE. Mais qu'en est-il de normes, règles, imposées à l'employeur, lequel se charge seulement de leur mise en œuvre dans l'entreprise ? La consultation du CSE se justifie-t-elle ? s'impose-t-elle ?
C'est à cette question que répond un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 21 avril 2022.
Réglementation des travaux imposée à l'entreprise
Dans cette affaire, la société Enedis (ancienne société ERDF, filiale du groupe EDF) doit mettre en œuvre à compter du 1er avril 2015 ses travaux en basse tension dans les conditions réglementaires des « conditions d'exécution du travail » (CET). Ces règles sont élaborées par des commissions d'experts représentant les différentes entreprises françaises exploitant des ouvrages de transport et de distribution d'électricité ainsi que les centres de formation (le comité des travaux sous tension « CST »). Elles s'imposent aux opérateurs.
Le CSE central demande en justice à être consulté sur toute nouvelle « CET » , ainsi que sur toute nouvelle prescription du réseau de distribution d'électricité (PRDE) et, plus généralement sur tout « document prescriptif ».
Consultation du CSE obligatoire sur les règles imposées à l'employeur...
Sur la demande de consultation du CSE sur les « conditions d'exécution du travail » (CET) imposées à l'entreprise, la cour d'appel donne raison au comité : il doit être informé et consulté.
L'employeur conteste au motif que toute consultation du CSE doit revêtir un « effet utile » qui ne peut, d'après lui, que concerner un « projet, une mesure envisagée ou une décision unilatérale de l'employeur ». La mise en œuvre de normes à caractère réglementaires et non modifiables qui ne sont pas édictées par l'employeur et s'imposent à lui ne pourrait donc pas donner lieu à une procédure d'information et de consultation préalable.
Mais la Cour de cassation est d'accord avec la cour d'appel et le CSE.
Ces règles, bien que s'imposant aux opérateurs, « correspondent aux conditions générales préalables aux travaux afférents, aux modalités suivant lesquelles le travail devait être préparé puis organisé, aux conditions d'emploi des outils et aux modalités à suivre pour la bonne exécution du travail ». Il en résulte que « leur mise en œuvre était de nature à affecter les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelles au sein de l'entreprise et devait par conséquent faire l'objet d'une information-consultation du comité », « peu important que leur mise en œuvre soit imposée à l'employeur et ne résulte pas d'une décision unilatérale de sa part ».
Ainsi, dès lors que la mise en œuvre de ces normes est susceptible d'avoir des conséquences sur les salariés, ici sur leurs conditions de travail et leur formation, le comité doit être consulté, peu importe leur source et leur caractère contraint.
NDLR : bien que la Cour de cassation ne vise expressément aucun article du code du travail, il est fait référence à l'article L. 2312-8 qui prévoit que le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur les conditions d’emploi, de travail et la formation professionnelle. Ce sont bien les « questions intéressant » la marche générale de l'entreprise et les conditions de travail qui sont visées, pas les « projets » ou les « décisions unilatérales de l'employeur ». La solution est donc logique. D'autant que l'objet d'une consultation porte également sur les répercussions d'une mesure, l'avis du CSE pouvant émettre un avis sur ses conséquences sur l'organisation du travail ou la formation du personnel par exemple. Si c'est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation se prononce sur une telle norme imposée, elle a déjà tranché en faveur de la consultation du CSE lorsque les modifications de l'organisation économique et juridique de l'entreprise résultent d'une loi qui s'impose à l'employeur (dans cette affaire, la loi portant réforme de l'audiovisuel public qui emportait des conséquences pour les salariés) (Cass. soc., 26 oct. 2010, n° 09-67.760) ; ou encore dans le cas d'une nouvelle classification imposée par un accord collectif étendu (laquelle impliquait le regroupement de certains emplois et devenait le support des salaires minimaux) (Cass. soc., 21 nov. 2012, n° 11-10.625). Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère depuis longtemps que la transmission négociée du capital social d'une entreprise, utilisée comme moyen de placer une société sous la dépendance d'une autre, équivaut à une cession et à ce titre doit donc faire l'objet d'une consultation du CSE, et ce, même si cette transmission intervient entre des tiers à l'entreprise et que la décision n'appartient pas à ses dirigeants (Cass. crim., 29 oct. 1991, n° 90-84.302 ; Cass. crim., 22 mars 1983, n° 82-91.562).
... mais pas de consultation sur les notes à vocation documentaire de mise en œuvre résultant d'une précédente consultation
En revanche, concernant les « prescriptions du réseau de distribution d'électricité » (PRDE), il n'y a pas lieu de consulter le CSE.
En effet, celles-ci sont des « notes établies par les diverses directions de la société, précisant et transposant en mode opératoire les règles à mettre en œuvre par les unités de réseaux ou les agents effectuant les travaux ». Ces notes « se référaient pour leur contenu à des « documents associés » de contenus plus larges dont, notamment, les carnets de prescription au personnel ayant fait l'objet d'information-consultation du comité ». La cour d'appel a donc estimé que « les PRDE avaient une vocation uniquement documentaire et déclinaient sur un mode opératoire des normes réglementaires dont la mise en œuvre avait d'ores et déjà donné lieu à information et consultation du comité central d'entreprise, de sorte que l'obligation d'information et de consultation concernant ces notes circulaires internes n'était pas justifiée ».
La Cour de cassation confirme cette décision. Elle explique que l'information-consultation du comité, dont la cour d'appel a ordonné la mise en œuvre s'agissant des CET (normes « conditions d'exécution du travail »), n'avait pas à être reconduite s'agissant des PRDE, notes à vocation uniquement documentaires.
Remarque : il apparaît qu'il s'agit d'une simple transcription. Il est en effet question de « notes établies par les diverses directions de la société ENEDIS décrivant, précisant et transposant en mode opératoire les règles à mettre en œuvre par les unités réseaux ou les agents effectuant des travaux ». Il semble donc logique que le comité ne soit pas consulté à nouveau.