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14 février 2022
La présomption de satisfaction à l'obligation de reclassement prévue à l'article L. 1226-12 du code du travail ne joue que si l'employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Inaptitude et obligation de reclassement : le jeu de la présomption

L'article 102 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 est venu introduire à l'article L. 1226-12 ce que l'on peut aujourd'hui considérer comme une « présomption de satisfaction de l'obligation de reclassement » en ce qu'il considère que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé au salarié – après avis des représentants du personnel – un emploi approprié à ses capacités, conforme aux conclusions du médecin du travail et aussi comparable que possible à l'ancien emploi. Ce mécanisme conduit ainsi à renverser la charge de la preuve de la satisfaction de cette obligation qui échoit normalement à l'employeur sur le salarié.

Mais encore faut-il que ledit employeur ait loyalement proposé au salarié l'emploi approprié. C'est ce qu'affirme avec force l'arrêt rendu par la chambre sociale le 26 janvier 2022.

En l'espèce, un salarié embauché en qualité de conducteur de compacteur a ensuite été affecté à un poste d'ouvrier manœuvre avant d'être placé en arrêt de travail pendant plus de huit mois, et a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail. Trois propositions de reclassement lui ont ensuite été adressées, qu'il a cependant toutes refusées. L'intéressé a subséquemment été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, et a saisi les juridictions prud'homales pour contester cette décision.

Les juges du fond accueillirent la demande et jugèrent le licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur, insatisfait de cette décision, forma un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation va toutefois rejeter le pourvoi, après avoir rappelé le régime juridique de l'obligation de reclassement en matière d'inaptitude médicale.

Une application classique de l'obligation de reclassement

La Haute juridiction va en effet rappeler la très classique obligation de reclassement instituée par l'article L. 1226-10 du code du travail. Celle-ci implique en particulier, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, en application de l'article L. 4624-4, que l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

La chambre sociale rappelle, en outre, que dans le cadre de cette obligation, la proposition doit prendre en compte, après avis des institutions représentatives du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail devant également formuler des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

Le texte précise que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail (exigence que la jurisprudence avait de longue date posée, v. not., Soc. 15 juin 1993, n° 90-42.892 P, RJS 10/1993, n° 975 ; 7 juill. 2004, n° 02-47.686 P, Dr. soc. 2005. 31, note J. Savatier

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; RJS 10/2004, n° 1029).

Or l'article L. 1226-12 dispose quant à lui que la rupture du contrat n'est possible que si l'employeur justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

Mais encore faut-il que le refus par le salarié soit la réponse à une démarche sérieuse et loyale de recherche et d'aménagement par l'employeur, ce qui n'était précisément pas le cas en l'espèce.

L'exigence de loyauté comme condition du mécanisme de présomption

S'il était déjà connu en jurisprudence que l'exécution loyale l'obligation de reclassement conditionne le caractère réel et sérieux du licenciement subséquent (v. not., Soc. 3 juin 2020, n° 18-21.993 P, Dalloz actualité, 7 juill. 2020, obs. J. Jardonnet

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; D. 2020. 1233

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; RDT 2020. 544, obs. M. Mercat-Bruns

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), la chambre sociale statue, pour la première fois à notre connaissance de façon aussi claire sur la présomption de satisfaction à l'obligation de reclassement prévue à l'article L. 1226-12.

Si la preuve de la satisfaction de cette obligation pèse sur l'employeur, l'article L. 1226-12, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, précise toutefois que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

Or la chambre sociale va dans l'arrêt présentement commenté venir préciser que la présomption instituée par ce texte ne joue que si l'employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Et il se trouve précisément qu'en l'espèce le médecin du travail avait mentionné le poste de conducteur d'engins comme une possibilité de reclassement, tout en précisant que les fortes secousses et vibrations étaient contre indiquées, mais que les niveaux d'exposition et de vibrations variaient selon le type d'engins, et avait proposé à l'employeur de venir faire des mesures de vibrations, l'invitant par ailleurs à consulter des documents, un logiciel, et un guide de réduction des vibrations.

La conduite d'engins après évaluation du niveau de vibrations semblait donc ici la voie de reclassement correspondant aux prescriptions médicales. Il n'était du reste pas contesté par l'employeur qu'un poste de conducteur d'engins était disponible à proximité, et que le salarié avait demandé à être reclassé sur un tel poste qu'il avait occupé et qu'il maîtrisait. L'employeur n'a pourtant procédé à aucune évaluation de ce poste avec le médecin du travail, comme celui-ci le lui proposait. De ces circonstances, les juges du fond en ont déduit que l'employeur n'avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, ce qui avait dès lors pour conséquence de priver le licenciement subséquent de cause réelle et sérieuse.

Cette solution semble aller de soi et entre en cohérence avec l'exigence de loyauté demandée plus généralement à l'employeur, dont il est ici affirmé qu'il est nécessaire d'apprécier le respect ab initio.

Mais par quoi peut bien s'incarner cette loyauté ? L'espèce nous livre un exemple édifiant, qui tient en grande partie à la considération portée aux recommandations émises par le médecin du travail, qu'il apparait – à l'aune de l'arrêt – absolument nécessaire pour l'employeur d'intégrer à ses recherches, puis à sa/ses proposition(s).

Ainsi en est-il si le médecin propose une étude particulière du poste (mesure des vibrations). Si l'employeur n'y pourvoit pas, force sera de constater qu'il aura à craindre le constat d'un défaut sur son obligation de reclassement. De même en sera-t-il si l'employeur – indépendamment du poste actuellement tenu par le salarié et à la lumière de l'entière carrière connue du salarié et des postes antérieurement tenus – ne recherche pas parmi l'ensemble des postes disponibles et moyennant le cas échéant un aménagement, ceux qui pourraient être jugés « appropriés à ses capacités ». La présomption posée par l'article L. 1226-12, si elle constitue à n'en pas douter à première vue une voie de sécurisation pour l'employeur n'en demeure pas moins sujette à d'importantes exigences préalables qui permettent de maintenir à la fois la substance et l'importance de la phase de reclassement dans le processus de licenciement pour inaptitude.

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Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique
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