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14 mars 2023
La « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial, protégée par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce. Le prix du loyer du bail renouvelé n'entre pas dans le champ de cette protection.

A l’occasion de son départ à la retraite, la locataire d’un local commercial a cédé son droit au bail pour une nouvelle activité, comme l’y autorise l’article L. 145-51 du code de commerce.

Les bailleurs ont délivré au cessionnaire un congé avec offre de renouvellement du bail moyennant le paiement d'un loyer fixé selon la valeur locative, puis ont saisi le juge des loyers commerciaux d'une demande en fixation du nouveau prix.

La valeur locative invoquée par les bailleurs étant supérieure au loyer plafonné, la locataire a contesté la possibilité d’un déplafonnement pour un changement d’activité intervenu dans le cadre de l’article précité.

Par un arrêt du 27 octobre 2021, la cour d’appel de Paris a jugé que le loyer renouvelé doit être fixé à la valeur locative et désigné, avant dire droit, un expert afin de déterminer cette valeur, considérant :

- qu'aucune disposition ne fait interdiction au bailleur d'invoquer le changement d'activité autorisé à l'occasion du renouvellement pour solliciter le déplafonnement du prix du bail pour autant que les conditions d'un déplafonnement fondé sur un changement de destination soient réunies ;

- qu'il ne peut être déduit une renonciation des bailleurs à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-34 du code de commerce, du non-exercice de leur droit de rachat prioritaire du bail dans les deux mois de la signification par le preneur initial de son intention de céder le bail en application de l'article L. 145-51 du même code, pas plus que de l'absence d'opposition en justice à cette déspécialisation ;

- que la propriété commerciale du preneur d'un bail commercial, protégée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'entend du seul droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce et que l'atteinte alléguée par la société locataire, qui porte sur le prix du bail renouvelé, n'entre pas dans le champ de cette protection.

Saisie d’un pourvoi par la locataire, la Cour de cassation approuve l’arrêt déféré par des motifs d’une grande netteté :

- la cession du droit au bail dans les conditions de l'article L. 145-51 précité, emportant, malgré une déspécialisation, le maintien du loyer jusqu'au terme du bail, ne privait pas les bailleurs du droit d'invoquer, au soutien de leur demande en fixation du loyer du bail renouvelé, le changement de destination intervenu au cours du bail expiré.

- il ne peut être déduit du non-exercice par les bailleurs de leur droit de rachat prioritaire ou de l'absence d'opposition en justice à la déspécialisation, leur renonciation à solliciter, lors du renouvellement du bail, le déplafonnement du loyer.

- la « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial, protégée par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce, de sorte que la cour d’appel a exactement retenu que l'atteinte alléguée, qui ne concerne que le prix du loyer du bail renouvelé, n'entre pas dans le champ de cette protection.

Ce n’est pas la première fois que la Haute juridiction propose une définition de la « propriété commerciale » :  par un arrêt rendu le 11 mars 2021 (Cass. 3e civ. 3, 11 mars 2021, n° 20-13.639, FS-P+L), elle avait déjà jugé que l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales « ne s'applique pas lorsqu'est en cause, non pas le droit au renouvellement du bail commercial, mais, comme en l'espèce, l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire convenue entre les parties ».

Ce précédent avait été salué comme une grande première (J. Monéger, « Enfin, on sait ce qu'est la « propriété commerciale » ! », Loyers et Copropriété, avr. 2021, repère 4 ; S. Andjechaïri-Tribillac, Dalloz Actualité, 1er avr. 2021 ; Bastien Brignon, « Définition de la « propriété commerciale » du preneur ! », Lexbase, n° N7105BYS ; P.-Y. Gautier, RTD civ. 2021, p. 435 ; F. Kendérian, « La ‘propriété commerciale’ explicitée à l’aune de la Convention européenne des droits de l’homme », RTD com. 2021, p. 297 ; P. Lemay, « Les effets de la clause résolutoire et la protection de la ‘propriété commerciale’ », La Semaine Juridique Entreprises et Affaires n° 41, 14 oct. 2021, n° 1454 ; V. Téchené, Lexbase Affaires, mars 2021, n° 669).

Apparue dès la naissance du premier statut des baux commerciaux en 1926 (v. « La propriété commerciale, commentaire de la loi du 30 juin 1926 sur le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage industriel ou commercial » par C. Cautru et Ch.-Maurice Bellet, éd. Payot, 1926), l’expression a toujours été ignorée des textes.

Mais la jurisprudence l’utilisait couramment, sans prêter une attention particulière à sa définition.

Elle est le simple fruit terminologique d’une doctrine qui désigne tantôt dans leur globalité les avantages conférés au preneur par le statut des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce (V. par ex. : Fabien Kendérian et Clémentine Bourgeois, « Le statut français des baux commerciaux face à la problématique européenne » in Revue internationale de droit économique 2013/3, t. XXVII,, pages 265 à 299, spéc. § 2.1.1 ; v. encore F. Kendérian, RTD com. 2021, p. 297 precit.), tantôt seulement le « droit au renouvellement » du preneur à bail commercial statutaire (C. com., art. L. 145-8).

