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5 avril 2022
Un salarié qui choisit de déménager à plusieurs centaines de kilomètres du siège de son entreprise peut être licencié au nom de l’obligation de l’employeur en matière de prévention de la santé et de sécurité des salariés. C’est ce que vient de juger la cour d’appel de Versailles.
Le libre choix du domicile du salarié peut-il être entravé au nom de la protection de sa santé ?
©Gettyimages

Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. C’est pourquoi tout salarié dispose de la liberté de choisir son domicile (Cass. soc. 12-1-1999, n° 96-40.755 PBR ; Cass. soc. 12-7-2005 n° 04-13.342 FS-PB ; Cass. soc. 28-2-2012 n° 10-18.308 FS-PB).

A noter :

Ce principe est notamment garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette jurisprudence n’interdit toutefois pas à l'employeur d’insérer une clause de domicile ou une clause de mobilité dans le contrat de travail, à condition que cette restriction soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché

En l’absence de clause de résidence ou de mobilité, ce qui était le cas en l’espèce, de quels moyens l’employeur dispose-t-il pour imposer un lieu de résidence à un salarié, alors que ce dernier a déménagé à plusieurs centaines de kilomètres ?

C’est sous l’angle de l’obligation de sécurité en matière de santé des salariés qui s’impose à l’employeur que ce dernier a tenté de justifier les restrictions apportées au choix du domicile d’un salarié.

Un déménagement à 450 km du siège de l’entreprise

Dans cette affaire, un salarié, responsable de support technique, a déménagé en Bretagne, à 450 kilomètres du siège de l’entreprise, situé dans les Yvelines.

L’employeur lui reprochait de ne pas l’avoir informé de ce changement, alors que son contrat de travail fixait son activité au siège de l’entreprise. Il considérait que ce nouveau domicile n’était pas compatible avec son obligation de sécurité en matière de santé des salariés et avec les déplacements professionnels induits par l’activité de l’intéressé. Il lui avait donc demandé de régulariser sa situation et de revenir en région parisienne. Le salarié, ayant refusé d’obtempérer, a été licencié.

Pour le salarié, au contraire, l’employeur était bien informé, comme le traduisent ses bulletins de paie, et cette modification n’a entraîné aucun retard ni aucune demande de prise en charge des frais induits par cette installation en Bretagne. Le salarié indiquait également qu’il passait moins de 17 % de son temps au siège de l’entreprise, le reste constituant des déplacements professionnels. Il se prévalait enfin de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

L’obligation de préservation de la santé du salarié peut prévaloir sur la liberté de choix du domicile

La cour d’appel de Versailles retient l’argument de l’employeur et admet que le salarié a commis une faute en refusant de revenir à proximité du siège social de l’entreprise. Le licenciement est jugé légitime.

Le raisonnement de la cour repose d’abord sur les exigences induites par les articles L 4121-1 et L 4122-1 du Code du travail.

A noter :

Selon le premier de ces articles, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Quant au second, il impose aux salariés de prendre soin de leur santé et de leur sécurité, en fonction de leur formation et selon leurs possibilités, ainsi que de celles des autres personnes concernées par leurs actes ou leurs omissions au travail, conformément aux instructions qui leur sont données par l'employeur.

Se fondant sur ces deux dispositions, les juges du fond valident la position de l’employeur refusant le déménagement du salarié « en raison de la distance excessive » qu’il engendre par rapport au lieu de travail. La cour rappelle en effet que le salarié se trouvait à 442 km du siège de l’entreprise, ce qui représentait 4 h 30 de trajet par la route et 3 h 30 par le train, et un éloignement des aéroports parisiens.

A noter :

Il est vrai que l'employeur est tenu vis-à-vis des salariés d'une obligation de sécurité et de protection de la santé (Cass. 2e civ. 8-10-2020 n° 18-25.021 FS-PBI), dont il doit assurer l'effectivité (notamment Cass. soc. 28-2-2006 n° 05-41.555 FS-PBRI ; Cass. soc. 20-3-2013 n° 12-14.468 F-D). Pour cela, il doit prendre toutes les mesures visant à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. En cas de risque avéré ou d'accident, l'employeur engage sa responsabilité, sauf s'il démontre avoir pris les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes pour l'éviter, ce qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement (Cass. soc. 25-11-2015 n° 14-24.444 FP-PBRI ; Cass. soc. 3-2-2021 n° 19-23.548 F-D).

Cette obligation a donc de fortes implications pour l’employeur. La cour d’appel semble toutefois avoir une vision extensive de cette obligation puisqu’elle fait le choix de l’appliquer au-delà des temps et lieu du travail.

Le second argument retenu par la cour d’appel repose sur l’obligation pour l’employeur de veiller au repos quotidien du salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis.

A notre avis :

Selon l’article L 3121-60 du Code du travail, qui n’est pas cité par les juges du fond, l'employeur est tenu de s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié soumis à une convention de forfait en jours est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. Ce point doit figurer dans l’accord collectif mettant en place les forfaits en jours (C. trav. art. L 3121-64).

Sur le fondement de ces dispositions, la Cour de cassation exige que l'accord collectif protège la santé et la sécurité du salarié, en garantissant le respect de durées raisonnables de travail et des repos journaliers et hebdomadaires (Cass. soc. 5-10-2017 n° 16-23.106 FS-PB), ainsi que le caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail, et une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. soc. 17-1-2018 n° 16-15.124 F-PB).

Au final, compte tenu de « l’obligation essentielle de préservation de la santé et de la sécurité du salarié », la cour d’appel en conclut qu’aucune atteinte disproportionnée au libre choix du domicile personnel et familial au titre du droit au respect du domicile protégé par l’article 8 n’apparaît caractérisée.

A notre avis :

La cour d’appel met en balance l’obligation de préservation de la santé prévue par le Code du travail et une liberté fondamentale garantie par le droit européen, et donne la faveur à la première.

On peut s’étonner de cette solution très défavorable au salarié qui remet en cause son droit légitime à déménager. Relevons qu’une cour d’appel avait déjà estimé que, si un salarié ne saurait se voir imposer un lieu de résidence particulier par son employeur, encore faut-il que le choix de son domicile personnel lui permette de consacrer le temps utile à son travail. Les juges du fond avaient considéré que tel n'était pas le cas lorsque le salarié avait gardé son domicile à 400 km de son lieu de travail et qu'il était ainsi amené à voyager pendant un temps qu'il aurait normalement dû passer à travailler (CA Toulouse 20-12-2001 n° 01-2027).

On peut penser que c’est la distance jugée excessive du déménagement qui a conduit à cette solution sévère. Une distance ou une durée de trajet moins importante n’aurait probablement pas suscité une telle position. En cas contraire, cela remettrait en cause la situation de nombreux salariés qui font quotidiennement des trajets assez longs pour se rendre au travail.

On peut également imaginer qu’à l’ère du télétravail la position de la cour d’appel pourrait être différente pour des postes qui se prêtent complètement à ce type d’activité, ce qui n’était pas le cas pour le salarié en cause.

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Sophie ANDRE
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