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30 mars 2023
Lorsqu’elle apprécie l’opportunité d’ordonner la production d’un registre du personnel comme moyen de preuve dans une procédure civile, la juridiction nationale doit trouver un juste équilibre entre le droit à la protection des données et le droit à un recours juridictionnel effectif.

A l’occasion d’une procédure juridictionnelle civile où était contesté le montant de travaux effectués, notamment le nombre d’heures prestées, il était demandé aux juridictions suédoises d’enjoindre à une société, spécifiquement chargée d’enregistrer les personnes ayant travaillé sur le chantier aux fins de contrôle fiscal, de fournir le registre du personnel. La production de celui-ci constituant un traitement de données personnelles, la CJUE est venue clarifier sa base juridique mais surtout ses modalités de mise en œuvre.

Tout d’abord, s’agissant de la base juridique, la production du registre du personnel comme moyen de preuve est fondée sur l’article 6, § 3 et 4 du règlement général sur la protection des données (Règl. (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, 27 avr. 2016 : JOUE n° L 119, 4 mai, dit RGPD).

En effet, le traitement des données est effectué à une fin autre que celle pour laquelle elles ont été collectées, à savoir, en l’espèce, aux fins de contrôle fiscal. Dès lors, ce traitement doit satisfaire plusieurs conditions (point 33) :

  • être fondé sur le droit national ;
  • constituer une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique, au sens de l’article 6, § 4 du RGPD ;
  • garantir l’un des objectifs visés à l’article 23, § 1 du RGPD.

Sur ce dernier point, la Cour prend le soin d’indiquer que plusieurs objectifs visés à l’article 23, § 1 du RGPD pourraient fonder le traitement de données personnelles de tiers dans le cadre d’une procédure juridictionnelle civile : tel est le cas de la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires mais aussi de l’exécution des demandes de droit civil (point 38).

Ensuite, s’agissant des modalités, la Cour rappelle la nécessaire balance entre le droit à la protection des données personnelles et le droit à un recours juridictionnel effectif respectivement garantis par les articles 8 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Selon une formule désormais très classique, elle estime que « le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance, conformément au principe de proportionnalité, avec d’autres droits fondamentaux, tel le droit à une protection juridictionnelle effective, garanti à l’article 47 de la Charte » (point 49). S’appuyant à cet égard sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative au droit à un procès équitable, elle considère « que les parties à une procédure juridictionnelle civile doivent être en mesure d’accéder aux preuves nécessaires pour établir à suffisance le bien-fondé de leurs griefs, qui peuvent éventuellement inclure des données à caractère personnel des parties ou de tiers » (point 53).

Par conséquent, pour apprécier l’opportunité d’ordonner la production d’un document contenant des données personnelles de tiers, une juridiction nationale est tenue de prendre en compte les intérêts opposés en présence. Si cette pondération s’effectue au cas par cas en fonction des circonstances de chaque espèce et du type de procédure en cause, la Cour fournit néanmoins un certain nombre de directives.

Doivent en particulier être prises en considération les exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que celles résultant du principe de la minimisation des données visé à l’article 5, § 1 du RGPD. Ces dernières exigences impliquent alors de s’assurer de l’impossibilité de recourir à des moyens de preuve moins intrusifs (point 55) et d’entourer la divulgation du document de garanties telles que la pseudonymisation ou la limitation de l’accès aux données (point 56).

Toute la difficulté réside donc finalement dans la détermination du juste équilibre : une juridiction peut autoriser la divulgation complète ou partielle à la partie adverse de données personnelles qui lui ont ainsi été communiquées, « si elle considère qu’une telle divulgation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire aux fins de garantir la jouissance effective des droits que les justiciables tirent de l’article 47 de la Charte » (point 58).

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Emilie Debaets, Maître de conférences en droit public, Université Toulouse Capitole - IMH
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