Dénonçant un détricotage massif du droit de l’environnement industriel, Notre Affaire à tous et Zéro Waste France avaient déposé des recours gracieux contre 3 décrets d’application de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte en septembre 2024. Le gouvernement ayant refusé de revoir sa copie, elles demandent au Conseil d’Etat de se prononcer sur leur légalité.
Alors que l’objectif de la loi industrie verte est de favoriser le développement de projets industriels tout en renforçant les exigences de conformité environnementale, les 2 ONG considèrent que ses décrets d’application augmentent « les risques industriels en France » et contestent 3 d’entre eux :
- le décret du 5 juillet 2024 modifiant le code de l'urbanisme et le code de l'environnement en vue de favoriser l'implantation des installations industrielles vertes ;
- le décret du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d'application de la loi industrie verte et de simplification en matière d'environnement ;
- le décret du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d’intérêt national majeur l’usine de recyclage moléculaire des plastiques de la société Eastman à Saint-Jean-de-Folleville.
Un affaiblissement du principe pollueur-payeur
Notre Affaire à Tous et Zéro Waste France mettent tout d’abord en cause l’affaiblissement du principe pollueur-payeur qui signifie que les coûts de la pollution doivent être supportés par ceux qui la causent. La loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages dont l’adoption faisait suite à l’explosion de l’usine AZF en 2001 allait dans le sens de ce principe. Elle étendait le champ des garanties financières aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) obligeant les entreprises à prendre en charge les frais de dépollution résultant de catastrophes industrielles. L’exploitant devait ainsi provisionner les fonds nécessaires à ces frais de sorte qu’en cas de défaillance, il puisse les couvrir.
Le décret du 6 juillet supprime les garanties financières pour les ICPE soumises à autorisation et donc « accroît le risque qu’en cas de pollution ou de catastrophe industrielle, les frais pour couvrir la dépollution incombent exclusivement à l’Etat, ou pire, que celle-ci ne soit pas réalisée faute de moyens », alerte Adeline Paradeise, juriste de Notre Affaire à Tous. « 70 % des entreprises victimes d’un sinistre majeur disparaissent dans les mois qui suivent selon l’INRS », ajoute Paul Poulain, expert indépendant et auteur de « Tout peut exploser ». Sans ces garanties, elles ne vont plus pouvoir payer. « Les garanties financières sont un mécanisme clé pour s’assurer qu’elles mettent de côté des fonds pour couvrir les coûts potentiels des dommages causés ». Leur suppression « ouvre la porte à de nouveaux scandales environnementaux. » a-t-il ajouté.
Et les catastrophes industrielles ne manquent pas : l’explosion de l’usine AZF, l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019, l’incendie Bolloré Logistics en 2023 ou encore celui de l’usine SNAM en 2024. Au-delà du coût, elles entraînent aussi de lourdes conséquences pour les populations et les écosystèmes. « Or, les décrets vont permettre de déresponsabiliser les entreprises alors qu’il est difficile de faire réparer les dommages », s’inquiète Christophe Holleville, porte-parole de l’Union des Victimes de Lubrizol.
Un allègement des procédures dangereux pour la santé humaine et les écosystèmes
Les 2 ONG dénoncent également un allégement des procédures et des dérogations en matière de gestion des pollutions industrielles au détriment de la santé humaine et des écosystèmes qui méconnait le principe de non-régression environnementale.
Dans leur 2ème recours, elles s’attaquent au décret du 5 juillet qui favorise l'implantation des installations industrielles vertes. Pour cela, « Le décret définit les secteurs de technologies favorables au développement durable pouvant faire l’objet d’une déclaration de projet d’intérêt national majeur mais aussi de reconnaissance de manière anticipée de l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur en matière de dérogation à la réglementation sur les espèces protégées », explique Adeline Paradeise. « Cette liste est très imprécise et écrite de façon très large, ce qui ouvre la porte à de nombreuses industries ». Avec ce décret, les enquêtes publiques, les études d’impact notamment ne peuvent plus avoir lieu préalablement pour les projets visés par le décret « créant une insécurité juridique pour la protection de l’environnement et pour les porteurs de projet ».
« Les dérives permises par la loi industrie verte »
C’est dans ce contexte que Notre Affaire à Tous et Zéro Waste France déposent un 3ème recours contre le décret du 5 juillet qualifiant de projet d’intérêt national majeur le projet d’usine de recyclage de plastique de la société Eastman alors qu’une enquête publique était en cours. 6 autres projets pris en application de la loi industrie verte ont reçu cette qualification mais seul celui concernant l’usine de recyclage Eastman est contesté. Ce dernier s’est aussi vu reconnaitre de façon anticipée la raison impérative d’intérêt public majeur.
« Le projet d’usine de recyclage chimique Eastman en Normandie est un cas d’école, qui illustre bien les dérives permises par la Loi Industrie Verte », alerte Bénédicte Kjaer Kahlat, responsable juridique de Zero Waste France. « Alors que cette technologie coûteuse n’a jamais fait la preuve ni de son efficacité, ni de son innocuité, la qualification de projet d’intérêt national majeur – qui découle de la loi – simplifie d’un côté les procédures pour les industriels, au risque de graves atteintes pour la biodiversité. De l’autre, elle met des bâtons dans les roues des associations de protection de l’environnement, en les obligeant à multiplier les recours. »
A l’heure d’une prise de conscience collective des conséquences désastreuses des pollutions industrielles, notamment autour de la question grandissante des PFAS, la réponse que donnera le Conseil d’Etat à ces recours aura certainement un fort retentissement.