Aucune prime n'est fixée par la loi ; il en va ainsi pour la prime dite de « 13e mois » ou de « fin d'année ». Les primes peuvent être prévues par une convention ou un accord collectif de branche ou d'entreprise, le contrat de travail, un usage ou un engagement unilatéral (primes dites obligatoires). Certaines primes n'ont aucune source juridique ; elles dépendent du « bon vouloir » de l'employeur (primes bénévoles).
Pour calculer une prime dite obligatoire (ce qui est le cas en l'espèce puisqu'il s'agit d'un « 13e mois » prévu par une convention collective), il faut se référer aux règles de calcul prévues par l'acte qui l'instaure. Généralement, les règles de calcul sont précisées dans l'acte mais il arrive souvent que les éléments de rémunération à retenir lors de la période de référence du calcul de la prime ne soient pas tous listés. A défaut de précisions conventionnelles ou contractuelles contraires sur ce dernier point, tous les éléments de rémunération doivent être retenus, à l'exclusion des remboursements de frais professionnels.
Pour calculer le montant d'une prime conventionnelle de 13e mois, faut-il inclure, à défaut de précisions conventionnelles, les sommes perçues par le salarié au titre du rachat de ses droits CET ainsi que les gratifications qui lui ont été accordées conventionnellement au titre de la médaille du travail ? Dans un arrêt du 6 novembre 2024, publié au bulletin, la Cour de cassation répond à cette question.
Dans cette affaire, la convention collective de Pôle Emploi (rebaptisé aujourd'hui France Travail) du 21 novembre 2009 (article 13) prévoit l'attribution en fin d'année d'une « indemnité dite de 13e mois égale à 1/12e de la rémunération brute perçue entre le 1er décembre de l'année précédente et le 30 novembre de l'année en cours », étant entendu que cette indemnité ne peut être inférieure au montant du salaire normal du dernier mois de l'année.
L'article 15 de cette convention collective attribue également une gratification à l'agent qui obtient la médaille d'honneur du travail, dont le montant est calculé à partir de son salaire brut annuel.
Faisant suite à un différend l'opposant à Pôle Emploi (France Travail aujourd'hui) sur l'assiette de calcul de la prime de 13e mois, un syndicat saisit la justice pour qu'il soit interdit à cet employeur d'exclure tout élément de rémunération versé dans la période de référence de l'asssiette de calcul de cette prime, notamment la monétisation des droits rachetés au CET et les primes conventionnelles dites de « conférencier » et de « médaille du travail ». En outre, il demande aux juges qu'il soit enjoint à France Travail de régulariser la situation de tous les salariés dont le 13e mois sur la période de 2016 à 2019 a été calculé sans y inclure ces primes.
Les juges d'appel déboutent le syndicat de l'ensemble de ses demandes, exception faite de l'inclusion de la prime de conférencier dans l'assiette de calcul de la prime de 13e mois.
Le syndicat se pourvoit en cassation.
Remarque
notons que la demande de régularisation des situations individuelles a été déclarée irrecevable par les juges du fond, conformément à l'arrêt rendu en ce sens par la Cour de cassation le 22 novembre 2023 (voir notre article du 27 novembre 2023). Sur ce point, voir également notre article du 14 novembre. La Cour de cassation rejette les deux moyens du pourvoi y afférent (3e et 4e moyen), sans spécialement motiver ce rejet.
Les sommes issues de l'utilisation des droits affectés sur le CET sont exclues de l'assiette de calcul du 13e mois
Fonctionnement d'un CET : bref rappel
Pour rejeter le moyen relatif à l'inclusion des droits rachetés issus du CET dans l'assiette de calcul de la prime conventionnelle de 13e mois, la Cour de cassation rappelle, dans un premier temps, les règles gouvernant le compte épargne-temps (CET).
Ce dispositif, mis en place par accord collectif, permet au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congés ou de repos non pris ou des sommes qu'il y a affectées (C. trav., art. L. 3151-1 et L. 3151-2).
Remarque
mis en place par la loi n° 94-640 du 25 juillet 1994, ce dispositif a fait l'objet de plusieurs réformes jusqu'à sa simplification issue de la loi du 20 août 2008, qui laisse une large part à la négociation collective. Désormais, sa mise en oeuvre et les conditions d'alimentation, d'utilisation, de gestion, de liquidation et de transfert des droits épargnés sur un CET sont déterminées, dans une large mesure, par une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Depuis la réforme de 2008, les sources potentielles d'alimentation et d'utilisation du CET sont accrues.
Le CET peut être utilisé par le salarié qui en bénéficie pour indemniser des absences, pour compléter sa rémunération ou se constituer une épargne.
Remarque
le salarié peut, en accord avec son employeur et alors même que l'accord collectif instituant le CET ne le prévoit pas, mobiliser ses droits en cas de cessation progressive d'activité ou pour compléter sa rémunération.
