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25 février 2022
Le CSE d'établissement ne peut faire appel à un expert que lorsqu'il établit l'existence de mesures d'adaptations spécifiques à l'établissement, et que les conditions de l'expertise sont réunies. Illustration d'une expertise pour projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail dans le cadre d'un projet de mise en location-gérance d'un magasin.

Le CSE d'établissement a les mêmes attributions que le CSEC dans la limite des pouvoirs confiés au chef d’établissement, et est consulté sur les décisions arrêtées au niveau de l’entreprise spécifiques à l’établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement (C. trav., art. L. 2316-20). En outre, l’article L. 2316-21 ajoute que le CSE d’établissement peut faire appel à un expert lorsqu’il est compétent selon ces dispositions.

La Cour de cassation rappelle ces règles et donne une illustration de leur application concernant une expertise pour « projet important » dans cet arrêt du 16 février 2022.

Remarque : dans une décision du même jour, la Cour de cassation s'est également prononcée sur l'expertise votée par le CSE d'établissement sur la consultation récurrente relative à la politique sociale (Cass. soc., 16 févr. 2022, n° 20-20.373 ; v. notre commentaire).

Projet de mise en location-gérance d'un magasin

Dans cette affaire, dans le cadre d'un projet d'actions visant à sauvegarder la compétitivité des hypermarchés, ainsi que celle du groupe, la société Carrefour a pris l'initiative d'une gestion différenciée d'un parc de magasins se traduisant pour certains magasins par le passage d'un mode de gestion intégré à un mode de gestion en location-gérance. Un accord de groupe définit la procédure et les mesures d'accompagnement qui devront être respectées dans ce cadre.

Le CSE de l'un des établissements concernés est informé de ce projet (et non consulté) lors d'une réunion, et il vote le recours à un expert agréé au titre de l'article L. 2315-94 du code du travail, pour projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.

L'employeur demande au tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond de constater l'absence de projet important et d'annuler cette délibération.

Il obtient gain de cause devant le tribunal, lequel estime que le CSE d'établissement ne démontre pas que l'expertise décidée est relative à un domaine où il est compétent au regard des dispositions articulant les champs de compétence respectifs du CSE central et les CSE d'établissement, et que les changements des conditions de travail, de santé et de sécurité invoqués par le comité ne sont pas propres à l'établissement, mais impliquent des mesures d'adaptation communes à tous les magasins dans une situation comparable.

Nécessité de mesures d'adaptation spécifiques et de conditions de recours à l'expertise réunies

La Cour de cassation donne raison à l'employeur et au tribunal judiciaire.

Elle commence par rappeler les articles L. 2316-20 et L. 2316-21 octroyant droit à consultation au CSE d'établissement sur les mesures d'adaptation spécifiques à l'établissement, et droit à expertise qui y est liée.

Elle explique qu'il « n'y a pas un droit général à l'expertise, laquelle ne peut être décidée que lorsque les conditions visées à l'article L. 2315-94 du code du travail sont réunies ». Elle rappelle ensuite « que le comité social et économique d'établissement ne peut faire appel à un expert que lorsqu'il établit l'existence de mesures d'adaptation spécifiques à l'établissement ».

Puis elle applique ces règles à l'espèce : le CSE d'établissement « ne démontrait pas que le projet de mise en location-gérance du magasin (...) aurait des incidences sur la santé, la sécurité ou les conditions de travail qui lui seraient propres et ainsi que l'expertise décidée était relative à un domaine pour lequel il était compétent » ne pouvait donc avoir recours à un expert habilité dans ce cadre.

Ainsi, la désignation d'un expert pour « projet important » par le CSE d'établissement est possible, dès lors qu'il existe des mesures d'adaptation spécifiques à l'établissement, et que l'expertise est justifiée, c'est-à-dire que lesdites mesures d'adaptation spécifiques ont bien des incidences sur la santé, la sécurité ou les conditions de travail dans l'établissement.

Expertise du CSE d'établissement possible mais limitée

Dans cette affaire, une expertise avait été effectuée au niveau du CSEC, consulté sur le projet de mise en location-gérance de certains magasins. En outre, la formulation de la solution dégagée par la Cour de cassation implique que, si l'expertise du CSE d'établissement est possible lorsque les conditions en sont réunies, celle-ci sera bien limitée à l'analyse des incidences sur la santé, la sécurité et les conditions de travail résultant des seules mesures d'adaptation spécifiques à l'établissement concerné.

A cet égard, cette décision s'articule avec la solution adoptée par la Cour de cassation en 2020 précisant qu'une expertise ne peut être votée au niveau de l'établissement s'il n'y a pas eu d'expertise au niveau de l'entreprise (Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-23.590). Ainsi, un CSE d'établissement ne peut se substituer au CSEC pour décider d'une expertise globale sur le projet, il ne peut que voter une expertise limitée aux conséquences des mesures d'adaptation spécifiques à son établissement, si les conditions en sont réunies. Il nous semble qu'il pourra le faire même s'il n'y a pas eu d'expertise votée au niveau de l'entreprise, dans cette limite, mais cela n'a pas été confirmé par la Cour de cassation.

Remarque : précisons que la décision de 2020 concerne une ICCHSCT et un CHSCT. Rappelons que l'instance temporaire de coordination des CHSCT (ICCHSCT) pouvait être mise en place par l'employeur en cas de projet commun à plusieurs établissements. Son but était d'organiser une consultation centralisée au niveau de l'instance, ainsi que d'organiser le recours à une expertise unique le cas échéant. L'instance de coordination a disparu, mais ses attributions ont été peu ou prou récupérées par le CSE central d'entreprise. En effet, l'article L. 2316-1 du code du travail prévoit que le CSEC est seul consulté sur les mesures d'adaptation communes à plusieurs établissements d'un projet d'aménagement important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail, tandis que l'article L. 2316-3 précise que si la désignation d'un expert est envisagée dans le cadre d'un projet important concernant l'entreprise, c'est le CSEC qui le désigne. Ces dispositions reprennent celles de l'ancien article L 4616-1 relatif aux projets importants communs à plusieurs établissements et à l'ICCHSCT. Cette solution semble donc transposable au CSEC et aux comités d'établissement.

A noter, d'autre part, qu'un autre arrêt relatif à une ICCHSCT et un CHSCT a précisé que la désignation d'un expert commun par l'ICCHSCT dans le cadre d'un projet important de modification des conditions de santé, de sécurité et des conditions de travail n'exclut pas la désignation d'un expert risque grave par un CHSCT au niveau de l'établissement, sous réserve de prouver des circonstances spécifiques établissant un tel risque grave encouru par les salariés de cet établissement, indépendamment de l'expertise pour projet important (Cass. soc., 5 févr. 2020, n° 18-26.131 ; Cass. soc., 5 févr. 2020, n° 18-23.753, v. notre commentaire). Cette décision nous semble également transposable au CSEC et aux CSE d'établissement.

Les expertises « risque grave » et « projet important » sont donc possibles au niveau des établissements dans le cadre d'un projet d'entreprise, mais elles restent limitées aux conséquences spécifiques à ces établissements, conformément à la répartition des compétences entre CSEC et CSE d'établissement prévue par les articles L. 2316-1 et L. 2316-20 du code du travail.

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