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2 février 2024
L’employeur ne peut invoquer des justifications liées à des contraintes internes pour s’affranchir de ses obligations de contrôle de la charge de travail du salarié en forfait jours

La Cour de cassation est régulièrement saisie de contestations relatives à la validité de conventions individuelles de forfait en jours, portant notamment sur la violation de l'obligation de s'assurer de la protection de la sécurité et de la santé des salariés par le biais du suivi de la charge de travail. Cette violation peut résulter, soit de l'absence de clauses sur le sujet dans l'accord collectif et de l'absence de mesures supplétives (voir l'article sur l'arrêt du 10 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.782), soit du non-respect par l'employeur des clauses prévues par l'accord collectif. 

L'arrêt du 10 janvier 2024 (pourvoi n° 22-13.200) est une illustration du deuxième cas de figure.

Ce litige traitait de la situation dans laquelle la convention individuelle de forfait en jours avait été prise en application d’un accord collectif dont la validité n’était pas contestée, mais il était reproché à l'employeur de ne pas avoir respecté les modalités conventionnelles sur le suivi de la charge de travail.

En l'espèce, un salarié avait en effet été embauché en qualité de directeur d’hôtel par contrat en date du 1er septembre 2016 incluant une convention de forfait individuelle de 217 jours dans le cadre d'avenants à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants, relatifs aux cadres autonomes, en date des 16 décembre 2014 et 7 octobre 2016. Il a saisi le conseil de prud'hommes pour notamment faire priver d'effet sa convention de forfait en raison du report à l'année suivante d'un des entretiens annuels obligatoires, de la surcharge de travail et du non-respect des temps de repos.

Le salarié est débouté de ses demandes par la cour d'appel, mais la Cour de cassation n'est pas du même avis en raison de la violation par l'employeur de son obligation d'organiser un entretien annuel et de la violation de son obligation de sécurité.

L'employeur doit respecter la périodicité de l'entretien sur le forfait jours

L'employeur doit s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition de son temps de travail (C. trav., art. L. 3121-60). Il s'agit d'une règle d’ordre public. Pour ce faire, il est prévu que l'accord collectif instaurant le forfait jours doit déterminer les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération, ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise (C. trav., art. L. 3121-64 II). 

En l'espèce, l'accord collectif applicable précisait que chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours doit bénéficier chaque année d'un entretien avec son supérieur hiérarchique, au cours duquel sont évoquées la charge de travail du salarié, l'amplitude de ses journées d'activité, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sa rémunération.

Que se passe-t-il lorsque l'employeur ne respecte pas la périodicité de l'entretien annuel ? L'employeur peut-il justifier un retard dans la convocation à l'entretien ?

La Cour de cassation apporte des éléments de réponse. 

En l'espèce, l'employeur avait reporté l'entretien annuel « forfait jours » de 2018 en mars 2019. L'employeur justifiait l'absence d'entretien annuel en 2018 par la démission de son directeur général, le 31 décembre 2018, et la prise de fonction le 21 janvier 2019 du nouveau directeur des opérations, qui avait entraîné le fait que les directeurs des différents hôtels, dont le salarié en question, avaient été convoqués à l'entretien individuel de suivi du forfait au titre de l'année 2018 seulement en mars 2019. 

La cour d'appel avait admis l'argument de l'employeur et débouté le salarié en estimant qu'eu égard à la nécessité de décaler l'ensemble des entretiens des directeurs du fait des contraintes de la société, le recul de la date d'entretien du salarié au 6 mars 2019 était admissible et légitime.

La Cour de cassation n'est pas de cet avis : l'existence de contraintes internes justifiant un report de l'entretien à l'année suivante est inopérante dès lors qu'il est constaté que, lors du dernier entretien, le salarié avait donné des alertes (il avait signalé l'impact sérieux de sa charge de travail et le non-respect ponctuel du repos hebdomadaire), que le repos hebdomadaire n'avait pas été respecté à plusieurs reprises et que les convocations pour l'entretien pour 2018 n'avaient été adressées qu'en mars 2019.

Remarque

on peut se demander si la Cour de cassation aurait admis de telles justifications tirées de contraintes internes si elle n’avait constaté qu'un manquement à l'obligation d'organiser un entretien annuel.

En cas de constatation d'une surcharge de travail et du non-respect des temps de repos, l'employeur viole son obligation de sécurité

Le salarié contestait également la régularité de la convention de forfait, reprochant à l'employeur de ne pas avoir rendu effectives les garanties mises en place par l'accord collectif sur le forfait jours en ne recherchant pas de solutions sur sa surcharge de travail et en ne vérifiant pas le respect des règles relatives au temps de repos quotidien et hebdomadaire.

La cour d'appel le déboute en relevant trois éléments :

  • si le salarié avait parfois travaillé plus de 6 jours de suite en 2016, 2017 et 2018, l'employeur avait mentionné une alerte dans les tableaux de contrôle (115 repos hebdomadaires à prendre au lieu de 104) et le salarié avait bénéficié de jours de récupération ;
  • si le forfait avait été dépassé de 25 jours en 2016 et de 27 jours en 2017, l'employeur avait imposé au salarié un forfait annuel de 166 jours en 2018 pour compenser la différence de 52 jours travaillés, montrant ainsi son souci que le temps de travail du salarié ne dépasse pas 217 jours par an afin de préserver sa santé et sa sécurité ;
  • l'employeur portait un regard attentif sur le nombre de jours travaillés dans la mesure où une fiche de temps de travail avait été remise et que des informations sur le forfait jours avaient été données.

La Cour de cassation au contraire fait droit au salarié en s'appuyant sur l'obligation de sécurité prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail selon lequel l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. 

Pour la Cour de cassation, les motifs de la cour d'appel sont inopérants dès lors qu'il a été constaté que le repos hebdomadaire n'a pas été respecté à plusieurs reprises et que le forfait annuel a été dépassé en 2016, 2017 et 2018. Il en résulte que l'employeur s'est abstenu de mettre en place des mesures de nature à remédier en temps utile à une charge de travail incompatible avec une durée raisonnable de travail, dont il avait été informé. 

Remarque

rappelons que la Cour de cassation veille également à ce que les dispositions conventionnelles garantissent le respect d'une durée raisonnable de travail et des temps de repos (Cass. Soc., 5 oct. 2017, n° 16-23.106 ; Cass. Soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107), ainsi que du caractère raisonnable de l'amplitude, de la charge de travail et d'une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. Soc., 17 janv. 2018, n° 16-15.124). Elle veille aussi à ce que ces garanties passent par l'organisation d'un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. La Cour de cassation ne valide pas des dispositifs qui se contentent d'énoncer des principes sans organiser les modalités effectives de suivi régulier de la charge de travail par l'employeur ou qui font reposer le système sur le seul salarié (Cass. Soc., 30 sept. 2020, n° 18-24.956 ; Cass. Soc., 28 sept. 2022, n° 21-11.042).

A noter que le salarié demandait à ce que sa convention de forfait soit privée d'effet. Il appartiendra donc à la cour de renvoi de fixer la période pendant laquelle il sera fondé à demander le paiement d'heures supplémentaires. A la différence de la nullité, la privation d'effet laisse en effet la possibilité à l'employeur de régulariser la convention de forfait.

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Carole CHRIQUI Nathalie LEBRETON
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