Lorsque les droits issus du CET sont utilisés pour indemniser un congé, la convention ou l'accord ayant institué le CET doit prévoir les modalités d'indemnisation du congé. L'indemnisation est généralement calculée sur la base du salaire en vigueur au moment de la prise des congés. Lorsqu'il est prévu que les droits monétisés sont calculés sur la base de la rémunération brute annuelle et que, par ailleurs, la rémunération brute annuelle comprend un 13e mois, les droits sont calculés en incluant le 13e mois (Cass. soc., 25 sept. 2013, n° 12-10.037).
Sauf stipulation conventionnelle contraire, les droits rachetés issus du CET sont exclus de l'assiette de calcul du 13e mois car sans lien avec la période de travail
Si la prime de 13e mois doit, compte tenu des stipulations conventionnelles, être incluse dans l'assiette de calcul des droits issus du CET, faut-il réciproquement inclure ces droits dans l'assiette de calcul d'un 13e mois, à défaut de stipulations conventionnelles en ce sens ?
Pour la Cour de cassation, les sommes issues de l'utilisation, par le salarié, des droits affectés sur son CET ne répondent à aucune périodicité de la prestation de travail ou de sa rémunération puisque, d'une part, le salarié et l'employeur décident librement de l'alimentation du compte et que, d'autre part, la liquidation du CET ne dépend que des dispositions légales et conventionnelles applicables.
Remarque
en effet, comme le rappelle l'avocat général, Monsieur Halem, dans son avis joint à l'arrêt, « le CET référence des valeurs détachées de leur qualification juridique de départ tout comme de tout lien avec l'éxécution d'une prestation de travail sur une période donnée ». « Si les droits épargnés ont été acquis dans le cadre d'un contrat de travail, ils ne peuvent être conçus comme la contrepartie d'une période de travail déterminée et constituent, même s'ils proviennent de jours de congés ou de repos, de simples unités de compte pouvant être remployées dans une période lointaine et sous forme purement monétaire. Réciproquement, un versement d'éléments monétaires, par ailleurs limités aux seuls augmentations ou compléments de salaire de base - et non ouverts à celui-ci -, peuvent être convertis a posteriori en congés sans lien avec une période donnée. Hormis le cas de la stipulation expresse d'un accord ou d'une convention collective qui rattacherait le paiement des droits issus d'un CET au calcul de l'indemnité de 13e mois, la monétisation de ces droits dépend uniquement des éventuelles demandes du salarié, par définition aléatoires, sans que l'employeur puisse s'y opposer ou à l'inverse enjoindre au salarié de consommer ses droits ».
L'article 13 de la convention collective de Pôle emploi prévoyant l'attribution de la prime de 13e mois fait référence à la « rémunération brute perçue entre le 1er décembre et l'année précédente et le 30 novembre de l'année en cours ».
L'article 14 de l'accord instaurant le CET stipule, lui, que « les sommes débloquées sont calculées sur la base de la rémunération annuelle brute ramenée à temps plein calculée de date à date précédant le mois de la demande ». Ces sommes correspondant à des droits épargnés en partie ou en totalité « à la date de la demande » ne viennent pas en rémunération de la période de calcul du 13e mois courant du « 1er décembre de l'année précédente au 30 novembre de l'année en cours ».
L'absence de lien direct entre les droits monétisés issus du CET et une période de travail en particulier ainsi que la stipulation conventionnelle qui limite l'assiette du 13e mois à la rémunération brute versée par l'employeur pendant une période précise, ont donc logiquement conduit les juges du fond à exclure ces droits de l'assiette de calcul du 13e mois.
Les gratifications conventionnelles relatives aux médailles du travail versées pendant la période de référence doivent être retenues
Le syndicat contestait également l'exclusion de l'indemnité conventionnelle accordée au titre de la médaille du travail versée pendant la période de référence prévue à l'article 13 de la convention collective de Pôle emploi.
Les juges du fond le déboutent de sa demande au motif que la prime afférente à la médaille d'honneur du travail est une gratification ne constituant pas du salaire.
A tort.
Comme toute autre gratification ou prime, la qualification de complément de salaire d'une gratification pour médaille du travail dépend essentiellement de son caractère obligatoire ou bénévole. En effet, les primes « bénévoles » constituent une simple libéralité ne liant pas l'employeur pour l'avenir ; elles ne présentent pas le caractère juridique d'un salaire. En revanche, les primes ou gratifications instituées par accord ou convention collective, par contrat de travail, usage ou engagement unilatéral de l'employeur sont obligatoires et, à ce titre, présentent le caractère juridique d'un salaire.
La prime de médaille du travail prévue par la convention collective Pôle emploi étant obligatoire, elle doit être incluse dans la base de calcul de la prime de 13e mois lorsqu'elle est versée pendant la période de référence prévue conventionnellement, soit du 1er décembre de l'année précédence au 30 novembre de l'année en cours.