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11 mai 2023
Le défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qui conditionne le droit du preneur au renouvellement du bail, peut être invoqué par le bailleur, même s'il en était informé à la date du congé, pendant toute la durée de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ou en paiement d'une indemnité d'éviction.

Une SCI a donné à bail un local à usage commercial à un preneur qui a ultérieurement cédé son fonds de commerce à deux époux.

Après avoir acquis l’immeuble le 28 décembre 2010, la nouvelle propriétaire a délivré aux locataires un congé avec offre de renouvellement et leur a notifié un mémoire préalable à la fixation judiciaire du loyer du bail à renouveler. S’étant avisée ultérieurement que l’épouse n’était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, elle leur a notifié le 13 octobre 2015 une dénégation du droit au statut pour ce motif, puis les a assignés afin d’expulsion et en paiement d’une indemnité d’occupation.

Par jugement du 1er juin 2017, le tribunal de grande instance de Bordeaux a débouté la bailleresse au motif que la qualité de salariée de l’épouse était incompatible avec la qualité de co-exploitante du fonds de commerce.

Les locataires (l’épouse et sa fille intervenue à l’instance après le décès du mari) ont invoqué en cause d’appel la prescription de l’action en dénégation engagée par la bailleresse.

Se référant (implicitement) à l’article 2224 du code civil, la cour d’appel de Bordeaux a relevé que la bailleresse, lors de son acquisition, ne pouvait ignorer que les époux exploitaient le fonds depuis 2003 et a considéré que le délai de prescription de l’article L. 145-60 du code de commerce avait donc commencé à courir le 28 décembre 2010, « date à laquelle la bailleresse connaissait ou aurait dû connaître les faits justifiant son action, qu'elle fonde sur les dispositions de l'article L.145-III du code de commerce issu de la loi du 4 août 2008 qui était donc déjà en vigueur à la date d'acquisition de l'immeuble. », de sorte que « l’acte de dénégation (…) est donc intervenu après l’expiration du délai de deux ans (…) ».

Et la cour d’ajouter : « La prescription n'étant pas suspendue pendant l'instance relative à la fixation du prix du bail renouvelé, (la bailleresse) n'est pas fondée à soutenir que l'action en dénégation est possible tant qu'une décision définitive n'a pas été rendue sur la fixation de l'indemnité d'éviction ou sur le loyer du bail renouvelé. »

La bailleresse ayant formé un pourvoi contre cet arrêt, la cassation était inéluctable.

La troisième chambre civile, dans son arrêt du 20 avril 2023 (n° 22-12.937), motive ainsi sa censure :

« Il résulte (des articles L. 145-1 et L. 145-60 du code de commerce) que le défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, s'appréciant à la date d'effet du congé ou de la demande en renouvellement, qui conditionne le droit du preneur au renouvellement du bail, peut être invoqué par le bailleur, même s'il en était informé à la date du congé, pendant toute la durée de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ou en paiement d'une indemnité d'éviction. »

Non publié au Bulletin, cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence bien établie, que les juges bordelais ont visiblement méconnue.

La dénégation du droit au statut peut en effet être invoquée par le bailleur, indépendamment de l’usage de son droit d’option ou de repentir, aussi longtemps qu’une décision définitive n’est pas intervenue.

Ainsi, par un arrêt remarqué du 7 septembre 2017, la troisième chambre civile avait jugé que le bailleur qui dans un premier temps a offert le renouvellement puis, après fixation du loyer, a exercé son droit d’option en refusant le renouvellement et en offrant le paiement d’une indemnité d’éviction, peut encore, en cours d’instance d’appel, « dénier au locataire le droit au statut des baux commerciaux tant qu’une décision définitive n’a pas encore été rendue sur la fixation de l’indemnité d’éviction (Cass. 3e civ., 7 sept. 2017, n° 16-15.012, publié au bulletin).

Au « fusil à deux coups » prévu par le législateur aux articles L. 145-57 et L. 145-58 du code de commerce, la jurisprudence a ainsi ajouté une troisième « cartouche » que le bailleur peut tirer à tout moment, même s’il savait ou pouvait savoir, lors du congé initial, que le locataire n’était pas immatriculé, ou ne l’était pas correctement.

La solution est évidemment sévère pour les preneurs, mais elle s’inscrit dans une doctrine de la troisième chambre, constante depuis des décennies, qui, pour des raisons souvent critiquées, fait de l’immatriculation du locataire à bail commercial une condition fondamentale de l’octroi du droit au renouvellement.

Elle est d’autant plus dangereuse que, malgré l’assouplissement apporté par la loi LME du 4 août 2008 à l’exigence d’immatriculation de tous les copreneurs ou coindivisaires, dès lors que l’exploitant du fonds est régulièrement immatriculé, cette faveur n’existe que pour les copreneurs non exploitants. Lorsque le bail est conclu par deux époux censés exploiter ensemble le fonds, le défaut d’immatriculation de l’un d’eux, fût-il justifié par de justes motifs personnels, est susceptible d’entraîner pour les deux la perte du « droit » au renouvellement.

La tendance jurisprudentielle n’est donc pas à l’assouplissement de cette condition. La même chambre l’a même accentuée récemment en exigeant que le preneur qui revendique le statut des baux commerciaux justifie d’une immatriculation à la date de sa demande en justice (Cass. 3e civ., 24 nov. 2021, n° 19-22.251).

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Alain Confino, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Confino
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