La Cour de cassation a longtemps affirmé qu'en matière d'accident du travail la décision de relaxe au pénal de l'employeur avait autorité de la chose jugée et interdisait au juge civil de rechercher l'existence d'une faute inexcusable (Cass. soc., 11 déc. 1997, n° 96-11.454).
L'absence de faute pénale par imprudence ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable
C'est la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, modifiant le code de procédure pénale, qui reconnaît que l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice par le salarié d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur (C. pr. pén., art. 4-1).
A sa suite, la jurisprudence avait estimé que l'article 4-1 du code de procédure pénale dissociait la faute civile de la faute pénale non intentionnelle (faute commise par imprudence), notamment pour ce qui a trait à la reconnaissance éventuelle de la faute inexcusable de l'employeur (Cass. 2è civ., 16 sept. 2003, n° 01-16.715, n° 1229 FS - P + B).
La Cour de cassation avait alors abandonnée toute référence à l'autorité de la chose jugée au pénal. Elle estimait alors que la déclaration par le juge pénal de l'absence de faute pénale par imprudence ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur. Ainsi, par exemple, la relaxe du chef d'entreprise poursuivi pour homicide involontaire n'excluait pas sa faute inexcusable (Cass. soc., 12 juill. 2001, n° 99-18.375, n° 3468 P + B ; Cass. soc., 28 mars 2002, n° 00-11.627, n° 1228 FS - P).
Un retour à l'autorité de la chose jugée
Dans un arrêt du 1er décembre 2022, la Cour de cassation revient au principe de l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil en matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en cas de relaxe de l'employeur.
Dans cette affaire, malgré un travail préalable d'isolement de la pompe, que des salariés s'apprêtaient à démonter, un jet d'ammoniac a surgi brutalement de la conduite et les a aspergés, brûlant gravement l'un d’eux. L'enquête a montré que la fuite a été causée par l'ouverture inopinée de la vanne située entre la pompe et le stockage d'ammoniac, sans en établir la cause.
La juridiction pénale, après avoir relevé que les causes de l'ouverture de la vanne étaient indéterminées, a écarté un manquement aux règles de sécurité lié à l'absence de double vanne ou d'un système de verrouillage de la vanne nécessitant un outil spécifique. Et ainsi n'a pas retenu la culpabilité de l'employeur.
La cour d'appel a, de son côté, retenu la faute inexcusable de l'employeur au motif que, quelle que soit la cause de l'ouverture de la vanne, le dispositif de sécurité était inadéquat et que l'employeur connaissait ou aurait dû connaître le fait que cette vanne n'était munie d'aucun dispositif de verrouillage en position fermée, contrairement aux règles de sécurité applicables à la matière.
L'affaire est ensuite portée devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Elle note que pour prononcer la relaxe de l'employeur des poursuites du chef de blessures involontaires, par un motif qui était le soutien nécessaire de sa décision, la juridiction pénale, après avoir relevé que les causes de l'ouverture de la vanne étaient indéterminées, a écarté un manquement aux règles de sécurité lié à l'absence de double vanne ou d'un système de verrouillage de la vanne nécessitant un outil spécifique.
Elle décide, au visa du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et des articles 4-1 du code de procédure pénale et L. 452-1 du code de la sécurité sociale, que " si le premier de ces textes permet au juge civil, en l'absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application du second, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé ".
Ainsi, dès lors que le juge pénal a écarté un manquement aux règles de sécurité, le juge civil ne peut pas retenir de faute inexcusable.