Lors de la présentation de son programme présidentiel, le 17 mars, Emmanuel Macron a indiqué qu’il comptait réduire l’offre de formation professionnelle actuellement disponible en "déférençant les formations professionnelles qui ne sont pas suffisamment qualifiantes ou qui ne débouchent pas suffisamment sur des emplois durables", insinuant que certaines formations seraient peu qualitatives. Quels seraient dans ce contexte les ajustements que le candidat souhaiterait faire, s’il est élu ? Comment faire pour que les organismes de formation parviennent à proposer une offre efficiente en phase avec le marché du travail ?
Les experts restent partagés sur cette proposition. Ils estiment qu’il ne faut pas se tromper de combat, en faisant de mauvais choix, sans répondre aux vraies problématiques.
"Toutes les formations ont leur place qu’il s’agisse d’insertion professionnelle, d’adaptation et de maintien dans l’emploi car le champ des compétences professionnelles est extrêmement large. L’offre doit refléter cette réalité socio-économique", insiste Pierre Courbebaisse, président de la fédération Les Acteurs de la Compétence qui précise que "l’on jette l’opprobre sur l’univers de la formation, en raison des fraudes au CPF, alors que les abus concernent une minorité".
"Le véritable enjeu, c’est la simplification d’accès au développement des compétences pour tous les publics (jeunes, salariés, demandeurs d’emploi), la transparence des résultats, la qualité et l’orientation professionnelle tout au long de la vie". D’où la nécessité de travailler en amont de la formation "pour donner aux individus des informations sur les objectifs, les débouchés métiers, le nombre d’emplois à pourvoir dans le bassin d’emploi. Cela est à ce stade insuffisamment promu ou développé".
Il existe 9 000 opérateurs appartenant à de la branche professionnelle dont 3 000 qui réalisent la majorité de l’activité formation.
"La question n’est pas celle de l’offre mais celle du financement"
Marc Dennery, consultant, co-fondateur de C-Campus souligne également que "la question n’est pas celle de l’offre mais celle du financement". "Le rapport de la mission d‘évaluation parlementaire de la loi Avenir professionnel, présenté en janvier, fait d’ailleurs état d’un déficit de 11,5 milliards d’euros de déficit". Pour cet expert, il ne faut pas couper la dynamique que représente le CPF en supprimant des formations mais bien de l’accompagner par plus de conseils". Lesquels peuvent passer "par le conseil en évolution professionnelle qui est encore un outil au stade de démarrage ou par l’entreprise via la co-construction de parcours de formation encore peu nombreux. Avec la marchandisation de la formation, certains salariés se retrouvent seuls pour choisir une formation".
Reste toutefois à attendre le fléchage automatique des abondements vers une formation-type ou une catégorie de salariés, via la plateforme moncompteformation.fr. Un process actuellement en "expérimentation" à la Caisse des dépôts. Pour l’heure, seules les dotations effectuées de manière personnalisée et individuelle sont possibles.
Qualiopi
France compétences a d’ailleurs commencé à faire le tri des certifications.
Le label Qualiopi, en vigueur depuis le 1er avril dernier, est désormais indispensable pour bénéficier des fonds publics ou mutualisés des financeurs de la formation (Opco, ATPro, Caisse des dépôts et consignations, Pôle emploi…). Les organismes de formation doivent respecter les sept critères et les 32 indicateurs de ce référentiel national qualité plus exigeant.
"Tout organisme doit prouver de manière tangible qu’il y a une finalité professionnelle derrière chaque formation, indique Arnaud Portanelli, cofondateur de Lingueo, un organisme spécialisé dans l’apprentissage des langues et certificateur (détenteur du certificat linguistique Lilate), à l’origine de la création d’un collectif en février dernier pour lutter contre les fraudes au CPF.
