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15 février 2024
Dans un procès civil, l'illicéité dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Dans un arrêt du 14 février, la Cour de cassation en fait une nouvelle démonstration, à propos d'une preuve issue d'un système de vidéosurveillance.

Le droit à la preuve peut justifier la production de preuves illicites, rappelle la Cour

Dès lors qu'un système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l'entreprise permet aussi de contrôler et de surveiller l'activité des salariés et peut être potentiellement utilisé par l'employeur pour recueillir et exploiter des informations concernant personnellement un salarié aux fins de le licencier, l'employeur doit informer les salariés et consulter les représentants du personnel sur la mise en place et l'utilisation de ce dispositif à cette fin. A défaut, le moyen de preuve tiré des enregistrements du salarié est illicite (Cass. soc., 10 nov. 2021, n° 20-12.263).

Mais l'illicéité d'une preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats (Cass. soc., 8 mars 2023, n° 20-21.848 ; Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 22-18.105).

En présence d'une preuve illicite, le juge doit :

  • d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier qu'il existait des raisons concrètes justifiant le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci,
  • puis rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens de preuve plus respectueux de la vie personnelle du salarié,
  • et enfin apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

Pour que le juge procède à ces vérifications, encore faut-il que l'employeur invoque son droit à la preuve. A défaut, le juge écartera la preuve jugée illicite sans examiner ce droit.

En l'espèce, le moyen de preuve illicite produit par l'employeur était recevable

Dans cette affaire, une pharmacie avait mis en place un système de vidéosurveillance destinée à la protection des personnes et des biens dans les locaux de l'entreprise. Trois caméras surveillaient, au rez-de-chaussée, l'espace bébé, l'espace parapharmacie et l'espace ordonnances ; deux caméras, situées à l'étage, surveillaient le bureau et la réserve. Ce dispositif de vidéosurveillance n'avait pas fait l'objet d'une information individuelle préalable des salariés ni d'une consultation des institutions représentatives du personnel, de sorte que les enregistrements issus de ce dispositif constituaient des moyens de preuve illicites s'ils servaient à justifier le licenciement d'un salarié.

Constatant des anomalies dans ses stocks, le pharmacien avait envisagé l'hypothèse de vols par des clients. Il avait donc visionné les enregistrements issus de son système de vidéosurveillance. Ce visionnage avait permis d'écarter cette piste. Les inventaires confirmant des écarts injustifiés, il avait alors décidé de suivre les produits lors de leur passage en caisse et de croiser les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de vente. Ce contrôle, réalisé sur deux semaines, avait permis de révéler 19 anomalies graves sur la caisse d'une salariée.

Sur la base de ces éléments de preuve, la salariée avait été licenciée pour faute grave, licenciement contesté en justice. La salariée arguait de l'illicéité de la preuve, de l'existence de moyens de preuve plus respectueux de sa vie personnelle et du caractère disproportionné de l'atteinte portée à sa vie personnelle au regard du but poursuivi.

Les juges du fond rejettent ses demandes et déclarent recevables les enregistrements litigieux. Ils retiennent que le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps, dans un contexte de disparition des stocks, après des premières recherches infructueuses et avait été réalisé par le seul dirigeant de l'entreprise.

La salariée se pourvoit en cassation.

Mais pour la Cour de cassation, les juges du fond avaient mis en balance de manière circonstanciée le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de son employeur au bon fonctionnement de l'entreprise, en tenant compte du but légitime qui était poursuivi par l'entreprise, à savoir le droit de veiller à la protection de ses biens. Ils avaient, à bon droit, pu en déduire que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur et proportionnée au but poursuivi. Les pièces litigieuses étaient donc recevables.

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