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18 septembre 2024
L'employeur peut, notamment, contester la nécessité d'une expertise votée par le CSE. C'est alors le tribunal judiciaire saisi qui apprécie. Et il peut juger que l'expertise, la 14e en deux ans et demi, a un caractère abusif.

Le CSE a droit de désigner un expert dans plusieurs cas limitativement énumérés par le code du travail : expert-comptable pour les consultations récurrentes et en cas de licenciement économique, ou encore de droit d'alerte économique ; ou expert habilité en cas de risque grave ou de projet important modifiant les conditions de travail. 

Les membres du CSE ont souvent besoin d'une aide technique pour déchiffrer et analyser les documents remis par l'employeur, ou encore apprécier les enjeux, et formuler des propositions à l'employeur... Un rôle souvent essentiel, voire nécessaire, pour que le CSE puisse exercer efficacement ses attributions.

Un droit que l'employeur peut toutefois contester aussi bien au titre de la nécessité du recours à un tel expert, que de son coût, ainsi que de l'étendue et la durée de l'expertise.

Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation le 11 septembre 2024, l'employeur conteste la nécessité du recours à un expert-comptable dans le cadre de l'exercice du droit d'alerte économique. Et il obtient gain de cause, sur un fondement inédit dans ce cadre à notre connaissance : le recours abusif à l'expertise.

L'employeur peut contester la nécessité de l'expertise...

Le CSE d'un centre d'appel déclenche un droit d'alerte économique, dans le cadre duquel il décide de recourir à un expert-comptable. L'employeur saisit le tribunal judiciaire aux fins d'annuler la délibération du CSE.

Il obtient gain de cause, le tribunal estimant que la décision de recourir à un expert dans le cadre de la procédure d'alerte économique est abusive « en considération du fait qu'elle avait été précédée, moins de deux mois avant, de la désignation du même cabinet pour effectuer une expertise dans le cadre de l'information-consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise »  et « que chaque expertise représentait une dépense de 30 000 euros qu'il paraissait nécessaire de rationaliser au vu des difficultés économiques de l'entreprise ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi du CSE.

Elle commence par rappeler que l'article L. 2315-86 du code du travail autorise l'employeur à saisir le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond en annulation de la décision du CSE de recourir à un expert-comptable lors de la procédure d'alerte économique prévue à l'article L. 2312-63. Puis elle précise que si l'employeur « peut contester la nécessité de l'expertise, le choix de l'expert, le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise, il ne peut remettre en cause par voie d'exception la régularité de la procédure d'alerte économique déclenchée par le comité social et économique ».

Remarque

à cet égard, la Cour de cassation reprend sa propre jurisprudence. En effet, dans un arrêt récent, elle a précisé, exactement dans les mêmes termes, que l'employeur pouvait contester l'expertise mais pas le recours au droit d'alerte économique. Dans cette décision toutefois, elle n'a pas validé la demande d'annulation de l'expertise, laquelle était fondée sur l'irrégularité alléguée des conditions de vote de l'exercice du droit d'alerte, et donc relative au recours même au droit d'alerte (Cass. soc., 28 juin 2023, n° 21-15.744).

...et le juge peut annuler cette désignation en raison de son caractère « abusif »  

Puis la Cour de cassation valide le raisonnement du tribunal judiciaire ayant « retenu qu'il n'avait pas à statuer sur le bien-fondé du droit d'alerte économique exercé par le comité mais seulement à apprécier la nécessité de l'expertise ».

Et d'ajouter que c'est « dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le président du tribunal judiciaire a estimé que l'expertise n'était pas nécessaire, le comité étant déjà suffisamment éclairé par l'expertise comptable ordonnée le 2 juillet 2022 à l'occasion de l'information-consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise, et que, le comité ayant décidé de recourir à quatorze expertises en deux ans et demi, dont trois dans le cadre du droit d'alerte économique, l'expertise litigieuse avait un caractère abusif ».

Remarque

on comprend bien que 14 expertises en 2 ans et demi, c'est beaucoup et très onéreux, surtout pour une entreprise en mauvaise santé financière. On peut toutefois se demander si cette solution pourra être étendue à d'autres cas. Il s'agit d'un arrêt diffusé et non publié, on peut donc penser que cette décision a été adoptée dans ce cadre-là et ne saurait être appliquée largement. En effet, le déclenchement du droit d'alerte peut résulter justement de la consultation sur la situation économique et financière, il n'est donc pas question, à notre sens, d'écarter systématiquement l'expertise dans le cadre de l'alerte économique dès lors que la consultation récurrente a eu lieu peu de temps avant. D'autant que l'expertise dans le cadre du droit d'alerte reste bien spécifique. Son objet est d'aider le CSE qui estime avoir « connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise ». Le CSE interroge d'abord l'employeur, et s'il n'a pu obtenir de réponse suffisante ou si celle-ci confirme le caractère préoccupant de la situation, il établit un rapport.  C'est dans ce cadre que le CSE peut nommer un expert. Et d'ailleurs, l'article L. 2312-65 prévoit que l'avis de l'expert est joint aux conclusions du CSE si ce dernier choisi de les transmettre à l'organe de direction de l'entreprise. A noter que l'assistance de l'expert-comptable dans le cadre du droit d'alerte économique est limitée à une fois par exercice comptable (C. trav., art L. 2312-64). Mais ce n'est pas cet article qui est soulevé dans cette affaire. On peut donc penser que même s'il y a eu 3 alertes économiques en deux ans et demi, c'était bien sur des exercices comptables différents. En conclusion, cette solution est intéressante mais à notre sens devrait rester exceptionnelle. Enfin, l'annulation de la délibération désignant un expert en raison de son caractère abusif peut s'appliquer à d'autres cas d'expertise du CSE. En effet, l'article L. 2315-86 relatif aux contestation de l'employeur s'applique à toutes les expertises du CSE (sauf celle relative à une procédure de licenciement économique collectif).

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