En matière d'élections professionnelles le principe est une enveloppe, un bulletin de vote. Cependant la jurisprudence a dégagé une exception : en cas d'usage dans l'entreprise, pour les candidatures individuelles.
Un arrêt du 26 février 2025 semble remettre en cause cette exception, ou du moins en limite la portée.
Pas de panachage des listes individuelles
Dans cette affaire, deux mandats sont à pourvoir. Au premier tour, les deux candidats d'une liste syndicale sont élus comme titulaires. Au second tour, deux candidats « libres » se présentent, chacun sur une liste individuelle pour les postes de suppléants. Ils sont tous deux élus mais le syndicat demande l'annulation du second tour des élections au motif qu'il a été autorisé pour un même électeur de déposer plusieurs bulletins.
Pour le syndicat, le second tour étant un scrutin de liste, les électeurs ne peuvent voter que pour une liste, fût-elle uninominale, sans panachage possible.
Le tribunal judiciaire le déboute au motif que « le formulaire qui formalise les résultats du second tour décompte cinquante-six voix au total, alors qu'il n'y a que trente-et-un électeurs, que ce formulaire répartit par candidat le nombre de voix obtenu, étant observé qu'un électeur a pu déposer plusieurs bulletins puisqu'il fallait élire deux personnes ».
Cette solution s'apparente à une jurisprudence de la Cour de cassation ayant validé le scrutin dans une situation proche. Ainsi, il a été jugé que n'est pas contraire à la loi, l'usage d'entreprise permettant à chaque électeur d'insérer dans la même enveloppe autant de bulletins de vote qu'il y a de sièges à pourvoir lorsque ces bulletins sont établis au nom de chacun des candidats se présentant individuellement, dès lors que chaque électeur avait effectivement disposé de ce droit, et que le nombre des votants n'avait pas été supérieur au nombre des électeurs inscrits (Cass. soc., 24 sept. 2008, n° 08-60.004).
Mais la Cour de cassation est d'accord avec le syndicat. Au visa de l'article L. 2314-29 du code du travail, elle rappelle que le scrutin est de liste à deux tours avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Elle en déduit que toute candidature individuelle constitue une liste et que le recours au panachage des listes n'est pas admis.
Remarque
rappelons que le panachage est effectivement interdit (Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-60.917).
Elle casse donc le jugement et renvoie l'affaire devant un autre tribunal judiciaire.
Une solution à prendre avec précaution
Il faut toutefois prendre cette solution avec précaution. En effet, l'arrêt n'est pas publié par la Cour de cassation mais seulement diffusé, ce qui n'est pas l'usage en cas de revirement de jurisprudence. D'autre part les faits énoncés ne sont pas clairs. Il semble que le « formulaire qui formalise les résultats du second tour », selon les propres termes de la chambre sociale, décompte un nombre de voix supérieur au nombre d'électeurs puis répartit par candidat ce nombre de voix. Il est donc possible que le processus électoral ait manqué de rigueur, ce qui n'autoriserait alors pas à contrôler le scrutin. Le nouveau tribunal judiciaire saisit après cassation devra en décider.
D'autre part, contrairement à la jurisprudence antérieure, il n'y a visiblement pas d'usage dans cette entreprise, ou même d'information des salariés les autorisant à introduire 2 bulletins pour élire les 2 suppléants.
Remarque
d'après nous, dans tous les cas, cette règle ne peut s'appliquer au premier tour des élections, lequel permet de déterminer la représentativité des organisations syndicales (critère d'audience) conformément à l'article L. 2122-1 du code du travail : plusieurs bulletins dans une même enveloppe ne permettraient pas d'effectuer cette mesure. D'autre part, le principe est qu'il ne peut y avoir de liste individuelle au premier tour en raison de la règle de représentation équilibrée des listes de candidats (parité) : sauf dans le cas de l'exception du « sexe ultra-minoritaire », s'il y a au moins 2 sièges à pourvoir, il doit y avoir obligatoirement un candidat de chaque sexe, et donc 2 candidats (Cass. soc. QPC, 9 mai 2018, n° 17-14.088, v. notre article ; Cass. soc., 17 avr. 2019, n° 17-26.724, v. notre article).
Il n'en demeure pas moins que la Cour de cassation se fonde sur l'article L. 2314-29 relatif au mode de scrutin applicable aux élections professionnelles et que sa formulation du principe interdisant le panachage est générale. La prudence est donc de mise.