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20 avril 2022
Alors que les élections législatives approchent, Alexandra Stocki, avocate associée au sein du cabinet Proskauer Rose, fait le point sur la possibilité et les limites pour les salariés de faire entrer la politique en entreprise et les absences dont ils peuvent bénéficier pour mener campagne.
Politique et droit du travail : trois questions à Alexandra Stocki

Un salarié peut-il afficher son appartenance à un parti ou ses convictions politiques en entreprise ?

Alexandra Stocki : En droit français, parler de politique relève de la liberté d'expression. Des dispositions généralisent l'absence de sanctions et l'interdiction de toute discrimination en raison de ses opinions politiques.

L'article L.2281-3 du code du travail précise ainsi que "les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement".

L'article 1132-1 du code du travail indique quant à lui que "aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (...), notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat" en raison notamment de ses opinions politiques.

Ces deux textes garantissent l'absence de sanction directement liée à l'expression d'opinions politiques.

Par ailleurs, l'article L.1121-1 du code du travail dispose que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen préservent également, au niveau international, la liberté d'expression.

Toutefois, comme toute liberté, la liberté d'expression a des limites, notamment sur le lieu de travail.

La première limite s'applique à l'employeur. Ce dernier ne peut pas apporter des restrictions à la liberté d'expression qui ne seraient pas proportionnées au but recherché dans l'intérêt de l'entreprise et justifiées par la nature des tâches accomplies par le salarié. L'outil privilégié est le règlement intérieur. La loi Travail du 8 août 2016 permet en effet d'introduire dans le règlement intérieur une clause de neutralité (interdisant par exemple le port de tout signe politique). Cette clause n’est toutefois admise que pour les salariés qui sont en contact avec la clientèle selon la jurisprudence actuelle.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat, dans une décision du 25 janvier 1989, a estimé qu'un employeur ne pouvait pas interdire dans le règlement intérieur toutes discussions politiques et religieuses.

Pour le salarié, la limite réside dans l'abus dans l'exercice de sa liberté d'expression. La question se pose au cas par cas. Comment le salarié exprime-t-il ses opinions politiques ? Est-ce que cela crée un trouble dans l'entreprise ? Est-ce excessif, injurieux ou diffamatoire ? Le salarié fait-il du prosélytisme ?

Un salarié peut-il faire campagne en entreprise pour un candidat ?

Alexandra Stocki : On retrouve les mêmes principes que ceux qui s'appliquent à la situation précédente : le respect de la liberté d'expression tant que le salarié ne tombe pas dans l'abus.

Dans un arrêt de cour d'appel de Toulouse du 4 mars 2011 (n° 09-6144), les juges ont admis le licenciement d'un salarié qui avait fait preuve d'un militantisme politique actif pendant ses heures de travail, dans un établissement pour personnes âgées. Il récoltait auprès d'elles des chèques au profit d'une association de collecte de fonds qui finançait la campagne électorale d'un homme politique. "Ces agissements concernant un public nécessairement fragile psychologiquement, sont contraires aux dispositions de l'article L 331-4 du code de l'action sociale et des familles, aux dispositions conventionnelles liant le salarié à son employeur et à celles du règlement intérieur. Ils sont de nature à caractériser une faute grave à l'encontre du salarié qui a ainsi délibérément manqué à son obligation de réserve et de discrétion", estiment les juges.

La question se pose différemment pour des élus syndicaux. Les syndicats n'ont pas à avoir un but politique. Dès lors, il leur est interdit de mener une campagne politique en entreprise. Toutefois, l'employeur ne pourra pas s'y opposer directement (par exemple retirer une affiche politique). Il devra saisir le juge des référés.

Un salarié candidat aux élections législatives peut-il bénéficier d’un aménagement de poste ?

Alexandra Stocki : Le salarié qui se présente aux élections législatives [qui se tiennent les 12 et 19 juin 2022] peut bénéficier d'un congé de 20 jours ouvrables maximum pour participer à la campagne électorale (articles L.3142-79 à L.3142-82 du code du travail).

Le salarié peut prendre ces jours de congé par journée ou par demi-journée. Il doit avertir l'employeur au moins 24 heures avant le début de chaque absence. L'employeur ne peut pas s'y opposer. Le salarié n'est pas rémunéré lors de ces congés. Toutefois, ses absences sont prises en compte pour le calcul de ses congés payés et de son ancienneté.

Le salarié peut demander à imputer ces absences sur les congés payés annuels acquis à la date du scrutin.

Si le salarié est élu en tant que député, il peut bénéficier d'une autorisation d'absence pour exercer son mandat (article L.3142-83 du code du travail). Son contrat est alors suspendu jusqu'à l'expiration de son mandat. Il doit toutefois justifier d'un an d'ancienneté pour en bénéficier. Il n'est pas rémunéré et son absence n'est pas prise en compte pour le calcul de ses droits à congés payés et pour l'ancienneté.

La suspension du contrat de travail prend effet quinze jours après la notification qui en est faite à l'employeur, à la diligence du salarié, par lettre recommandée avec avis de réception (article D.3142-59 du code du travail).

A l'expiration de son mandat, le salarié retrouve son précédent emploi, ou un emploi analogue assorti d'une rémunération équivalente, dans les deux mois suivant la date à laquelle il a avisé son employeur de son intention de reprendre cet emploi. Il bénéficie de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie durant l'exercice de son mandat. Il bénéficie, en tant que de besoin, d'une réadaptation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail (article L.3142-84 du code du travail).

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Florence Mehrez
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