Face à un changement de lieu de travail et en l'absence de mobilité prévue par une clause du contrat de travail ou par accord collectif (ainsi que de stipulation d'un lieu exclusif de travail dans le contrat), la jurisprudence a développé le critère du « secteur géographique » pour déterminer l'existence ou non d'une modification du contrat de travail. L’idée est simple : c’est uniquement lorsque le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent du précédent que le changement constitue une modification du contrat de travail, qui nécessite donc l'accord du salarié. Charge aux juges de définir les contours de cette notion de secteur géographique (même bassin d’emploi, distance, temps de trajet, moyens de transports, etc.). Mais à idée simple, appréciation complexe comme l’illustre un nouvel arrêt de la chambre sociale. Une salariée avait été informée que son lieu de travail devait être transféré à quelques kilomètres. Suite à son refus d'intégrer ce nouveau lieu, elle a été licenciée pour faute grave… licenciement considéré comme abusif par les cours d’appel et de cassation qui estiment que les deux lieux ne faisaient pas partie du même secteur géographique, en s’appuyant notamment sur la question des moyens de transport.
A l’employeur de démontrer la facilité d’accès aux transports en commun entre les deux lieux…
Pour contester le jugement d’appel, l’employeur se prévalait du fait que 35 km seulement séparaient l’ancien et le nouveau lieux de travail, lieux qui appartenaient par ailleurs au même département et dépendaient de la même chambre de commerce et d'industrie. Il en déduisait que le changement de lieu de travail s’opérait dans le même bassin d'emploi et le même secteur géographique et n’était qu’un changement des conditions de travail.
Mais la chambre sociale n’adhère pas à ce point de vue et reprend à son compte les arguments de la cour d’appel : le nouveau lieu de travail n’est pas situé dans le même bassin d'emploi et « l'employeur ne produit aucune pièce permettant de démontrer que les transports en commun sont facilement accessibles entre les deux communes aux horaires de travail de la salariée ». De ce fait, au vu de la distance séparant les deux sites et des moyens de transport les desservant, ils ne faisaient pas partie du même secteur géographique et l'employeur avait commis une faute contractuelle en imposant un nouveau lieu d'affectation à la salariée.
Remarque
le critère de la distance semble ici moins prégnant pour la Cour que celui de la facilité des transports en commun. En effet, elle avait déjà pu considérer que le changement de localisation du lieu de travail entre deux sites situés à 56 km de distance ne constitue pas en soi un changement de secteur géographique (Cass. soc., 17 nov. 2010, n° 09-66.755), alors même qu’en l’espèce cette distance était moindre.
… l'usage du véhicule personnel générant « des contraintes supplémentaires qui modifient les termes du contrat »
Un point interroge dans l’arrêt. L’employeur démontrait que le trajet entre les deux sites en voiture était de seulement 36 minutes via des grands axes routiers et autoroutiers, ce qui pouvait être vu comme le signe d’une facilité d’accès et donc comme caractérisant un même secteur géographique. Mais pour rejeter son pourvoi, la chambre sociale retient à ce sujet qu’« il est manifeste que le covoiturage est difficile à mettre en place », et que « l'usage du véhicule personnel en matière de fatigue et de frais financiers génère, en raison des horaires et de la distance, des contraintes supplémentaires qui modifient les termes du contrat ». Cela signifierait-il que, au sein des critère de temps de trajet et de facilité de transport utilisés par les juges pour reconnaitre ou non l’existence d’un même secteur géographique l’importance du transport collectif prime sur celle du transport individuel ? A voir si cette posture se confirme à l’avenir.
Attention à la façon de mentionner le lieu de travail dans le contrat !
Enfin, des moyens de l’employeur ressortait une autre problématique : qu’est-ce qu’une clause claire et précise permettant d'affirmer que le salarié exécutera son travail exclusivement dans un lieu défini ? En effet, dans le contrat de la salariée était inscrit le fait que, compte tenu de la structure de l'entreprise, son lieu de travail pourrait être modifié temporairement ou définitivement dans le bassin d'emploi. Sans plus de précision sur ledit bassin d’emploi et ce qu’il englobait. La cour d’appel a déduit de cette clause qu’il était expressément énoncé par le contrat que la salariée ne pourrait être affectée en dehors du bassin d'emploi, qu’elle a pris soin d’elle-même définir.
Attention donc à la formulation donnée pour déterminer le lieu de travail puisqu’elle s’est finalement en l’espèce retournée contre l’employeur.