Nous vous proposons une sélection de décisions récentes de cours d’appel en matière de droit du travail.
Embauche
- La rupture de la période d’essai ne constitue pas nécessairement une rupture abusive au seul motif qu'elle intervient dans un court laps de temps après le début de l'essai. En effet, l'employeur n’est pas tenu de poursuivre l'essai dès le moment où il juge le salarié inadapté à l'emploi, le cas échéant en raison de son attitude personnelle, et non susceptible de s'y adapter par la suite. N’est donc pas abusive la rupture de l’essai après 2 jours de formation avant la prise effective de poste, au cours desquels la salariée a manifesté une attitude désinvolte, voire irrespectueuse, à l'encontre de la formatrice qu'elle interrompait régulièrement en remettant en cause la formation (CA Paris 5-10-2022 n° 19/11925).
Exécution du contrat
- Le transfert des responsabilités d’un directeur à un autre salarié, le fait qu’il a été contraint de quitter son bureau individuel pour rejoindre l’open space et n’était plus invité aux réunions de la direction, les revirements de la direction concernant une rupture conventionnelle puis une procédure de licenciement constituent des faits de harcèlement moral ouvrant droit à dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et justifient que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d’un licenciement nul (CA Lyon 26-10-2022 n° 19/04640).
- Le refus par le salarié de la modification de son lieu de travail nécessité par la procédure d’expropriation de l’employeur imposant une réorganisation et la fixation d’un nouveau site, s’il rend son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave dès lors qu’il ne s’inscrit pas dans une volonté d'obstruction mais procède d'une augmentation, même limitée, de son temps de trajet. S’il n’est pas contesté que la situation s'imposait à l'employeur, en raison de la fermeture du site, il n'en demeure pas moins que la différence de kilométrage depuis le domicile du salarié, certes faible, entraînait néanmoins un temps supplémentaire de trajet, compte tenu de la différence d'itinéraire, qui ne peut pas être limitée à quelques minutes comme le soutient l'employeur. La présentation de deux fiches d'itinéraires extraites d'un site dédié est insuffisante en ce qu'elle ne peut révéler les difficultés de trafic que pour un moment donné et non de manière récurrente (CA Toulouse 21-10-2022 n° 21/02354).
- Les décisions d'organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d'insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés. Il n'est donc pas besoin pour asseoir l'élément légal du délit de harcèlement de reprendre salarié par salarié, dans la mesure où ont pu être regroupés et distingués ceux qui étaient dans une situation identique en tant que victimes. Le harcèlement institutionnel a en effet pour spécificité d'être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l'absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime. Concernant l’élément intentionnel du délit de harcèlement moral, il faut et il suffit que le prévenu [ait] réalisé consciemment des actes coupables en pleine connaissance de leurs conséquences possibles. Si les auteurs d'agissements répétés doivent au minimum être conscients de la dégradation des conditions de travail, ni la lettre du texte ni la logique de la matérialité des faits n'imposent qu'ils connaissent ou identifient les victimes des faits. L'accélération impérative de la déflation des effectifs, les modalités utilisées, les retombées en « cascade » et le « ruissellement » découlant de cette méthode aux conséquences anxiogènes, ce dans un délai contraint et sans égard pour le sort des salariés pris dans l'étau, sacrifiés aux priorités financières, en dépit des alertes disponibles, ont constitué des agissements répétés du délit de harcèlement moral étrangers au pouvoir de direction et de contrôle (CA Paris 30-9-2022 nº 20/05346).
Durée du travail
- Le temps pendant lequel une salariée est obligée de rester dans une chambre d’hôtel, local qui lui est affecté à titre exclusif, pour répondre aux appels téléphoniques et/ou courriels de l’employeur et de la clientèle est une astreinte (CA Bourges 14-10-2022 n° 22/00389).
Paie
- Doivent être prises en compte dans la base de calcul des indemnités journalières de maladie les primes d'installation et de mobilité perçues par le salarié dans le cadre de l'accord d'entreprise dès lors qu’elles constituent bien des rémunérations versées au travailleur à l'occasion de son travail au sens du CSS, remplissent les conditions posées à l'article R 433-5 de ce Code puisque versées le mois précédent chacun des arrêts de travail, n'ont pas pour période de référence plusieurs mois ou années, l'accord d'entreprise prévoyant que ces primes « seront versées dès lors que le salarié déménagera dans une période comprise entre 6 mois avant la mutation et 18 mois maximum après la mutation, (au lieu d'un an) ou au plus tard le 30 septembre 2015 » et que, au surplus, elles sont soumises à cotisation sociale (CA Dijon 27-10-2022 n° 20/00514).
Rupture du contrat
- La salariée n'ayant pas pu reprendre son poste ou un poste similaire au sien à son retour de congé maternité subit un harcèlement discriminatoire, manquement grave justifiant à lui seul le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail. La rupture doit correspondre à la date du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement intervenu postérieurement. Eu égard au lien direct existant entre l'inaptitude à l'origine de la rupture et le harcèlement discriminatoire subi, cette rupture doit avoir les effets d'un licenciement nul (CA Paris 22-9-2022 n° 19/10499).
- La résiliation judiciaire du contrat de travail doit être prononcée, dès lors que les manquements de l’employeur à ses obligations en matière d'exécution du contrat de travail apparaissent, compte tenu de l'importance de leurs conséquences financières pour le salarié ainsi que de la réduction de son périmètre d'intervention et de l'appauvrissement concomitant de ses missions et de ses responsabilités, d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Tel est le cas lorsque la réalisation d'heures supplémentaires accomplies avec l'accord implicite de l'employeur et rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié donne lieu à une condamnation à payer une somme de 47 000 euros et que le grief relatif à la mise à l'écart et au déclassement du salarié est établi (CA Paris 14-9-2022 n° 19/12086).
