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27 novembre 2023
Sur le fondement de l'égalité de traitement, un syndicat peut agir en justice pour contester le mode de calcul d'augmentations de salaire générales ou pour obtenir le versement pour l'avenir d'une prime de 13e mois aux salariés n'en bénéficiant pas. En revanche, il ne peut pas demander la régularisation de la situation individuelle des salariés concernés.

Les syndicats professionnels peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent (C. trav., art. L. 2132-3). Mais ils ne peuvent agir en justice pour la défense des intérêts individuels des salariés ; ceux-ci sont seuls habilités à défendre leurs propres droits, les syndicats pouvant uniquement intervenir dans le cadre de l'assistance ou la représentation des salariés ou de l'action en substitution dans certains domaines (ex. : travailleurs à domicile, salariés étrangers).

Si la notion d'intérêt collectif de la profession est assez large (elle peut recouvrir, par exemple, le non-respect de la convention collective, l'atteinte aux institutions représentatives du personnel ou bien encore l'atteinte au principe d'égalité de traitement), il n'est pas toujours aisé de distinguer l'intérêt individuel de l'intérêt collectif, dans la mesure où la défense du second emporte souvent des conséquences qui relèvent du premier.

C'est à la Cour de cassation qu'il revient de contrôler la notion d’intérêt collectif de la profession permettant à un syndicat d’agir en justice et de tracer une ligne de partage entre ce qui relève de l’intérêt collectif de la profession, auquel cas l’action du syndicat est recevable, et ce qui relève d’un droit individuel d’un salarié. Pour ce faire, elle distingue les demandes tendant à mettre un terme à une situation considérée comme irrégulière, qui va profiter aux salariés concernés, de celles qui ont pour objet de permettre aux salariés d'obtenir un avantage à titre individuel.

Si claire soit-elle, la distinction opérée par la Haute juridiction suscite un contentieux régulier et un travail d'orfèvre de sa part, comme en témoignent encore deux nouveaux arrêts publiés, rendus le 22 novembre dernier et fondés sur l'atteinte au principe d'égalité de traitement.

Première affaire : recevabilité d'une action en justice du syndicat sollicitant un autre mode de calcul des augmentations de salaire

Faits et procédure

Dans la première affaire, un employeur avait décidé unilatéralement d'octroyer des augmentations générales de salaires basées sur des tranches de salaire. Se fondant sur une inégalité de traitement, un syndicat conteste ce mode de calcul en justice et demande à ce que les augmentations générales de salaires soient opérées en tenant compte de la qualification professionnelle et suivant un coefficient hiérarchique. Il réclame en outre la rectification, sous astreinte, des bulletins de paie sur 3 ans, le paiement de dommages et intérêts et, subsidiairement, une expertise.

La cour d'appel juge cette action recevable et fait droit aux demandes du syndicat, exception faite de la demande tendant à la rectification des bulletins de salaire jugée comme relevant de l'intérêt individuel des salariés.

L'employeur se pourvoit en cassation, soutenant que l'action en justice du syndicat n'est pas recevable parce qu'elle vise en réalité exclusivement les intérêts particuliers de quelques salariés.

L'action du syndicat contestant le mode de calcul de l'augmentation générale des salaires est recevable, peu importe le nombre restreint de salariés concernés

Pour la Cour de cassation, l'action tendant à solliciter des augmentations générales de  salaire revalorisées au regard de la qualification professionnelle et suivant un coefficient hiérarchique est recevable. Cette action tend « à la reconnaissance d'une irrégularité au regard du principe de l'égalité de traitement et à mettre fin à cette irrégularité » . A ce titre, elle relève bien  « de la défense de l'intérêt collectif de la profession ».

La Cour ajoute, de surcroit, que la circonstance que seuls quelques salariés de l'entreprise seraient concernés par la violation du principe d'égalité de traitement est sans incidence sur le droit d'agir du syndicat. Le nombre de personnes concernées n'est donc pas déterminant, dès lors qu'est posée une question de portée générale touchant la collectivité. Cette position n'est pas nouvelle. La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de l'affirmer dans un arrêt du 9 juillet 2025 (Cass. soc., 9 juill. 2015, n° 14-11.752).

Si la Cour ne se prononce pas à ce sujet, soulignons que les juges d'appel avaient, à bon droit, déclaré irrecevable la demande du syndicat relative à la rectification des bulletins de salaire. En effet, un syndicat ne peut prétendre obtenir la condamnation de l'employeur à régulariser la situation des salariés concernés (Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-15.022 ; Cass. soc., 6 juill. 2022, n° 21-15.189 ; Cass. soc., QPC 20 avr. 2023, n° 23-40.003). Une demande tendant à obtenir que les salariés concernés soient rétablis dans leurs droits n'a pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession ; elle n'est donc pas recevable.

Remarque

en revanche, la Chambre sociale censure la décision d'appel jugeant contraires au principe d'égalité de traitement les modalités retenues pour définir les augmentations salariales. Pour la Cour, les juges du fond n'ont pas précisé « en quoi le fait de fonder une augmentation générale de salaires sur des tranches de salaire et non sur la catégorie professionnelle des salariés constituerait un élément susceptible de caractériser une inégalité de traitement ». L'affaire devra donc être rejugée.

Seconde affaire : recevabilité d'une action en justice du syndicat tendant à faire bénéficier l'ensemble du personnel d'une prime de 13e mois réservée à certains salariés

Faits et procédure

Suite à plusieurs opérations de fusion-absorption, la question d’une inégalité de traitement entre les salariés d’une des sociétés absorbées, la société absorbante et les salariés “historiques” de cette société, est soulevée par un syndicat. Faute d’accord avec la direction, le syndicat saisit la justice pour obtenir la condamnation de la société absorbante à verser une prime de 13e mois aux salariés n’en bénéficiant pas à la suite des différents transferts engendrés par la fusion-absorption. Elle réclame également, outre des dommages et intérêts, la régularisation de la situation de ces salariés pour le passé.

Les juges d'appel déclarent les demandes du syndicat irrecevables, considérant l'atteinte à l'intérêt collectif non caractérisée. Pour eux, l'action tendant à mettre fin à l'inégalité de traitement suppose que la situation de chaque salarié soit comparée à celle de salariés placés dans la même situation ou dans une situation équivalente, ce qui ne peut faire l’objet d’une appréciation collective. Il s’agit donc d’un droit lié à la personne du salarié qui appartient à ce seul salarié.

La Cour de cassation censure partiellement la décision d'appel.

L'action tendant à mettre fin à une inégalité de traitement est recevable mais pas celle visant à régulariser la situation des salariés

La Chambre sociale estime l'action syndicale tendant à mettre fin à l'inégalité de traitement et l'action en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif recevables. En l'espèce, ce que revendique le syndicat est bien un avantage collectif (le versement d'un 13e mois) dont seraient privés certains salariés de l’entreprise et auquel ils ont droit en application du principe d’égalité de traitement, si la violation de ce principe venait à être constatée.

Remarque

elle rappelle, en outre, que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.

En revanche, elle confirme l'irrecevabilité de l'action tendant à la régularisation de la situation par le versement d'une prime de 13e mois aux salarié n'en bénéficiant pas, l'atteinte à un intérêt collectif n'étant pas, sur ce point, caractérisée. Cette action tend à la modification de la situation individuelle des salariés concernés. A eux de réclamer leurs droits en justice.

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