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27 juillet 2023
L'interdiction des sanctions contre les locataires commerciaux pour non-paiement de loyers échus pendant la période protégée instaurée en raison de la crise sanitaire ne s'applique pas à la clause résolutoire acquise avant cette période, dont la suspension était conditionnée au respect des délais fixés par le juge.
Covid-19 et loyers commerciaux : mise en œuvre d'une clause résolutoire acquise avant la crise sanitaire
©Gettyimages

Le propriétaire d'un local loué à usage de restaurant et de vente à emporter agit contre son locataire en vue de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail pour défaut de paiement des loyers. Une ordonnance de référé de décembre 2019 autorise le locataire à s'acquitter de sa dette locative en vingt-quatre mensualités, ordonne la suspension de la clause résolutoire et prévoit qu'à défaut de paiement d'une seule des mensualités, en plus du loyer, la clause résolutoire sera acquise huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure et l'expulsion pourra être poursuivie.

En mars 2020, le locataire doit cesser son activité en raison du confinement. Plusieurs mensualités de l'échéancier et de loyers étant restées impayées entre mars et septembre 2020, le propriétaire lui délivre un commandement de quitter les lieux en octobre 2020, en exécution de l'ordonnance précitée. 

Le locataire en conteste la validité. Il se prévaut à cet effet du droit dérogatoire adopté pendant la crise sanitaire pour protéger les locataires, suivant lequel les personnes exerçant une activité particulièrement touchée par les mesures de restrictions sanitaires et susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité ne peuvent pas encourir d'exécution d'une clause résolutoire, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars et le 11 septembre 2020 (Ord. 2020-316 du 25-3-2020 art. 1 et 4 ; Ord. 2020-317 du 25-3-2020 art. 1 et 3-1 ; Décret 2020-371 du 30-3-2020 art. 2 ; Arrêté du 15-3-2020 art. 1). Selon lui, ces dispositions faisaient obstacle à la mise en œuvre de la clause résolutoire pour non-paiement de mensualités échues pendant cette période protégée.

La Cour de cassation donne tort au locataire (Cass. 3e civ. 15-6-2023 n° 21-23.902 FS-B) en se fondant sur l'argumentation suivante. Le juge peut, en accordant des délais de paiement, suspendre la réalisation et les effets d'une clause de résiliation d'un bail commercial, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée (C. com. art. L 145-41). La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. Faute de libération dans les conditions fixées par le juge, l'effet résolutoire de la clause est réputé avoir joué au jour où le bénéfice de cette clause a été acquis au bailleur, soit un mois après délivrance d'un commandement de payer resté infructueux. 

En conséquence, l'interdiction des sanctions pour défaut de paiement des loyers et charges dont l'échéance de paiement intervient pendant la période protégée ne s'applique pas aux effets d'une clause résolutoire acquise antérieurement à la période protégée, dont la suspension était conditionnée au respect d'un échéancier fixé par le juge, peu important que la méconnaissance de cet échéancier ait eu lieu entre le 12 mars et le 11 septembre 2020. 

A noter :

1° La Cour de cassation a déjà jugé qu'en cas de non-respect des délais de paiement accordés par le juge la clause résolutoire reprend son plein effet à l'expiration du délai fixé par le commandement de payer (Cass. 3e civ. 11-5-1995 n° 93-11.410 : Bull. civ. III n° 117) ; ni le juge de l'exécution ni les juges du fond ultérieurement saisis ne peuvent octroyer, le cas échéant, des délais complémentaires  (Cass. 3e civ. 2-4-2003 no 01-16.834 FS-PBRI : RJDA 7/03 n° 700). 

En se fondant ici sur ce caractère rétroactif pour écarter l'application du droit dérogatoire, la Cour de cassation montre qu'elle entend appliquer celui-ci de manière très restrictive et en réserver la protection au locataire n'ayant connu de difficultés que pendant la crise sanitaire. 

La solution est sévère pour les locataires : dès lors que le texte visait tout défaut de paiement de loyers ou de charges dont l'échéance intervient pendant la période protégée, il était en effet concevable qu'il trouve application en l'espèce.

2° Rappelons que pour l'essentiel trois régimes dérogatoires protègent les locataires touchés économiquement par la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 (Ord. 2020-316 précitée, ord. 2020-306 du 25-3-2020 et loi 2020-1379 du 14-11-2020). Ils neutralisent tous les trois les clauses résolutoires, au cours de différentes périodes juridiquement protégées, suivant un périmètre plus ou moins large et avec plus ou moins de vigueur. On peut imaginer que, dans la mesure où elle est fondée sur les règles applicables en matière de clause résolutoire, la solution retenue ici est également applicable dans le cadre de ces autres régimes. Les différences de rédaction entre les trois textes interdisent cependant de l'affirmer de manière certaine.

Documents et liens associés : 

Cass. 3e civ. 15-6-2023 n° 21-23.902 FS-B

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