Une société d'ingénierie industrielle agit en responsabilité contre une société par actions simplifiée (SAS) exerçant une activité similaire, créée par deux de ses anciens salariés. Elle lui reproche d'avoir commis des actes de concurrence déloyale en détournant des données commerciales par l'intermédiaire de son futur dirigeant alors qu'il était encore salarié.
La Cour de cassation (Cass. com. 17-5-2023 n° 22-16.031 F-B) juge que les agissements fautifs de l'ancien salarié ne pouvaient pas engager la responsabilité de la SAS en se fondant sur l'argumentation suivante.
Il se déduit de l'article 1240 du Code civil (ex-art. 1382) que la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes. Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés (C. com. art. L 210-6, al. 1). Or, à la date des faits litigieux, la SAS n'était ni constituée ni immatriculée et l'ancien salarié n'en était pas encore dirigeant.
A noter :
Les actes fautifs des organes de la société agissant dans l'exercice de leurs fonctions engagent sa responsabilité civile (Cass. com. 3-6-2008 nos 07-12.017 et 07-15.228 : RJDA 11/08 n° 1131). Ce principe ne vaut que si la société jouit de la personnalité morale, qu'elle acquiert au moment de son immatriculation (C. com. art. L 210-6, al. 1). A défaut, l'auteur de la faute reste personnellement tenu des conséquences de ses actes.
Les faits de détournement de fichiers confidentiels commis par le salarié, avant de créer une société concurrente, n'engagent donc pas la responsabilité de cette dernière du fait de ses organes. Sa responsabilité personnelle pourra néanmoins être engagée s'il est établi qu'elle s'est rendue complice de ces agissements, en en tirant ensuite elle-même profit, par l'appropriation ou la détention de ces informations, ce qui n'était pas démontré dans l'affaire commentée.
En outre, une société peut reprendre les actes pris pour son compte par ses fondateurs avant son immatriculation (C. com. art. L 210-6, al. 2). Si la reprise n'était pas alléguée en l'espèce, il est en général considéré que le mécanisme de la reprise est limité aux seuls engagements contractuels et ne s'applique pas aux obligations nées de faits délictuels ou quasi délictuels.
A l'occasion d'un arrêt où les fondateurs d'une société avaient débauché du personnel de leur ancienne entreprise dans des conditions constitutives de concurrence déloyale, la cour d'appel de Paris a en effet jugé que les contrats de travail alors conclus ne constituaient que le dernier terme d'une manœuvre illicite de débauchage et ne pouvaient en aucun cas être assimilés à des engagements commerciaux susceptibles de reprise après l'immatriculation de la société (CA Paris 24-2-1977 : D. 1978 p. 32 note J.-C. Bousquet, JCP 1978 II n° 18957 note Y. Chartier). Suivant la même logique, le Conseil de la concurrence a par ailleurs estimé qu'une société ne pouvait pas être poursuivie pour pratiques anticoncurrentielles dès lors que son immatriculation était postérieure aux faits pour lesquels des griefs avaient été notifiés (Cons. conc. 29-11-1995 n° 95-D-76 : BOCC 15-5-1996).
Documents et liens associés :
Cass. com. 17-5-2023 n° 22-16.031 F-B Sté AIGP ingénierie c/ Sté Eras