À la suite d’un litige entre associés d'une SCI portant sur une demande d’exécution d’une promesse de cession de parts, il avait été décidé par arbitrage que la cession devait être réalisée dans les deux mois de la notification de la sentence arbitrale. Les associés promettants avaient alors demandé au gérant de convoquer une assemblée générale aux fins de « constater [leur] qualité d'associé et ( …) décider la réalisation des démarches et formalités nécessaires à la régularisation subséquente de la situation irrégulière ». Face à l’inaction du gérant, ces derniers avaient demandé la désignation judiciaire d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale. La SCI et son gérant s’y étaient opposés, demandant l’annulation de l’assignation. Les juges d’appel ayant rejeté la demande d’annulation de l’assignation, la SCI et le gérant s’étaient pourvus en cassation. Ils estimaient que les associés d'une société civile devraient nécessairement être parties à l'instance tendant à la désignation d'un tel mandataire et que le juge devrait apprécier la conformité de la demande de désignation à l’intérêt social.
La Cour de cassation rejette le premier moyen, rappelant qu’aux termes de l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, il est possible pour un associé non-gérant de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés. La Cour ajoute que cette demande, visant à remplacer l’organe de direction, ne concerne que la « société et ses modalités de fonctionnement ». En conséquence, seule la société est nécessairement partie à cette instance.
Puis, la Cour, au visa du même article, estime que le juge doit « apprécier la conformité de la demande dont il est saisi à l’intérêt social ». Les juges du fond n’ayant pas effectué cette recherche, la Cour décide de statuer au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et considère que « l'assemblée générale des associés d'une société [étant] dépourvue de toute compétence pour déterminer si des parts de la société ont fait ou non l'objet d'une cession et, partant, si les détenteurs de ces parts ont, ou non, la qualité d'associé », la demande de convocation de l’assemblée n’était pas conforme à l’intérêt social.
Cette décision appelle quelques réflexions sur l’action offerte aux associés de société civile à l’article 39 du décret du 3 juillet 1978 et l’exigence de conformité à l’intérêt social de la demande de désignation d’un mandataire ad hoc.
L’action en désignation d’un mandataire chargé de provoquer une délibération des associés
Pour rappel, l’article 39 du décret du décret du 3 juillet 1978 offre à un associé non gérant la possibilité de demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée à tout moment par lettre recommandée. Si le gérant s’oppose à cette demande ou s’il garde le silence, l’associé se voit offrir la possibilité de solliciter le président du TGI – désormais du tribunal judiciaire –, afin qu’il désigne un mandataire chargé de provoquer cette délibération.
La Cour de cassation affirme ici que cette faculté relève de la « société et de ses modalités de fonctionnement » de sorte qu’il n’est pas nécessaire que les associés de la société civile soient parties à l’instance. La solution paraît logique, les pouvoirs confiés au mandataire appartenant à l’organe de direction de la société, la demande relève bien du fonctionnement interne de la société.
D’ailleurs, la formulation générale de l’arrêt semble pouvoir s’appliquer à d’autres actions similaires offertes notamment dans les SA et SARL. En effet, les articles L. 225-103 et L. 223-27 du code de commerce offrent des actions proches. Seule la société devrait alors être partie à l’instance lorsqu’un associé demande en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée.
L’exigence de conformité à l’intérêt social de la demande
La Cour précise en outre que la demande de désignation doit être conforme à l’intérêt social, alors même que la lettre du texte ne l’exige point. Cette exigence appelle à son tour quelques observations.
D’abord, pareille solution semblait devoir s’imposer car les juges ont d’ores et déjà retenu cette exigence en matière de SA sur le fondement de l’article L. 225-103 du code de commerce (Cass. com., 13 janv. 2021, n° 18-24.853 et n° 19-11.302) et de SARL sur le fondement de l’article L. 223-27 du même code (Cass. com., 15 déc. 2021, n° 20-12.307).
Ensuite, il nous semble que si cette exigence doit s’appliquer pour les demandes de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée ou provoquer une délibération des associés, elle ne s’imposera pas, en revanche, lorsque la demande intervient sur d’autres fondements pour des questions extérieures au fonctionnement interne de la société ; on pense notamment à la demande de désignation par les indivisaires de droits sociaux d’un mandataire commun sur le fondement de l’article 1844, al. 2, du code civil.
Enfin, la Cour décidant dans l’intérêt d’une bonne justice de statuer au fond, on découvre que demander la désignation d’un mandataire pour convoquer une assemblée générale afin de la faire délibérer sur une question échappant à sa compétence « n’est pas conforme à l’intérêt social ». La solution est selon nous de bon sens. L’exécution d’une promesse de cession de droits sociaux ne relève pas du pouvoir de l’assemblée générale de la société dont les titres font l’objet de la promesse. Elle ne concerne que les associés engagés par cette promesse. La demande est ainsi extérieure au fonctionnement social et convoquer une assemblée pour examiner cette situation n’était pas conforme à l’intérêt social, dès lors que la réunion n’aurait eu aucun effet.