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19 juin 2023
L'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus Covid-19 ne peut exonérer un locataire à bail commercial du paiement des loyers.

La troisième chambre de la Cour de cassation continue de « déstocker » les contentieux Covid encore en cours.

L’on se souvient que par ses trois arrêts très attendus du 30 juin 2022 (n° 21-20.190, n° 21-20.127 et n° 21-19.889, publiés au Bulletin), puis par trois autres du 23 novembre 2022 (n° 22-12.753, 21-21.867 et 22-13.773, publiés au Bulletin), elle avait écarté tour à tour les moyens par lesquels des preneurs soutenaient respectivement le manquement du bailleur à son obligation de délivrance, la perte temporaire de la chose louée, la force majeure et le non-respect par le bailleur de l’exigence de bonne foi dans l’exécution du bail.

Par un nouvel arrêt du 16 mars 2023 (n° 21-24.414), elle a cassé et annulé un jugement du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence qui avait retenu que l'impossibilité d'exploiter les lieux loués en raison des mesures gouvernementales prises pour interdire la réception du public en vue de lutter contre l'épidémie de covid -19 devait être assimilée à une perte partielle de la chose louée, et rappelé, ainsi qu’elle l’avait jugé le 30 juin 2022, que « l'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose » au sens de l’article 1722 du code civil.

Dans l’affaire qui l’opposait à son bailleur (pourvoi n° 21-20.190), la société « Action France » avait admis qu’elle n’était pas dans l’impossibilité de payer mais elle soutenait que la force majeure résidait dans l’impossibilité pour le bailleur de lui fournir un local exploitable, ce qui corrélativement l’aurait libérée de son obligation de payer le loyer. Ce à quoi la Cour de cassation avait répondu, au visa de l’article 1218 (nouveau) du code civil, que « la cour d'appel a exactement retenu que la locataire, débitrice des loyers, n'était pas fondée à invoquer à son profit la force majeure ».

Cette fois, par un arrêt du 15 juin 2023, elle décide de même (au visa de l’article 1148 ancien du code civil) par un simple rappel de la solution affirmée par la chambre commerciale le 16 septembre 2014, selon laquelle « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306, Bull. 2014, IV, n° 118). »

Elle en déduit « que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19 ne peut exonérer un locataire à bail commercial du paiement des loyers ».

Ce n’est pas faute pour la société locataire, exploitante d’une résidence de tourisme, d’avoir tenté de faire revenir la haute juridiction sur sa position, en soutenant, « en vrac », que les mesures de police administrative prises en 2020 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire l’avaient mise dans l’impossibilité d’exercer la moindre activité pendant la période de confinement, ce qui lui avait causé une perte totale de clientèle s’apparentant à une perte de la chose louée, situation qui selon elle relevait d’un cas de force majeure caractérisé par un événement imprévisible lors de la conclusion du bail et irrésistible dans son exécution, et constituait au surplus un fait du prince.

Inflexible à ces moyens, la troisième chambre rejette de ce chef, par substitution de motifs, le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble (particulièrement remarqué pour avoir été l’un des tout premiers à prendre parti au fond sur la question de l’exigibilité des « loyers Covid ») qui avait condamné la locataire à payer les loyers de la période critiquée (CA Grenoble, ch. comm., 5 nov. 2020, n°16/04533).

Elle entre en revanche en cassation partielle sur des chefs accessoires de l’arrêt (condamnation à paiement de loyers pour lesquels la locataire soutenait être à jour, condamnation à des dommages intérêts distincts des intérêts moratoires sans constat de la mauvaise foi de la locataire, condamnation de la locataire à communiquer ses comptes d’exploitation sans examen des courriers adressés au bailleur à ce titre).

Il demeure que sur les quatre principaux fondements invoqués par les commerçants locataires pour s’opposer au paiement des loyers des périodes pendant lesquels l’accueil du public leur a été interdit (obligation de délivrance, perte temporaire de la chose louée, force majeure et devoir bonne foi), la Cour de cassation entend rester fermement sur la ligne qu’elle a fixée en 2022.

Si l’on excepte quelques décisions isolées qui ont fait preuve d’indépendance au cas par cas (T.J. Paris, 18è ch., 1ère sect., 22  sept. 2022 ; TJ Meaux, 6 avr. 2023), les juridictions inférieures se sont généralement alignées (v. par ex. CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 27 oct. 2022, n° 21/11930 ; CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 7 oct. 2022, n° 22/05862 ; CA Versailles, 14e ch., 6 avr. 2023, n° 22/05342 ; CA Douai, 2è ch., 2è sect., 25 mai 2023, n° 22/09235).

Le débat est-il pour autant épuisé, dès lors que tous les moyens de droit à la disposition des preneurs n’ont pas encore fait l’objet de réponses de la Cour suprême ? La pandémie de Covid-19, et celles qui pourraient encore surgir, n’ont peut-être pas fini d’alimenter les joutes judiciaires, dans un environnement économique plus que tendu pour beaucoup de commerçants (v. notre article « ‘Loyers Covid’ devant la Cour de cassation : épilogue ou étape ? », Veille Permanente, Editions Législatives, Droit des affaires, 3 août 2022).

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Alain Confino, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Confino
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