Actualité
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7 décembre 2023
Une fois immatriculée, une société peut désormais reprendre un acte s'il est établi que la commune intention des parties était de le conclure au nom ou pour le compte de la société en formation, peu important que cela n'y soit pas expressément mentionné.
Valable reprise d'un acte non expressément pris au nom ou pour le compte d'une société en formation
©Gettyimages

La Cour de cassation met fin à sa jurisprudence selon laquelle seuls les engagements expressément souscrits « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation, les actes pris « par » la société en formation étant nuls. Il appartient désormais au juge d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation. 

A noter :

Les sociétés autres que celles en participation acquièrent la personnalité juridique et donc la capacité de contracter lors de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés (C. civ. art. 1842, al. 1 et C. com. art. L 210-6, al. 1). Avant cette immatriculation, il peut néanmoins être nécessaire de passer certains actes pour assurer la mise en route de l'activité sociale. Le législateur a donc créé des procédures permettant à la société de reprendre, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, les actes conclus par ses fondateurs pendant la période de formation ; ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société (C. civ. art. 1843 ; C. com. art. L 210-6, al. 2).

Jusqu'à présent et de manière bien établie, la Cour de cassation considérait que seuls étaient susceptibles de reprise les actes expressément conclus « au nom » (Cass. com. 22-5-2001 n° 98-19.742 ; Cass. com. 21-2-2012 n° 10-27.630 F-PB : RJDA 5/12 n° 499 ; Cass. com. 13-11-2013 n° 12-26.158 F-D) ou « pour le compte » (Cass. com. 11-6-2013 n° 11-27.356 F-D : RJDA 10/13 n° 796 ; Cass. com. 10-3-2021 n° 19-15.618) de la société en formation.  Elle appliquait ce principe de manière rigoureuse, en jugeant par exemple que la mention selon laquelle la société contractante était « en cours d’enregistrement » (Cass. com. 13-11-2013 n° 12-26.158 F-D précité) ou « en cours d’immatriculation » (Cass. 3e civ. 22-3-1995 n° 93-11.981 D) n’était pas suffisante pour établir que l’acte avait été passé au nom ou pour le compte de la société en formation.

Comme l’explique la Cour, ce formalisme rigoureux visait à assurer la sécurité juridique et à protéger, d’un côté le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l’avenir, d’une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur et, de l’autre, la personne qui accomplissait l’acte au nom ou pour le compte de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engageait personnellement et resterait tenue en l’absence de reprise.

Les actes souscrits par la société elle-même étaient nuls pour avoir été conclus par une société dépourvue de personnalité juridique (Cass. 3e civ. 5-10-2011 n° 09-70.571 FS-D : RJDA 1/12 n° 52 ; Cass. com. 21-2-2012 n° 10-27.630 F-PB précité ; Cass. com. 19-1-2022 n° 20-13.719 F-D : RJDA 5/22 n° 272). Ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n’avaient à répondre de son exécution, à la différence d’un acte valable mais non repris, engageant la personne ayant agi au nom ou pour le compte de la société. Cette solution était vivement critiquée : comme le relève la Cour, elle était parfois utilisée par des parties pour se soustraire à leurs engagements et avait pour effets de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger et de ne pas apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants qui, en cas d’annulation de l’acte, se trouvaient dépourvus de tout débiteur.

Si les arrêts commentés apportent un assouplissement notable du formalisme en matière de reprise des actes, la procédure de reprise reste inchangée : elle doit, pour rappel, résulter soit de la signature des statuts — à condition qu’un état indiquant l’engagement qui résulte de chacun des actes pour la société ait été présenté aux associés avant la signature des statuts et soit annexé à ceux-ci (C. com. art. R 210-5, al. 1 et 2 et R 210-6, al. 1 et 2 pour les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions ; Décret 78-704 du 3-7-1978 art. 6, al. 1 et 2 pour les sociétés en nom collectif, en commandite simple et les sociétés civiles ; C. com. art. R 210-7 pour certaines sociétés par actions constituées avec offre au public) —, soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant la nature ainsi que les modalités des engagements à prendre (Décret 78-704 art. 6, al. 3 pour les sociétés en nom collectif ou en commandite simple et les sociétés civiles ; C. com. art. R 210-5, al. 3 pour les sociétés à responsabilité limitée), soit d’une décision prise à la majorité des associés après l’immatriculation de la société (Cass. com. 12-2-1974 : Rev. sociétés 1974 p. 493 note J. Hémard ; Cass. com. 10-10-1984 : Rev. sociétés 1985 p. 821 note Burst). Cela exclut donc toute reprise implicite (Cass. com. 20-1-1987 : Bull. civ. IV n° 28 ; Cass. com. 12-7-2004 n° 01-16.801 : RJDA 1/05 n° 34 ; Cass. 3 e civ. 30-3-2023 n° 21-25.920 F-D : RJDA 7/23 n° 372).

Par ailleurs, à notre avis, si les arrêts posent le principe selon lequel il faut désormais rechercher « si la commune intention des parties n’[est] pas que l'acte [soit] conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits », le revirement vaut dans tous les cas de reprise, y compris lorsqu’un mandat a été donné aux fondateurs de prendre des actes et que l’immatriculation emporte reprise automatique, sans qu’une décision de la société soit nécessaire.

Documents et liens associés

Cass. com. 29-11-2023 n° 22-12.865 FS-BR, Sté Bypa c/ Sté Fayett Valley

Cass. com. 29-11-2023 n° 22-18.295 FS-BR, X c/ Sté Mja

Cass. com. 29-11-2023 n° 22-21.623 FS-BR, X c/ Sté Holding BSP

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