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16 janvier 2023
La CJUE se prononce sur la mise en balance des droits et intérêts qu’il convient d’opérer en cas de demande de déréférencement d’un contenu prétendument inexact dans un moteur de recherche.

A l’occasion d'un nouvel arrêt relatif au droit à l’oubli, rendu en grande chambre le 8 décembre 2022, la CJUE a apporté des précisions sur la portée du droit au déréférencement en cas de contenu prétendument inexact (CJUE, grande ch., 8 déc. 2022, aff. C-460/20, Google (Déréférencement d'un contenu prétendument inexact)). Le litige opposait les dirigeants d’un groupe de sociétés à Google. Ceux-ci contestaient le refus de Google de déréférencer les articles présentant de manière critique le modèle d’investissement de leurs sociétés ainsi que les photographies, affichées sous la forme de vignettes (« thumbnails »), les présentant avec des biens de luxe.

Les questions préjudicielles soulevées portaient sur l’interprétation du droit au déréférencement issu des articles 12 et 14 de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 et, désormais, de l’article 17, § 3 du règlement général sur la protection des données, dit « RGPD » (Règl. (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, 27 avr. 2016 : JOUE n° L 119, 4 mai), notamment sur la mise en balance qu’il implique entre les droits fondamentaux visés aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, d’une part, et ceux visés aux articles 11 et 16 de la Charte, d’autre part.

Étaient posées à la Cour deux séries de questions :

  • quelles sont les obligations qui incombent au demandeur et à l’exploitant d’un moteur de recherche dans le cadre d’une demande de déréférencement fondée sur la prétendue inexactitude des informations figurant dans le contenu référencé ?
  • quelles sont les obligations qui incombent à l’exploitant d’un moteur de recherche dans le cadre d’une demande de déréférencement concernant l’affichage de photographies sous la forme de vignettes ?

Déréférencement d’un contenu prétendument inexact

Après avoir rappelé, conformément à sa jurisprudence, que « le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu, mais doit (…) être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité » (point 56), la Cour examine les conditions dans lesquelles l’exploitant d’un moteur de recherche est tenu de faire droit à une demande de déréférencement au motif que le contenu référencé contient des allégations que la personne estime inexactes.

A l’instar du rôle joué dans la vie publique par la personne concernée, le caractère exact ou non du contenu référencé constitue un élément d’appréciation pertinent. Mais, dans l’hypothèse d’informations inexactes, le droit d’informer et le droit d’être informé ne sauraient prévaloir « car ils ne peuvent inclure le droit de diffuser de telles informations et d’y avoir accès » (point 65).

S’agissant, tout d’abord, des obligations incombant à la personne qui demande le déréférencement, il lui appartient d’établir l’inexactitude manifeste des informations ou, à tout le moins, d’une partie essentielle de ces informations au regard de l’ensemble de ce contenu. A cet égard, la Cour se montre attentive à l’effet utile du droit au déréférencement. Afin d’éviter de faire peser sur cette personne une charge excessive, il lui incombe uniquement de fournir les éléments de preuve raisonnables. Cette personne ne saurait notamment être tenue de produire une décision juridictionnelle obtenue contre l’éditeur du site internet en cause, même sous la forme d’une décision prise en référé (point 68).

S’agissant, ensuite, des obligations incombant à l’exploitant du moteur de recherche, il ne saurait lui être imposé d’enquêter sur les faits et d’avoir un rôle actif. Une telle obligation risquerait en effet de conduire au déréférencement quasi systématique, en vue d’éviter d’avoir à supporter la charge d’enquêter sur les faits pertinents pour établir le caractère exact ou non du contenu référencé (point 71). Cela pourrait alors porter atteinte au droit à la liberté d’information.

Face à une telle demande de déréférencement, la Cour estime :

  • que l’exploitant du moteur de recherche est tenu d’y faire droit lorsque la personne concernée présente des éléments de preuve pertinents et suffisants, aptes à étayer sa demande et établissant le caractère manifestement inexact des informations (point 72) ;
  • que l’exploitant du moteur de recherche n’est pas tenu, en l’absence d’une décision de justice, d’y faire droit lorsque le caractère inexact des informations n’apparaît pas de manière manifeste au vu des éléments de preuve fournis par la personne concernée ou lorsque le caractère inexact ne concerne que certaines informations d’importance mineure au regard de l’ensemble du contenu (points 73 et 74).

Cessation de l’affichage des photographies sous la forme de vignettes (« thumbnails »)

La Cour a également précisé les conditions de la suppression des photographies affichées sous la forme de vignettes à l’occasion d’une recherche d’images effectuée à partir du nom d’une personne physique.

Elle estime, tout d’abord, que cet affichage est « de nature à constituer une ingérence particulièrement importante dans les droits à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel (…) visés aux articles 7 et 8 de la Charte » (point 94). En effet, « l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité » et constitue « l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel » (point 95). Aussi l’individu doit-il pouvoir en refuser la diffusion.

Il en découle que l’exploitant d’un moteur de recherche doit vérifier si l’affichage des photographies est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’information des internautes (point 96). Pour ce faire, il doit « tenir compte de la valeur informative de ces photographies indépendamment du contexte de leur publication sur la page Internet d’où elles sont extraites, mais en prenant en considération tout élément textuel qui accompagne directement l’affichage de ces photographies dans les résultats de recherche et qui est susceptible d’apporter un éclairage sur la valeur informative de celles-ci » (point 108).

Par ce nouvel arrêt, la Cour procède à un exercice délicat, celui de trouver un juste équilibre dans la mise en œuvre du droit au déréférencement sans imposer des charges supplémentaires aux personnes concernées.

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Emilie Debaets, Maître de conférences en droit public, Université Toulouse Capitole - IMH
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