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27 octobre 2025
Fidèle à sa ligne protectrice, la Cour de cassation sanctionne une nouvelle fois par la nullité des conventions individuelles conclues l’insuffisance de deux accords d’entreprise relatifs au forfait jours. Elle rappelle ainsi que ces accords collectifs doivent impérativement prévoir des garanties suffisantes, précises et effectives destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés.

Depuis une jurisprudence constante de la Cour de cassation du 29 juin 2011, issue du droit de l’Union européenne, le forfait jours est valable sous réserve du respect des principes généraux de protection de la sécurité et de la santé du salarié (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107). Les stipulations de l’accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait jours doivent alors obligatoirement assurer la garantie effective, du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, d’une amplitude et une charge de travail raisonnables, et d’une bonne répartition du temps de travail. De ce principe subsiste en pratique, la difficulté de déterminer si les modalités conventionnelles des accords collectifs autorisant le forfait jours respectent bien ces exigences, comme l’illustrent ces deux arrêts rendus par la Cour de cassation.

La protection de la sécurité et de la santé des salariés comme seul objectif

Dans le cadre de leur saisine prud’homale, les deux salariés mettent en cause la validité des accords collectifs portant sur le forfait jours au motif que les garanties conventionnelles étaient insuffisantes au regard des exigences fixées par le code du travail (C. trav., art. L. 3121-60 et L. 3121-64) et le droit européen. Ces accords prévoyaient :

  • d’une part, une amplitude maximale de la journée de travail de 7h à 20h afin de garantir le respect journalier de 11h ainsi qu’un système auto-déclaratif indiquant les jours de travail ou de repos (arrêt du 10 septembre) ;
  • d’autre part, la comptabilisation individualisée du temps de travail par un document déclaratif mensuel soumis à validation du manager, le respect des durées maximales de travail, un plafond en nombre de jours annuels, un récapitulatif biannuel du nombre de jours travaillés et chômés par les RH, un bilan annuel afin de vérifier le respect de l’amplitude, de la charge de travail et de la bonne répartition du temps de travail du salarié par les RH (arrêt du 24 septembre).

Saisie des affaires, la Cour de cassation considère ces dispositions insuffisantes. De manière constante, elle rappelle le droit constitutionnel à la santé et au repos, et que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ». Des exigences qui ne sont pas respectées selon elle. Dans la première affaire, les juges du droit reprochent aux modalités présentées d’être insuffisantes en ce qu’elles ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Ce faisant, elles ne sont alors pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et n’assurent pas une bonne répartition dans le temps du travail du salarié. Tandis que dans la seconde affaire, sont essentiellement visés les manques de clarté et de précision des mesures quant au cadre dans lequel elles s’appliquent, conduisant à leur enlever toute effectivité. De plus, aucun dispositif n’était prévu pour permettre au salarié de saisir l’employeur de difficultés éventuelles, ni pour permettre qu’il soit remédié utilement à toute situation mettant la santé du salarié en danger.

Pour la Cour de cassation, si le chemin menant à sanctionner les deux accords d’entreprise est différent, le but reste le même : celui de la protection de la sécurité et de la santé des salariés. En n’apportant pas suffisamment de garantie précise et effective quant à la défense de cet impératif, c’est donc à juste titre que les dispositions sont illicites et que les conventions individuelles de forfait doivent être annulées.

La nécessité de revoir les accords forfait jours en vigueur pour sécuriser les conventions de forfait et prévenir le risque de nullité

Ces deux arrêts ne remettent pas en cause la jurisprudence. Au contraire, ils s’inscrivent dans un contentieux nourri depuis plusieurs années, soulignant à la fois la complexité du sujet au sein des entreprises et leur inaction à se mettre en conformité. Bien que le code du travail liste l'ensemble des clauses devant figurer dans un accord collectif sur le forfait jours, l'ambiguïté demeure sur le niveau de détail requis pour que l'accord soit jugé conforme. L'accord collectif peut-il, par des modalités souples, satisfaire à ces exigences, ou un formalisme détaillé est-il indispensable ? Si la jurisprudence ne donne pas clairement de réponse, la Cour de cassation se prononce régulièrement sur la validité des accords autorisant le forfait jours dans le cadre des affaires soumises, laissant l'occasion d'apporter des indications sur ce qui est admis ou ce qui doit être corrigé.

Remarque

permettent ainsi un suivi effectif et régulier de la charge de travail du salarié, les dispositions d'un accord qui prévoient : un suivi des jours travaillés et de repos ainsi que de la charge de travail à l'aide d'un document tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, un entretien proposé par la hiérarchie lorsque le document mensuel de décompte présente des anomalies répétées mettant en évidence des difficultés en matière de temps de travail et ayant pour objet d'examiner des mesures correctives, un entretien supplémentaire possible à tout moment à l'initiative du salarié, un bilan effectué 3 mois plus tard afin de vérifier que la charge de travail présente bien un caractère raisonnable (Cass. soc., 2 oct. 2024, n° 22-16.519).

Les solutions rendues doivent amener les employeurs à s’interroger sur la conformité de leurs mesures conventionnelles. Dans une logique de sécurisation des conventions de forfait, il devient alors opportun de préciser ces modalités, les modifier ou les renforcer. Car sans action de leur part, le risque d'un éventuel contentieux est de s'exposer à un contrôle bien réel des juges, qui n’hésitent pas à sanctionner lorsque les garanties prévues ne sont pas respectées par l'employeur ou insuffisamment protectrices. L'impact financier d'un accord sur le forfait jours déclaré invalide peut être important, d'autant plus si le nombre de salarié sous forfait est élevé. Les sommes peuvent atteindre des dizaines voire des centaines de milliers d'euros.

Remarque

si le salarié ne peut obtenir automatiquement réparation en raison de cette irrégularité (Cass. soc., 11 mars 2025, n° 23-19.669), il peut en revanche prétendre au paiement d'un rappel de salaire et de ses majorations au titre des heures supplémentaires effectuées (Cass. soc., 5 juin 2013, n° 12-14.729), et voir son préjudice subi au titre des repos et du dépassement des durées maximales de travail indemnisé (Cass. soc., 4 févr. 2015, n° 13-20.891).

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Jean-David FAVRE
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