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12 septembre 2024
La preuve d’une livraison pouvant être faite par tous moyens, un fournisseur peut prouver sa créance sur son client en produisant un relevé de compte-client, des factures et des bons de livraison, même s’il les a établis lui-même et si le client ne les a pas tous signés.
Les factures émises par une entreprise peuvent prouver qu'elle a livré son client
©Getty Images

Quelques années après avoir ouvert un compte-client à un entrepreneur, un fournisseur de matériaux réclame à celui-ci 12 000 € au titre de factures impayées et d’une pénalité. Il obtient gain de cause en appel, en produisant un relevé du compte-client, plusieurs factures et bons de livraisons à l’appui de sa créance. L’entrepreneur conteste le montant réclamé, faisant valoir que les factures et bons de livraisons produits ne comportent pas tous sa signature et que ces documents n’ont pas de valeur probante puisqu’ils ont été établis par le fournisseur lui-même.

La Cour de cassation confirme la condamnation de l’entrepreneur à payer le fournisseur. 

D’une part, le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même n'est pas applicable à la preuve d'un fait juridique tel qu'une livraison. 

D’autre part, appréciant souverainement la valeur probante des documents produits par le fournisseur, la cour d’appel avait pu retenir que ce dernier avait apporté la preuve de l'existence et du montant de sa créance compte tenu des éléments suivants : l’entrepreneur s’approvisionnait depuis plusieurs années auprès du fournisseur ; la prise de possession de la marchandise s'effectuait essentiellement par retrait, l’entrepreneur étant désigné en tant que personne habilitée pour y procéder ; le fournisseur avait produit un relevé du compte-client de l’entrepreneur certifié conforme en ses livres, faisant état d'un solde débiteur de 10 000 € correspondant au montant cumulé de quatre factures émises au nom de l’entrepreneur et déduction faite de deux acomptes ; plusieurs bons de livraison portaient la signature de l’entrepreneur ; si d'autres n'en comportaient aucune ou étaient revêtus d'un simple paraphe non identifiable, l’entrepreneur ne pouvait en tirer argument pour s'exonérer de son obligation de paiement dans la mesure où il était établi qu'il avait précédemment payés des factures correspondant à des bons de livraison non revêtus de sa signature ; les conditions générales de vente qui liaient les parties prévoyaient une indemnité (20 % des sommes dues) en cas de recouvrement contentieux, de sorte qu'une somme de 2 000 € était également due à ce titre.

A noter :

Le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre (ou de preuve) à soi-même, affirmé de longue date par la jurisprudence et désormais codifié à l’article 1363 du Code civil, s’applique à la preuve des actes juridiques mais pas à celle des faits juridiques qui peut être apportée par tous moyens (notamment, Cass. 3e civ. 3-3-2010 n° 08-21.056 FS-PB : RJDA 7/10 n° 808 ; Cass. com. 3-5-2012 n° 11-14.959 F-D : RJDA 11/12 n° 1027 ; Cass. com. 8-3-2017 n° 15-15.825 F-D). Même pour les faits juridiques, le juge apprécie souverainement la valeur probante des éléments produits (Cass. 2e civ. 13-2-2014 n° 12-16.839 F-PB : Bull. civ. II n° 41 ; Cass. 3e civ. 27-4-2017 n° 16-15.958 FS-PBI : Bull. civ. III n° 51). L’arrêt commenté confirme ces principes.

Leur mise en œuvre peut se révéler délicate au regard de la double distinction entre acte et fait juridique et entre admissibilité et valeur probante des éléments produits devant le juge. Par exemple, jugé, en application du principe interdisant de se créer une preuve à soi-même, que la preuve d’une créance d’un fournisseur sur son client ne peut pas résulter des seules factures établies par le premier sans que soient produits aux débats les bons de commande ou de livraison (Cass. com. 6-12-1994 n° 93-12.309 D). En effet, dans ce cas, il ne s’agit pas de prouver l’existence de la livraison mais celle d’un contrat. De même, dans une affaire où le client d’un garagiste contestait être le propriétaire du véhicule réparé, il a été jugé que le client ne pouvait pas être condamné à payer la réparation sur la seule base de factures établies par le garagiste et de la comptabilité de celui-ci qui faisaient apparaître le versement d’acomptes par le client (Cass. 1e civ. 14-1-2003 n° 00-22.894 F-P : RJDA 6/03 n° 675 ; dans le même sens, dans un cas où le client contestait le montant de la facture, Cass. 2e civ. 23-9-2004 n° 02-20.497 F-PB : Bull. civ. II n° 414). En revanche, la preuve de la créance d’un grossiste sur un détaillant a été déduite de la production d’un décompte établi par le grossiste, des factures impayées et des mises en demeure adressées au détaillant, dès lors que ce dernier ne contestait pas la réalité des livraisons et n’avait émis aucune réserve lors de celles-ci (Cass. com. 16-12-2014 n° 13-19.351 F-D).

On peut relever que, dans l’affaire commentée, les juges du fond ont aussi tenu compte des pratiques habituellement suivies par les parties, qui confortaient la portée des documents produits.

Documents et liens associés :

Cass. com. 26-6-2024 n° 22-24.487 F-B

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