Au travail, le sexisme ordinaire n’a pas disparu. Regards insistants, sifflements, blagues salaces… Selon une enquête de l’observatoire Ekilibre conseil-OpinonWay, dévoilé hier, 60 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été exposées à au moins un agissement à connotation sexiste ou sexuelle dans le cadre de leur travail. Or, ces situations ont des répercussions bien au-delà du travail de l’individu lui-même. "Le bien-être, la motivation et leur confiance s’en trouvent impactés", assure Jean-Christophe Villette, psychologue et directeur associé du cabinet Ekilibre, spécialisé en management & prévention des risques psychosociaux. Une situation préjudiciable. Avec à la clef, "une baisse de la performance des personnes qui en sont victimes ou témoins".
Un arsenal juridique important
Les entreprises n’ont-elles pas pris la mesure du problème ? Un salarié sur deux estime que son employeur doit faire des efforts sur le sujet.
L’arsenal législatif existe pourtant. La loi du 3 août 2018, dite loi "Schiappa" instaure, outre une amende, l'obligation pour l’auteur d’un outrage de suivre, à ses frais, "un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes". La loi Avenir professionnel de 5 septembre 2018 a, elle, créé l’obligation pour les entreprises (d’au moins 250 salariés) et les représentants du personnel (pour les CSE des entreprises de 11 à 250 employés) de désigner des référents en matière de harcèlement sexuel et comportements sexistes. Plus récemment, la loi santé au travail du 2 août 2021 complète la définition du harcèlement sexuel en précisant que les comportements à connotation sexiste, introduits par la loi Rebsamen du 17 août 2015, peuvent également caractériser une infraction de harcèlement sexuel. "Il s’agit d’une différence majeure qui supprime toute ambiguïté entre ces deux notions", insiste Jean-Christophe Villette.
"De la prévention prescrite à la prévention réelle"
Il n’empêche. Le problème demeure. 76 % des quelque 1 000 salariés estiment que ces manifestations liées à des violences sexistes ou sexuelles ne diminuent pas. Dans le détail, 47 % déclarent entendre des "blagues" à connotation sexuelle et 38 % des blagues qui ont une référence sexiste/ou de genre. De plus, 21 % attestent avoir fait l’objet de remarques appuyées concernant leur physique ou leur tenue. Et 18 % ont été confrontées à des propos grivois associant une compétence professionnelle à leur genre.
"A quelques exceptions près, les entreprises n'ont, jusqu'à présent, pas du tout investi le thème du harcèlement ordinaire. Il faut désormais passer de la prévention prescrite à la prévention réelle", poursuit Jean-Christophe Villette.
Surtout, "entre harcèlement sexuel et sexisme ordinaire, les entreprises ne font pas encore le lien en France". Des générations de femmes au travail ont ainsi fait l’expérience de plaisanteries déplacées et vulgaires.
"Harcèlement d’ambiance"
Dans la plupart des cas, l’auteur des agissements est un collègue. Or, peu sont sanctionnés. A tort.
Le 7 février 2017, la cour d'appel d'Orléans, saisi par le Défenseur des droits, a condamné un employeur (en l’occurrence un quotidien régional) pour harcèlement sexuel et moral, estimant que "le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes et vulgaires qui lui deviennent insupportables". Une première jurisprudentielle !