- Est dépourvu de motif et doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la réalité et le sérieux des motifs invoqués dans la lettre de licenciement, le licenciement verbal, ou de fait, d'une salariée déjà décidé avant même la date de l'entretien préalable au licenciement et a fortiori la date de la notification de la rupture (CA Metz 18-10-2022 n° 21/00697).
- Constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement le fait pour un directeur de la sécurité d'avoir totalement vidé de ses affaires le bureau de sa collègue directrice des ressources humaines, licenciée pour faute après une mise à pied conservatoire, alors que cette salariée n'avait pas accès aux locaux et qu'aucune instruction en ce sens n'avait été donnée. En effet, les fonctions occupées par le salarié sont essentielles à la sécurité de la société et impliquent une relation de confiance totale avec son employeur. Or l’intéressé a vidé le bureau de la salariée sans discernement et sans veiller à faire le tri entre les affaires professionnelles et personnelles, et sans demander l'autorisation de sa hiérarchie. Le salarié a reconnu de surcroît lors de l'entretien préalable qu'il avait entreposé deux cartons chez lui, à son domicile (CA Paris 6-9-2022 n° 20/03270).
- Le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation et la seule constatation d'une atteinte ouvre droit à réparation. L'employeur méconnaît le droit à l'image d'une salariée ayant donné son accord tacite pour l'usage de celle-ci pendant l’exécution de son contrat de travail, dès lors qu’il laisse une photographie de l'intéressée après la rupture de celui-ci, en mai, d'une part, sur son site internet jusqu'en septembre malgré sa mise en demeure reçue en juillet et d'autre part, sur les flyers distribués en septembre. La salariée peut prétendre à ce titre à la somme de 800 € à titre de dommages-intérêts (CA Montpellier 22-6-2022 n° 18/00652).
Représentation du personnel
- Selon l'ordonnance 2020-346 du 27 mars 2020, du 12 mars 2020 au 31 décembre 2022 au plus tard, le salarié protégé peut se voir imposer, sans son accord, un placement en activité partielle sous réserve que cette mesure touche tous les salariés de l'établissement. N’est pas justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination le placement unilatéral en activité partielle d’un salarié élu au CSE dès lors que : l’entreprise ne rapporte pas la preuve de la nécessité de recourir à l'activité partielle pour les salariés affectés au nettoyage d’un hôtel et ne prouve pas que l'ensemble de ce personnel était concerné par la mesure ; aucune explication cohérente n'explique la volonté de placer l’intéressé en activité partielle alors qu'il est à l'origine d’une procédure d'annulation des élections professionnelles et qu'un conflit existe avec l’employeur notamment sur la classification du salarié (CA Amiens 27-10-2022 n° 21/05917).
Travail indépendant
- La contrainte délivrée par le directeur d'un organisme de sécurité sociale sur le fondement de l'article L 244-9 du CSS a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations et contributions sociales et des majorations de retard. Dès lors, l’Urssaf ne peut pas réclamer auprès d’un travailleur indépendant par voie de contrainte le remboursement d’un indu correspondant à l’excédent de cotisations provisionnelles payé par l’intéressé que l’organisme social a, par erreur, calculé à un montant supérieur à son montant réel et versé sur le compte bancaire de la société dirigée par le travailleur indépendant (CA Amiens 14-11-2022 n° 21/02530).
Statuts particuliers
- Pour prononcer la suspension d'un contrat d'apprentissage conclu entre une société et son apprentie, recrutée alors qu'elle avait à peine 16 ans, l'administration du travail a relevé plusieurs éléments mettant en cause les conditions de sécurité et de travail dans l'établissement. La gérante a ainsi envisagé de s'absenter en laissant seules les deux apprenties s'occuper de celui-ci, qui comporte un institut de beauté et un salon de coiffure sur une surface de plus de 300 m² répartis entre des sous-sols, un rez-de-chaussée et un étage. A cet égard, son époux, " directeur commercial et développement ", qui n'est pas le maître d'apprentissage, était, à la date des faits, en arrêt maladie. Par ailleurs, l'intéressée a effectué des massages seule en présence de clients dénudés dans un cabine fermée au sous-sol, aucune mesure de protection en vue d'assurer la sécurité des employés en cas d'agression n'étant prévue, alors que l'une des employées avait déjà été victime d'un geste déplacé dans une situation comparable. A la date de la décision de refus de reprise du contrat d'apprentissage, le projet de laisser ouvert l'établissement aux seules apprenties, ainsi que l'absence de dispositif d'alarme en salle de massage ou les griefs relatifs aux conditions de sécurité et de travail dans l'établissement ne pouvaient plus être retenus dès lors que la gérante de l'établissement, à la suite de cette mesure de suspension, avait finalement mis en place une sonnette dans les salles de massage pour permettre l'intervention d'un tiers en cas d'agression par un client et a remédié à plusieurs manquements en matière de sécurité et conditions de travail. Toutefois, le fait de confier à une apprentie de 16 ans, sans la présence d'une personne majeure chargée de la former, la réalisation de massages pour des clients masculins dénudés, est à lui seul constitutif d'un risque sérieux d'atteinte à la santé ou à l'intégrité physique ou morale de l'apprentie. Le Direccte, en refusant la reprise du contrat d'apprentissage, entraînant la rupture de ce contrat, n'a pas méconnu les dispositions légales (CAA Lyon 22-9-2022 n° 21LY01822).
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