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12 septembre 2023
Si la semaine des quatre jours fait rêver de nombreux salariés, elle peut vite tourner au casse-tête en pratique. Faut-il l’imposer ou juste la proposer ? Quel sort réservé aux collaborateurs à temps partiel ? Comment éviter la surcharge de travail ? Et quid des forfaits-jours ? Décryptage avec Henri Guyot, avocat associé au sein de brl avocats.

Quel cadre juridique mettre en place pour instaurer la semaine de quatre jours ?

La mise en œuvre de la semaine de quatre jours ne s’improvise pas. Tout d’abord, l’entreprise doit définir son ambition dans la mise en œuvre d’un tel projet : s’agit-il d’accorder plus de temps aux salariés ? De faire des économies en réduisant le temps d’utilisation des locaux ? De gagner en attractivité ? C’est de ces réponses que vont découler les modalités de mises en œuvre. En effet, si l’objectif est d’améliorer la QVT, l’employeur ne peut pas imposer un jour de fermeture. A l’inverse, la journée off doit être la même pour tous si le but visé est de dépenser moins.

Autre point décisif : cette réduction du nombre de jours travaillés ne signifie pas pour autant une réduction du temps de travail à 28 heures. Les entreprises qui ont initié ce type d’organisation condensent le plus souvent le temps de travail sur quatre jours, sans changer la durée du travail à 35 voire à conserver 39 heures de temps de travail effectif. Attention, toutefois, aux durées journalières maximales du travail : pour une entreprise à 39 heures, le temps de travail par jour travaillé sera de 9h75.

Doit-on l’imposer ou laisser le choix aux salariés ?

Là encore, c’est une question essentielle car il s’agit d’une modification du contrat de travail. Cette nouvelle répartition du travail nécessite, en effet, l’assentiment du salarié. A défaut de l’accord du salarié, pour imposer la mesure, l’accord de performance collective (APC) semble l’outil le mieux adapté. Cet accord va suspendre les clauses du contrat de travail et permettre de mettre en place cette nouvelle organisation du travail, en passant outre les réticences de certains salariés réfractaires à ce projet.

Les salariés doivent-ils être consultés ?

Les salariés seront collectivement consultés via le CSE avant de lancer un tel projet. Au-delà, juridiquement, il n’y a aucune obligation de consulter individuellement les collaborateurs. Mais socialement, ce serait une erreur de ne pas sonder leurs attentes. Certains dirigeants estiment que cette formule est plébiscitée par les équipes. A tort, car en réalité, tous les collaborateurs ne sont pas tous prêts à passer à quatre jours. L’approche collaborative est donc vivement conseillée.

Faut-il mener une expérimentation avant de se lancer ?

L'accord doit comporter des clauses de revoyure pour réexaminer le dispositif au terme de l’expérimentation.

Cette nouvelle répartition du temps bouleverse les équilibres professionnels et personnels. Aussi, est-il important d’y aller progressivement, en testant tout d’abord la formule auprès d’un groupe pilote avant de lancer une expérimentation généralisée et de transformer l’essai. Le lancement d’un projet pilote est d’ailleurs l’une des clés du succès des transitions réussies.

Ces premiers retours permettront d’adapter les règles, d’ajuster au mieux l’organisation du travail. Mais quelles que soient les retouches, l’accord doit comporter des clauses de revoyure pour réexaminer le dispositif au terme de l’expérimentation.

Faut-il s’adjoindre des services de psychologues ? De consultants RH ?

La semaine de quatre jours n’est pas qu’un sujet juridique, c’est surtout un sujet organisationnel. C’est pourquoi, il est judicieux de s’entourer d’une pluri-disciplinarités de compétences pour maîtriser tous les aspects du sujet et prendre la bonne décision.

Peut-on justement réserver la semaine de quatre jours aux postes non éligibles en télétravail ? Ou cette option crée-t-elle un sentiment d’iniquité ?

Depuis le recours massif au télétravail, la recherche d’une contrepartie pour les postes non éligibles a occupé les partenaires sociaux. La semaine de quatre jours pourrait être une réponse. Les postes éligibles auraient du télétravail, les salariés devant se rendre sur site, la semaine de quatre jours. Reste à savoir si cette organisation est compatible avec les activités de l’entreprise, par exemple avec des métiers en contact avec le public. Cela revient donc à toucher l’ensemble des plannings pour s’assurer que cette nouvelle organisation n’entraîne un jour de fermeture. 

Quel sort réservé aux salariés à temps partiel ?

Tout dépend de la formule choisie. Aucun problème ne se pose si l’entreprise comprime les 35 heures en quatre jours : on pourra demander aux salariés de concentrer leurs heures pour être sur le même rythme que les autres salariés. Voire de leur demander de passer à temps plein. La tâche se corse si la semaine de quatre jours implique une réduction du temps de travail (passage à 28 heures par exemple). Le dialogue social noué avec les partenaires sociaux permettra de trouver la meilleure formule de conversion.

Et comment traiter les forfaits jours ?

C’est la limite de l’exercice. Dans la plupart des expériences, les cadres au forfait jours ont été exclus de la semaine de quatre jours. A défaut, passer à quatre jours de travail par semaine revient à réduire leur temps de travail de 20 %, c’est-à-dire proposer un forfait de 174 jours travaillés au lieu de 218. Mais quelle entreprise a le luxe de se payer des augmentations de salaire de 20 % sans contrepartie ?

Autre point : sans réflexion sur la charge de travail, cela va considérablement densifier les journées. Une alternative existe toutefois mais elle ne recueille pas l’aval des employeurs et des salariés : il s’agit de réintégrer les collaborateurs en forfait jours dans le dispositif horaire classique et de mettre un terme à leur convention de forfait. Nous avons fait cette proposition à nos clients, mais dans les deux cas, ils s’y sont opposés.

Quelle articulation proposée entre télétravail et semaine de quatre jours ?

C’est un point de vigilance important. Car le travail à distance combiné avec une semaine de quatre jours risque de mettre à mal les collectifs de travail, déjà perturbés par le travail à distance. D’où la nécessité de bien réfléchir au jour off.

Pour moi, les deux dispositifs doivent se cumuler ; ils n’ont pas les mêmes objectifs. Pour autant, il peut s’avérer utile d’aménager les accords de télétravail pour préserver le collectif de travail, notamment en réduisant la voilure pour garder du temps commun, par exemple en passant le travail à distance de trois à deux jours par semaine.

Tout l’enjeu est de trouver le bon équilibre pour donner suffisamment de flexibilité aux salariés sans toucher à la compétitivité des entreprises.

Comment mesurer la surcharge de travail ? Quels sont les indicateurs à mettre en place ?

Soyons clair, si on met en place la semaine de quatre jours, l’objectif est d’éviter les RPS. C’est justement le rôle des clauses de revoyure et des partenaires sociaux de faire remonter les dysfonctionnements possibles. Si de telles situations sont avérées, mieux vaut mettre fin à l’expérimentation.

Chaque entreprise doit adapter sa solution et son modèle. Mais clairement, la semaine de quatre jours se conçoit pour un temps de travail de 35 heures et difficilement au-delà.

Existe-t-il un profil type d’entreprises ?

Le profil type ? Les entreprises pionnières exerçant une activité de services, sans ouverture au public  et relevant le plus souvent de la convention du Syntec (dans lequel le forfait jours n’est pas aussi développé que dans les autres secteurs). La semaine de quatre jours leur permet de répondre à des problèmes d’attractivité.

Anne BARIET, ActuEL RH