Actualité
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22 décembre 2023
La sanction du réputé non écrit d'une clause est applicable aux baux commerciaux en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi Pinel, même si, à cette date, la prescription de l'action en nullité d'une telle clause était déjà acquise.
Le réputé non écrit s'applique aux baux en cours malgré la prescription acquise avant la loi Pinel
©Gettyimages

Depuis la loi Pinel (Loi 2014-626 du 18-6-2014), les clauses d’un bail commercial contraires aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux, et notamment les clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement du bail, sont réputées non écrites (C. com. art. L 145-15), alors qu’elles étaient auparavant nulles. Les nouvelles dispositions sont applicables aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 20 juin 2014 (Cass. 3e civ. 19-11-2020 n° 19-20.405 FS-PBI : RJDA 2/21 n° 82). Par ailleurs, l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription. 

Après avoir rappelé ces principes, la Cour de cassation en a fait application dans l'affaire suivante.

En 2002, des particuliers propriétaires d'une villa dans une résidence de tourisme la louent à la société exploitant cette résidence. Les baux contiennent une clause de renonciation du locataire à son droit à une indemnité d'éviction. En septembre 2014, les propriétaires délivrent au locataire un congé à effet au 31 mars 2015 sans offre d'indemnité d'éviction. Ce dernier agit alors contre eux en vue de voir déclarer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction et condamner les propriétaires à lui payer cette indemnité. Les propriétaires lui opposent la prescription de l'action en nullité de la clause, selon eux définitivement acquise avant l'entrée en vigueur de la loi Pinel. 

La Cour de cassation écarte l'argument : quand bien même la prescription de l'action en nullité d'une telle clause est antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours, ce qui était le cas en l'espèce dès lors que le bail s'était tacitement prorogé et que le congé avait été délivré par le propriétaire après l'entrée en vigueur de la loi. L'action tendant à voir réputer non écrite la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction n'était donc pas soumise à la prescription biennale et était donc recevable.   

A noter :

1° La solution est fondée sur la règle suivant laquelle la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées (C. civ. art. 2). Elle a déjà été posée à plusieurs reprises par la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 19-11-2020 n° 19-20.405 FS-PBI, précité ; Cass. 3e civ. 21-4-2022 n° 21-10.375 F-D :  BRDA 2/23 inf. 17). 

En l'espèce, les bailleurs avaient placé les débats sur le terrain du droit de la prescription, suivant lequel la loi qui allonge la durée d'une prescription est sans effet sur une prescription déjà acquise (C. civ. art. 2222). On sait en effet que, avant l'entrée en vigueur de la loi Pinel, l’action en nullité d’une clause contraire au statut des baux commerciaux devait être engagée dans le délai de prescription de deux ans à compter de la signature du bail (C. com. art. L 145-60).  Dès lors que ce délai de prescription était expiré à la date d'entrée en vigueur des dispositions substituant le réputé non écrit à la nullité, les propriétaires en déduisaient que le caractère imprescriptible de l'action tendant au réputé non écrit ne pouvait pas prendre le relais de l'ancien délai et ne s'appliquait donc pas. 

La Cour de cassation énonce au contraire très clairement que la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours indépendamment de l'expiration du délai de prescription de l'action fondée sur la nullité. 

La solution se déduisait des précédentes décisions et du mécanisme même du réputé non écrit et de l'imprescriptibilité, la clause sanctionnée étant censée n’avoir jamais existé. Il est vrai qu'en substituant le réputé non écrit à la nullité, la loi Pinel ne se borne pas à allonger le délai de prescription antérieurement applicable. 

Rappelons qu'en revanche le réputé non écrit ne s'applique pas aux clauses qui sont l'objet d'une instance en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi (Cass. 3e civ. 28-6-2018 n° 16-17.939 FD :  RJDA 11/18 n° 810).

2° Pour apprécier si le bail est en cours à cette date il faut, à notre avis, se placer à la date d'effet du congé, et non pas à celle de sa délivrance (cf. Cass. 3e civ. 20-3-1991 n° 89-20.349 PF : RJDA 5/91 n° 386). Dans l'arrêt commenté, le congé avait été délivré après l'entrée en vigueur de la loi Pinel et pour une date postérieure, de sorte que la question ne se posait pas. 

Mais dans un autre arrêt du même jour (pourvoi n° 22-14.046 F-D), la Cour suprême retient la même solution alors que le congé avait été délivré à une date antérieure à l'entrée en vigueur de la loi et pour une date d'effet postérieure. 

Et, dans une troisième décision également rendue le 16 novembre (n° 22-14.089 F-D), elle refuse d'appliquer la sanction du réputé non écrit à un bail ayant pris fin avant la date d'entrée en vigueur de la loi Pinel, le bailleur ayant délivré congé pour une date d'effet antérieure à cette date, sans ouvrir de droit au renouvellement du locataire (le propriétaire se prévalait là encore de la clause de renonciation à l'indemnité d'éviction).

Documents et liens associés : 

Cass. 3e civ. 16-11-2023 n° 22-14.091 F-B

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