Un « droit » d’ailleurs improprement nommé ainsi par le législateur lui-même depuis 1926 (et même depuis la loi du 17 mars 1909 qui avait classé le « droit au bail » parmi les éléments composant le fonds de commerce), puisqu’il n’est à vrai dire qu’un espoir : que le bailleur ne notifie pas un refus de renouvellement, lequel, lui, est (sauf engagement contraire de sa part) un droit absolu, corollaire indissociable du droit de propriété, dont l’exercice est toutefois conditionné par le paiement au preneur, s’il en remplit les conditions, d’une indemnité d’éviction.

Mais voilà : l’indemnité d’éviction peut parfois atteindre un montant tel qu’elle peut mettre en péril le droit de propriété du bailleur. Sur ce dernier point, l’on se souvient que le Conseil constitutionnel a jugé que l'article L. 145-14 du code de commerce, qui impose au bailleur, lorsqu'il décide de ne pas renouveler le bail commercial, de payer au locataire une indemnité d'éviction égale au préjudice que lui cause ce défaut de renouvellement, restreint le droit du bailleur de disposer librement de son bien à l'expiration du bail et porte ainsi, à l’évidence, atteinte au droit de propriété.

Toutefois, les Sages considéraient que cette atteinte n’est pas disproportionnée au regard de l'objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur, dès lors que l’indemnité d’éviction est limitée par l’article L. 145-14 au préjudice que cause au locataire le non renouvellement de son bail,  qu’elle n’est due que si ce dernier remplit les conditions posées par l'article L. 145-17 du même code, et qu’enfin le bailleur conserve la possibilité de vendre son bien ou d'en percevoir un loyer (Cons. Constit. Décision n° 2020-887 QPC du 5 mars 2021 et commentaire A. Confino, « Bail commercial : le non-plafonnement de l'indemnité d'éviction est conforme à la Constitution », Veille Permanente Editions Législatives, Droit des affaires, 25 mars 2021 ; V. ég., à propos de l’arrêt Cass. 3e civ., 10 déc. 2020, n° 20-40.059 qui avait renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel : J. Monéger, Propriété immobilière versus propriété commerciale : quid juris ? », Loy. et copr. N°2, févri. 2021, repère 2).

Dans l’espèce qui avait donné lieu à l’arrêt du 11 mars 2021, la troisième chambre civile était également invitée par le pourvoi à opérer un contrôle de proportionnalité, mais cette fois au regard non de la Constitution mais de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH : l’espèce s’y prêtait particulièrement dès lors que les juges du fond avaient déclaré acquise la clause résolutoire du bail alors que le preneur s’était acquitté de la dette en principal dans le délai d’un mois suivant le commandement mais n’avait payé le coût des commandements (dérisoire, au regard du principal) qu’après ce délai. En dépit de ce qui pouvait bien alors apparaître comme une sanction manifestement disproportionnée, la haute juridiction avait approuvé une application rigoureuse de la loi contractuelle par les juges du fond.

Dans sa Lettre n°3 de mai 2021, elle livrait de cette rigueur l’explication suivante :

« Le contrôle de conventionnalité pratiqué in concreto implique, en premier lieu, de s’assurer de l’applicabilité, aux circonstances de l’espèce, du droit conventionnellement garanti. » Tout en rappelant avoir déjà antérieurement admis « que le droit à la « propriété commerciale » était un « bien » au sens des dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel », la Cour suprême jugeait alors pour la première fois que « la propriété commerciale s’entend du droit au renouvellement du bail commercial, consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce » et en déduisait que « l’atteinte alléguée par le preneur n’entrait donc pas dans le champ d’application de l’article 1er précité, qui ne s’applique pas lorsqu’est en cause, non pas le droit au renouvellement du bail commercial, mais l’acquisition de plein droit de la clause résolutoire convenue entre les parties ».

Une façon d’évacuer le critère de proportionnalité…

C’est donc par pure commodité sinon abus de langage que l’on désigne sous le vocable propriété commerciale ce qui n’est en définitive que le droit du preneur à bail commercial de limiter par une créance d’indemnité, sous certaines conditions, l’absolutisme du droit de propriété du bailleur. Ce droit personnel porte certes indiscutablement atteinte à la propriété immobilière, en en dépréciant la valeur économique. Mais l’expression « propriété commerciale » reste « juridiquement inexistante » (E. Cruvelier, in JurisClasseur Entreprise Individuelle,  Fasc. 1510, n° 3), le terme « propriété », qui convoque par lui-même la notion de droit réel, n’ayant ici aucune pertinence.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les hauts magistrats de la troisième chambre civile entourent l’expression de guillemets, comme ils le faisaient d’ailleurs habituellement dans leurs précédents arrêts (v. par ex. Cass. com., 5 janv. 1961, Bull. IV n° 6; Cass. 3e civ., 18 mai 2005, n° 04-11.349 ; Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, n° 18-20.838).

Au final, si l’on devait résumer à l’extrême la définition adoptée par la Cour de cassation, l’on pourrait dire que la « propriété commerciale », qui n’a aucune réalité juridique, désigne seulement un « droit » qui n’en est pas un…

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Alain Confino, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Confino
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