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31 mai 2023
Un revirement inattendu, et spectaculaire, vient d'être opéré par la Cour de cassation sur le point de départ de la prescription de l'action en requalification d'un contrat en bail commercial soumis au statut.

Une commune, où est sise une célèbre station de ski, avait conclu successivement avec l’exploitant d’un commerce de piano-bar-restaurant, pour le logement de son personnel, sept conventions dites d’occupation précaire, la première pour une durée de six mois à compter du 15 novembre 2009, la dernière pour une durée d’un an à compter du 1er novembre 2014. Après quoi la commune avait proposé à l’exploitant un « bail de location saisonnière » pour l’année 2016. Ce dernier, qui était resté constamment en possession des locaux depuis l’origine, a refusé cette proposition et, le 26 mai 2016, a assigné la commune pour tenter de faire juger qu’il était titulaire d’un bail commercial statutaire.

Le tribunal judiciaire, par jugement du 21 janvier 2020, a déclaré irrecevable comme prescrite cette demande de requalification et a ordonné l’expulsion de l’occupant.

Par arrêt en date du 15 mars 2022 (ch. civ., 1re sect., n° 20/00129), la cour d’appel de Chambéry a confirmé en toutes ses dispositions la décision des premiers juges, par adoption de ses motifs et notamment pour le motif de droit essentiel que « le point de départ du délai de prescription est la date de conclusion de la convention initiale, y compris en cas de reconduction tacite ou de renouvellement par avenants successif et une telle solution s'impose également en cas de renouvellement par conclusion d'un nouveau contrat similaire dès lors qu'il est légalement considéré qu'un contrat tacitement reconduit est un nouveau contrat. »

En formant un pourvoi contre cet arrêt, le prétendu locataire avait sans doute été prévenu par son conseil qu’il ne devait pas se bercer d’illusion sur les chances d’une cassation.

En effet, la Cour de cassation, suivie en cela par les juridictions du fond, jugeait de façon constante et répétée que l’action qui tend à requalifier un contrat d’un autre type en bail commercial régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, est soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60, et que cette prescription court à compter de la date de conclusion du contrat initial, même lorsqu’il a été renouvelé (Cass. 3e civ., 23 nov. 2011, n° 10-24.163 et n° 10-27.188 ; Cass. 3e civ., 29 nov. 2018, n° 17-24.715 ; Cass. 3e civ., 20 déc. 2018, n° 17-26.684 ; Cass. 3e civ., 17 sept. 2020, n° 19-18.435 F-P+B+I ; CA Bordeaux, 23 mars 2020, n° 17/04705 ; CA Aix-en-Provence, 31 mai 2022, n° 21/14270).

Il articulait néanmoins son moyen de cassation en faisant fi de cette jurisprudence, en soutenant « que le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d'une convention en bail commercial court à compter de la conclusion du dernier contrat, conclu entre les parties, dont la requalification est demandée ; qu'en jugeant que le délai de prescription de l'action en requalification formée par la société [exploitant le piano-bar-restaurant] avait commencé à courir à la date à laquelle les parties avaient conclu leur premier contrat de bail, soit le 9 novembre 2009, et non à la date à laquelle avait été conclue la dernière convention en vertu de  laquelle le local était mis à disposition du preneur, la cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce ».

Mais l’on sait que la chance sourit parfois aux plaideurs qui ont l’audace de plaider ce qui semble implaidable…

Pour preuve, le 25 mai 2023, l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry est sèchement cassé et annulé en son entier par la Cour de cassation, au motif, qui sonne comme un (nouveau) principe, que « le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court, même en présence d'une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée » (Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-15.946 FS-B).

La troisième chambre civile opère ainsi un soudain revirement que rien, dans ses arrêts antérieurs, ne laissait pressentir, tant la solution adoptée jusqu’alors paraissait figée dans le marbre.

Ce retournement mérite selon nous une entière approbation.

Il redonne enfin à cette solution sa cohérence avec la nature juridique du renouvellement, dont la Cour de cassation a souligné qu’il est « un nouveau contrat et non pas la prolongation du contrat précédent » (Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 19-19.503, n° 219 FS-P+B), règle par ailleurs énoncée implicitement à l’article L. 145-12 du code de commerce (« Le nouveau bail prend effet à compter de l'expiration du bail précédent ») et aujourd’hui explicitement à l’article 1214 du code civil.

Bienvenu pour les titulaires de contrats incorrectement qualifiés, sa portée est donc d’une très grande importance.

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Alain Confino, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Confino
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