Il apparaît que la Cour de cassation cherche à sécuriser les élections professionnelles. Au fil de sa jurisprudence, elle exclut ainsi plusieurs cas de contestation des élections a posteriori, après la proclamation des résultats, sur des motifs connus avant leur déroulement.
Dans un arrêt publié du 18 mai 2022, la Cour de cassation tranche la question d'une contestation des élections fondées sur la validité de la décision unilatérale de l'employeur concernant les modalités d'organisation et de déroulement des élections.
Décision unilatérale de l'employeur sur les modalités d'organisation du scrutin à défaut d'accord et de saisine du tribunal judiciaire
Dans cette affaire, dans le cadre des élections professionnelles, deux accords sont conclus, l'un prévoyant le recours au vote électronique, et l'autre la fixation du nombre et de la composition des collèges électoraux. Mais les négociations du protocole préélectoral échouent et la Direccte (Dreets) opère la répartition des salariés et des sièges entre les collèges.
Le 27 septembre 2019, l'employeur fixe les modalités d'organisation des élections par décision unilatérale, et le premier tour se déroule du 7 au 14 novembre.
Le 29 novembre, un syndicat saisit le tribunal d'instance (tribunal judiciaire) aux fins d'annulation des élections de l'ensemble des membres, titulaires et suppléants, invoquant différentes irrégularités.
Le tribunal déboute le syndicat au motif que ce dernier a présenté des candidats aux élections sans émettre aucune réserve sur les conditions de déroulement du scrutin. Pour les juges, cela vaut nécessairement acceptation des conditions fixées par la décision unilatérale. Le syndicat n'est donc plus autorisé à contester judiciairement le choix d'un bureau de vote unique.
Mais le syndicat n'est pas d'accord, il avance que l'absence de réserves émises par un syndicat lors du dépôt d'une liste de candidats ne vaut pas acquiescement aux modalités d'organisation des élections fixées unilatéralement par l'employeur, après échec des négociations du protocole préélectoral.
Pas de contestation de la décision unilatérale en l'absence de saisine du juge en amont ou de réserves émises lors du dépôt des listes
La Cour de cassation donne raison au tribunal.
Elle commence par rappeler les termes de l'article L. 2314-28 du code du travail, qui prévoit que « les modalités d'organisation et de déroulement des opérations électorales font l'objet d'un accord entre l'employeur et les organisations syndicales, conclu conformément à l'article L. 2314-6 (règles de double majorité du protocole préélectoral). Cet accord respecte les principes généraux du droit électoral. Les modalités sur lesquelles aucun accord n'a pu intervenir peuvent être fixées par une décision du juge judiciaire ».
Il en résulte, précise la Cour, « qu'à défaut d'accord satisfaisant aux conditions de validité prévues à l'article L. 2314-6 du code du travail, il appartient à l'employeur, en l'absence de saisine du tribunal judiciaire, de fixer les modalités d'organisation et de déroulement des opérations de vote ».
Ainsi, « en l'absence de saisine préalable du juge judiciaire en contestation de la décision unilatérale de l'employeur fixant les modalités d'organisation des élections professionnelles, une organisation syndicale, ayant présenté une liste de candidats sans avoir émis, au plus tard lors du dépôt de sa liste, de réserves sur les modalités d'organisation et de déroulement des opérations de vote ainsi fixées, ne saurait, après proclamation des résultats des élections professionnelles, contester la validité de la décision unilatérale de l'employeur fixant les modalités d'organisation des élections et demander à ce titre l'annulation des élections ».
NDLR : la Cour de cassation transpose ici à la décision unilatérale prise en l'absence d'accord, les règles applicables en cas de protocole électoral valablement conclu. En effet, un syndicat qui présente des candidats et participe au scrutin doit exprimer des réserves sur le protocole d'accord électoral, s'il entend en contester les conditions par la suite (Cass. soc., 16 avr. 2008, n° 07-60.362 ; Cass. soc., 19 sept. 2007, n° 06-60.222 ; Cass. soc., 30 mars 2004, n° 02-60.359 ; Cass. soc., 8 janv. 2002, n° 00-60.270 ; Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-60.245). De même, il a été jugé récemment que lorsque le protocole préélectoral est conclu aux règles de double majorité, un syndicat qui l'a signé ou qui a présenté des candidats sans émettre de réserves ne peut en contester la validité après la proclamation des résultats, quand bien même il invoquerait une méconnaissance de règles d'ordre public (Cass. soc., 24 nov. 2021, n° 20-20.962) (v. notre commentaire). Dans cette affaire, il n'y a pas de double majorité qui confère sa force obligatoire au protocole, mais à défaut d'accord, il y a la possibilité, pour un syndicat comme par l'employeur de saisir le juge afin qu'il fixe les modalités d'organisation du scrutin. Ce n'est pas obligatoire, et à défaut, c'est l'employeur qui les fixe. Cette possibilité de recours donne sa légitimité à la décision unilatérale de l'employeur. A noter également qu'en cas de protocole préélectoral dont les conditions de majorité ne sont pas remplies (accord minoritaire), cela ne rend pas pour autant le protocole préélectoral irrégulier, mais a pour effet de permettre à une partie y ayant intérêt de saisir le juge d'une demande de fixation des modalités d'organisation et de déroulement du scrutin (Cass. soc., 6 oct. 2011, n° 11-60.035). La situation est comparable à celle de l'absence de protocole, pouvant être suppléée par une saisine du juge.
NDLR :
Le syndicat doit donc soit saisir le juge judiciaire pour qu'il fixe les modalités de déroulement des élections professionnelles à défaut d'accord. Ou, du moins, pour préserver son droit à contestation, il doit émettre des réserves au plus tard lors du dépôt de sa liste de candidats. A défaut, il ne pourra pas contester l'élection sur la base des modalités fixées par cette décision unilatérale.