Même si le certificateur reconnaît que le système est perfectible. "L’interconnexion du système d’information entre organisme certificateur et prestataires de formation ne permet pas encore d’avoir les taux de réussite des formations suivies ; tout n’est pas encore informatisé. Il faut également que les apprenants puissent donner leur avis sur la formation suivie, en laissant des commentaires et non simplement de simples notes. Les résultats de l’apprentissage doivent être plus transparents", détaille Guillaume Le Dieu de Ville, cofondateur de Lingueo.
Le Répertoire spécifique au régime sec
Le Répertoire spécifique, qui regroupe des formations complémentaires ou transversales, a également fait les frais de ces exigences cet hiver, en subissant une cure d’amaigrissement. Certaines formations n'ont pas réussi à passer sous les fourches caudines de France compétences. Selon Mikaël Charbit, directeur des certifications professionnelles de cette instance, cité dans le quotidien de Centre Inffo, l’offre de certifications de ce Répertoire mobilisées dans le cadre du CPF a été réduite de 70 %. "Le choc est brutal, confirme Pierre Courbebaisse. Des formations portant sur les habilitations électriques ou la santé ont disparu du Répertoire. Or, il est dangereux de les supprimer ; il y a une confusion sur la question des soft skills. Ces formations sont importantes dans le cadre du développement professionnel et répondent à de véritables besoins des entreprises et des individus".
D’autres formations dans le viseur
D’autres formations sont sur la sellette. Après un premier texte le 8 octobre 2020, un nouveau projet de décret prévoit de mieux encadrer les formations dispensées aux créateurs ou repreneurs d’entreprise, qualifiées de formations "fourre-tout". Objectif visé ? Valider les formations exclusivement dédiées à l’acquisition de compétences liées à l’exercice de la fonction de chef d’entreprise pour contrer le détournement de ces cursus vers des formations "métiers" qui ne sont éligibles ni au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ni au Répertoire spécifique.
De même, les formations conduisant à l’obtention du permis de conduire, en tête des formations les plus suivies, sont contestées. "Certains pays comme les Etats-Unis prennent en charge ce stage dans le cadre de la formation initiale", rappelle Pierre Courbebaisse. Sans passer par les contributions des entreprises.
Plutôt que de limiter l’offre, le président de la fédération des Acteurs de la compétence appelle au dialogue avec les partenaires sociaux. "Il faut discuter des critères économiques, de l’impact sur le marché du travail de telle ou telle formation, de la satisfaction des apprenants". Marc Dennery verrait également d’un bon œil des discussions entre organisations patronales et syndicales pour "remettre les partenaires sociaux au centre du jeu, notamment par le biais des branches professionnelles". D’autant que le critère de l’insertion professionnelle ne peut être le seul critère garantissant la qualité d’une formation, a fortiori pour des salariés.
Le crédit d’impôt pour remobiliser les entreprises ?
Pour aider au financement des formations, la fédération patronale avait avancé, en février dernier, une quinzaine de propositions à l’attention des candidats à l’élection présentielle. A commencer par une antienne, un crédit d’impôt pour les PME de moins de 250 salariés, à hauteur de 30 %, sur toutes les dépenses engagées dans le cadre du plan de développement de compétences. Une position partagée par Marc Dennery qui voit ici une manière de "remobiliser les entreprises à la formation". Quitte à poser des conditions : "on peut imaginer un système gagnant-gagnant, par exemple, octroyer un crédit d’impôt aux seules entreprises qui valorisent la compétence acquise, via une progression de carrière, un changement de poste ou une augmentation".
Autant de questions à trancher pour Emmanuel Macron, s’il est réélu dimanche.
Le programme de Marine Le Pen
Marie Le Pen n’a pas abordé ce sujet dans son programme. Ses principales propositions concernant la formation professionnelle portent sur :
- la création d’un chèque-formation de 200 à 300 euros pour les apprentis, les alternants et leurs employeurs ;
- le versement d’un complément de salaire de 200 à 300 euros pour les jeunes qui travaillent durant leurs études et qui valident leurs examens.