A l’occasion de deux litiges récents tendant à faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail, la Cour de cassation s’est prononcée, sur une question pratique, celle de savoir quelle est la durée de prescription d’une action en reconnaissance d’un contrat de travail alors que sa nature juridique est contestée ou indécise et partant de là comment définir le point de départ de ce délai.
Prescription de 5 ou 2 ans ?
Rappelons que deux textes ont vocation à s’appliquer en matière de prescription :
- le délai de droit commun fixé par l’article 2224 du code civil pour lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;
- le délai spécifique de l’article L.1471-1, alinéa 1 du code du travail qui prévoit, depuis le 17 juin 2013, une prescription de 2 ans pour les actions liées à l’exécution du contrat de travail. Le délai pour agir court à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Remarque : pour mémoire, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, applicable depuis le 17 juin 2013, a institué la prescription spécifique de l’article L.1471-1 du code du travail concernant les actions portant sur l’exécution du contrat de travail de 2 ans. Antérieurement elle était de 5 ans.
L'action en reconnaissance d'un contrat de travail se prescrit sur 5 ans
Pour la Cour de cassation, il convient d’appliquer la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du Code civil.
Sous le visa des articles 2224 du code civil et de l’article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail, la Haute Cour affirme que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat de travail, dont la nature juridique est indécise ou contestée revêt le caractère d'une action personnelle. Elle déduit de cette constatation qu’elle relève de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil.
Dans la mesure où la qualification de la relation contractuelle dépend des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit.
Tels sont les principes énoncés, dans des termes identiques, dans deux arrêts du 11 mai 2022 rendus à propos d’un photographe (1er cas), l’autre d’un médecin-conseil (2e cas). Tous les deux avaient exercé leur activité en « indépendant » ou à titre libéral avant d’avoir été engagés par un contrat de travail (CDD de remplacement pour le premier, CDI pour le second).
1er cas : photographe travaillant pour une société de presse (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-14.421)
La première affaire concernait un photographe travaillant pour une société de presse et d’édition comme correspondant local de presse du 27 février 2001 au 1er avril 2004, puis comme journaliste pigiste à compter du 1er juin 2004. En 2008 et 2009 il y est embauché en CDD de remplacement. De 2009 à mai 2015 il travaille à nouveau comme pigiste. Le 20 juillet 2016, il intente une action devant le conseil des prud’hommes pour faire constater l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis le premier jour travaillé. Il demande également des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel rejette sa demande estimant qu’elle était prescrite. Selon elle, le délai de prescription courait depuis le 25 octobre 2010 (date d’un courrier de la société lui déniant la qualité de salarié). C’est à cette date que l’intéressée était en mesure de connaître les faits qui lui permettaient d’exercer ses droits à requalification de la relation contractuelle. Par conséquent, l’action en requalification en pouvait être exercée que jusqu’au 25 octobre 2015. Or, comme celle-ci avait été introduite postérieurement à cette date (il s’agissait du 20 juillet 2016) le délai de prescription était expiré.
La Cour de cassation, d’un tout autre avis, casse l’arrêt. Elle considère que la cour d’appel aurait dû retenir le délai de droit commun de 5 ans et non pas le délai de prescription spécifique applicable aux actions relatives à l’exécution du contrat de travail qui était passé de 5 ans à 2 ans depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.
2e cas : médecin-conseil d'une mutuelle (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-18.084)
Dans le deuxième arrêt, il s’agissait d’un médecin-conseil qui avait travaillé, à titre libéral, pour une mutuelle de février 1984 à mars 1992. Le 1er avril 1992 il a été engagé en contrat à durée indéterminée par cette mutuelle. Elle l’avait licencié en 2018.
L’intéressée introduit une action devant la juridiction prud’homale le 24 septembre 2014 afin d’obtenir la régularisation de cotisations sociales et de dommages-intérêts pour perte de droits à la retraite. Elle estimait que la relation de travail avait en réalité débuté dès février 1984.
La cour d’appel déclare sa demande irrecevable au motif que celle-ci qui avait été introduite en 2014 était prescrite. Elle retient, comme point de départ du délai de prescription, le 31 mars 1992 (soit la date de la fin de la collaboration libérale). C’est à cette date, selon elle, que l’intéressée disposait de tous les éléments permettant d’exercer son droit. La Cour de cassation confirme cette analyse.