Le salarié d’une agence immobilière, au sein de laquelle il était gestionnaire de copropriétés, démissionne et, non tenu par une clause de non-concurrence, constitue peu après une société dont il devient dirigeant, ayant pour activité la transaction d'immeubles et de fonds de commerce, le syndic de copropriété et le conseil en immobilier. L’agence poursuit cette société, lui reprochant de s'être rendue complice de procédés déloyaux de son ex-salarié ayant conduit à un détournement de clientèle. Sur plusieurs procédés dénoncés, la cour d’appel de Rennes n’en retient qu’un.
En premier lieu, elle écarte le reproche selon lequel la société aurait commencé son activité avant même l’expiration du préavis de départ de l’ancien salarié, en suivant le raisonnement suivant. Le salarié est tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son employeur jusqu'à son départ de l'entreprise. Seul l'exercice effectif d'une activité concurrente de celle de son employeur constitue, pendant la durée du préavis, une faute de concurrence déloyale. Or l’agence ne démontre pas que tel était le cas. La seule mention sur l'extrait Kbis de la déclaration administrative d'un commencement d'activité de la société le 18 septembre 2019, ne permettait pas d'établir qu'elle avait, de manière effective, signé des contrats ou démarché des clients entre cette date et le 23 septembre suivant, date de fin du préavis de l’ancien salarié. En outre, la société n'avait obtenu sa carte professionnelle pour l'exercice des activités de transaction sur immeubles et fonds de commerce et de syndic de copropriété que le 23 octobre, ce qui limitait grandement la possibilité d'exercice effectif par l’ex-salarié d'une activité similaire à celle objet de son ancien contrat de travail. Il n'était pas non plus démontré que l’intéressé avait antérieurement obtenu une telle carte pour son compte personnel.
Le fait que l’ancien salarié ait, pendant son salariat, fait signer des mandats de gestion d’un an aux syndics de copropriété, ce qui permettait selon l’agence à celui-ci de se porter candidat auprès des syndicats à bref délai après avoir quitté son emploi, ne pouvait pas être pris en compte. En effet, ce procédé légal de signature de courts mandats, aisément contrôlable par l'employeur, ne suffisait pas à établir une préméditation de la part de l’ancien salarié.
L’agence ne pouvait pas non plus utilement prétendre qu’une confusion avait été entretenue par la société dans un article de presse et dans les commentaires de clients sur son site internet faisant état des actions ou des comportements de son dirigeant du temps où il travaillait pour l’agence. En effet, juge la cour d’appel, il n’en résulte aucune confusion de nature à tromper la clientèle de l’agence, l’ensemble ne visant qu’à vanter les qualités professionnelles de l’intéressé en tant que professionnel de la gestion de syndic en général.
En revanche, la cour d’appel retient la concurrence déloyale pour détournement d’un fichier des clients de l’agence compte tenu des éléments suivants : la liste des syndicats de copropriété découverte par un huissier dans les locaux de la société correspondait à celle des syndicats dont l’ancien salarié avait auparavant la charge et comportait des mentions spécifiques (initiales des comptables de l’agence chargés de la gestion ; date des derniers renouvellements de mandats de gestion et des assemblées générales intervenus avant la création de la société), ce qui suffisait à établir que le fichier émanait de l’agence ; ces indications avaient permis à la société d’organiser un démarchage systématique des clients de l’agence en fonction des dates d’échéance des mandats, le surlignage des syndicats de copropriété sur cette liste avec la mention « sûr », « probable » ou « peut-être » confortait le plan mis en œuvre ; le détournement de ce fichier, allié au fait que l’ancien salarié avait conservé les coordonnées de nombreux copropriétaires, comme l’avait constaté l’huissier, avait conduit la société à se rendre complice d’un démarchage déloyal.
A noter :
Application de principes classiques.
Sauf clause de non-concurrence le lui interdisant, un ancien salarié peut participer à la création d’une société concurrente de son ex-employeur à condition que cette société n'ait eu aucun commencement d'activité au jour de la cessation du contrat de travail (notamment, Cass. com. 13-3-2001 n° 99-11.178 P : RJDA 7/01 n° 824 ; Cass. soc. 5-5-2009 n° 07-45.331 F-D : RJDA 10/09 n° 909), y compris durant le délai de préavis auquel est tenu l’ex-salarié (Cass. com. 12-2-2002 n° 00-11.602 FS-P : RJDA 6/02 n° 708) mais il peut immatriculer la société pendant ce délai (Cass. soc. 23-9-2020 n° 19-15.313 FS-PB : RJDA 3/21 n° 167).
Le démarchage de la clientèle d’un concurrent, même par un ancien salarié de celui-ci, n’est illicite que s’il est accompagné des procédés déloyaux (par exemple, Cass. com. 28-9-2022 n° 21-15.892 F-D : RJDA 1/23 n° 59), ce qui est le cas s’il a été réalisé grâce à un détournement du fichier clients du concurrent (Cass. com. 21-2-1995 n° 93-10.754 D : RJDA 7/95 n° 924 ; Cass. com. 12-5-2021 n° 19-17.714 F-D : RJDA 10/21 n° 692).
Dans l’affaire commentée, le démarchage illicite avait permis à la société poursuivie de récupérer 8 des 44 syndicats de copropriété de l’agence. La société a été condamnée à verser à celle-ci 4 000 € de dommages-intérêts pour perte d’une chance de renouveler les mandats de ces syndicats.
Documents et liens associés :
CA Rennes 14-1-2025 n° 23/02708
Pour en savoir plus :
Voir MCC 2024 n° 12745 et 12805